dimanche 3 décembre 2017

BATMAN : CREATURE OF THE NIGHT - BOOK ONE : I SHALL BECOME, de Kurt Busiel et John Paul Leon


Annoncé depuis des années, souvent reporté (à cause des ennuis de santé de son scénariste), le premier épisode de la mini-série Batman : Creature of the Night paraît enfin cet hiver. Conçu comme le pendant à son sublime Superman : Secret Identity (dessiné par Stuart Immonen, publié en 2004), le récit écrit par Kurt Busiek et illustré par John Paul Leon est l'événement de cette fin d'année. 


Bruce Wainwright est le fils unique de Henry et Carol, un couple de bourgeois résidant à Boston. Le jeune garçon est un lecteur passionné de comics et son héros favori est Batman : il s'amuse ainsi à décomposer son nom de famille (Wain/Wayne) et celui de son oncle (Alton-Frederick Jepson/Al-Fred). 

Lors de la nuit de Halloween, déguisé comme le protecteur de Gotham, Bruce est témoin d'un drame atroce : en rentrant chez eux, les Wainwright surprennent trois cambrioleurs qui les abattent. Le garçon est gravement blessé mais survit après deux mois dans le coma. Il apprend par l'officier de police Gordon Hoover le décès de ses parents mais s'avère incapable de fournir un signalement suffisamment détaillé des voleurs.


Son oncle refuse de le recueillir et le confie au collège Cornerstone où doit faire face aux moqueries de certains élèves. Rongé par une colère sourde, Bruce est suivi par un psychothérapeute, le Dr. Lester, mais ne se confie guère à lui. Lors d'une visite au zoo avec son oncle, Bruce se dispute avec lui et se réfugie dans une salle abritant des chauves-souris dont la vitre de la cage se brise soudainement : il interprète cela comme un signe sans réussir à en formuler la signification.


Alors que l'enquête policière piétine sur le meurtre des Wainwright, plusieurs malfrats sont neutralisés par un mystérieux vigilant dont les témoins font une description délirante et effrayante. Bruce poursuit son éducation en faisant un voyage en France, puis dans un camp de vacances où il apprend l'équitation et les bonnes manières. Cependant, le justicier à Boston finit par empêcher la fuite de Donald Bradagh, acteur raté impliqué dans une série de cambriolages et meurtres.


Appelé au poste de police, Bruce identifie formellement Bradagh comme l'assassin de ses parents. Mais, même après cela, il demeure troublé. Une nuit, il monte sur le toit de son collège et la créature de la nuit lui apparaît en lui assurant qu'il est désormais en sécurité.


Bruce y voit comme un souhait exaucé : il a désiré que Batman existe et tel un justicier surgi de son imagination, cela s'est produit. Peu après, son oncle lui offre une radio grâce à laquelle il capte la fréquence de la police, pouvant ainsi suivre leurs actions - et celle de la créature...

Il y a quelque chose d'angoissant et d'excitant, en égales mesures, à lire une bande dessinée attendue, programmée pour être un sommet du genre. Le résultat va-t-il être à la hauteur des espérances ? Et en même temps on s'y plonge avec un sentiment de soulagement - cette fois-ci, c'est la bonne, on va pouvoir vérifier sur pièce.

Dans Superman : Secret Identity, Kurt Busiek (avec Stuart Immonen) brodait une variation magnifique sur le Man of Steel en le suivant sur quatre longs chapitres de l'adolescence à la vieillesse, se référant au mythe du personnage de papier mais en le confrontant à la réalité. Une sorte de variation romanesque et intimiste comme si Superman était considéré non pas comme le produit d'une fiction mais comme une hypothèse vraisemblable.

Le scénariste emploie un procédé semblable avec ce Batman : Creature of the Night. Il ne s'agit pas d'une énième relecture des origines de Batman, les noms sont subtilement altérés, juste assez familiers et malicieux pour créer le trouble. Mais cela est invoqué pour établir une distance qui permet d'apprécier la dimension mythique du personnage.

Busiek pense que Batman est un fantasme qui, si on pense très fort à lui, comme le fait son jeune héros, Bruce Wainwright, se matérialise et exécute son oeuvre de justicier. Le dessinateur (et encreur et coloriste) John Paul Leon le représente non pas comme la figure dont on a l'habitude mais littéralement comme une créature, une sorte de monstre informe et terrifiant aux membres indistincts, camouflés dans sa cape - elle-même comme une extension des chauves-souris qui l'entourent. Ses yeux rouge sang, ses apparitions éclair, son envergure, la fulgurance de ses interventions, tout concourt à la figurer comme un démon, un être cauchemardesque.

Et pourtant, il émane de cette "créature de la nuit" (dixit la traduction littérale du titre en v.o.) une aura aussi saisissante que rassurante, apaisante même : n'assure-t-il pas, après avoir coincé le meurtrier de Bruce, qu'il est désormais en sécurité ("Now... You're safe..."). Son incarnation fait penser à la fois à Dracula (influence revendiqué par ses créateurs historiques, Bob Kane et Bill Finger) et à la version publiée dans la collection Just imagine Stan Lee creating... dans lequel Stan Lee avec Joe Kubert imagina un Batman dont le masque était designé comme le faciès d'une vraie chauve-souris.

Busiek et Leon se gardent bien (parce qu'il ne s'agit que du premier acte de leur histoire mais aussi pour laisser vagabonder l'esprit du lecteur) de dire si oui ou non, tout cela est une extension du chagrin et de la colère de Bruce Wainwright. Beaucoup d'éléments conservent leur part d'ombre (qu'on peut interpréter de bien des manières), comme le mystérieux oncle Alton/Alfred, l'officier Gordon Hoover. L'arrestation de Donald Bradagh ne saurait tout régler non plus.

Autant de pistes qui promettent beaucoup pour la suite de cette production magistrale, à la poésie crépusculaire, esthétiquement impressionnante (peu de scénaristes peuvent se vanter d'avoir eu deux artistes du calibre d'Immonen et Leon pour revisiter les mythes de Superman et Batman), explorant de manière troublante le deuil, la frustration, la vengeance, la justice et le motif du démon (intérieur ou personnifié). Ne passez pas à côté !  

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