lundi 13 novembre 2017

MISTER MIRACLE #4, de Tom King et Mitch Gerads


Alors que Tom King et Mitch Gerads viennent d'annoncer que la mini-série Mister Miracle s'interrompra pour un mois après la parution du #6 (tout en promettant des surprises durant ce délai), le quatrième épisode vient de paraître et marque un nouveau tournant dans l'intrigue.
  

Après avoir été passé à tabac par Orion sur New Genesis, Scott Free a regagné son appartement sur Terre en compagnie de Big Barda pour récupérer. Sur ces entrefaites surgit, via un tube "boom", Lightray : il annonce à Scott qu'il est accusé de trahison par le Haut-Père et soupçonné d'être un agent à la solde de Darkseid, le seigneur d'Apokolips. Scott a le choix entre être immédiatement ramené sur New Genesis pour y être exécuté en reconnaissant l'accusation ou d'être jugé là-bas ou sur Terre.


Le procès aura lieu chez lui, dans son appartement, en présence de Lightray et Big Barda. En sa qualité de Haut-Père de New Genesis, Orion représente l'autorité des Nouveaux Dieux dont il est le premier magistrat en cumulant les rôles de procureur, avocat et juge. Mister Miracle n'a le droit de répondre que selon ses convictions, par "oui" ou "non" aux questions qui lui sont posés afin d'établir sa culpabilité ou son innocence.
  

Scott admet ainsi qu'il croit avoir été infecté par l'équation d'anti-vie (dont Darkseid s'est rendu maître), il est également sûr qu'Orion est également infecté et donc à la solde de Darkseid. Mais comme l'équation d'anti-vie altère la réalité et fausse donc tout jugement sur soi et autrui, Mister Miracle peut aussi complètement se tromper.


Cette interrogatoire est accablant et Mister Miracle comprend alors qu'Orion le piège. Or son talent est d'échapper à tous les pièges. Mais le Haut-Père le pousse à avouer graduellement : Scott Free n'est pas son vrai nom, il a été enlevé sur Terre par le Haut-Père puis échangé avec Orion contre Orion, lorsqu'il s'est échappé d'Apokolopis avec Barda il a succédé à un artiste forain sous le nom et l'habit de Mister Miracle.
  

Ne jamais avoir su qui il était a nourri un ressentiment de plus en plus grand, une détresse de plus en plus en plus profonde qui l'a conduit à haïr le Haut-Père autant que Darkseid, à se haïr - au point de tenter de se tuer. Or la haine est ce qui alimente l'équation d'anti-vie. Scott craque nerveusement dans les bras de Barda après avoir frappé Orion. Ce dernier, hébété, prononce alors son verdict : dans trois jours, Mister Miracle sera rappelé à New Genesis et exécuté.


C'est avec ce genre d'épisode, radical, intense, puissant, poignant, qu'on sait qu'on a sous les yeux une série hors normes, une production d'exception, car on en sort rincé comme le héros. La démonstration est tout bonnement époustouflante.

Esthétiquement, cet épisode ne déroge pas à la stricte règle du découpage que se sont imposés Tom King et Mitch Gerads : sur la quasi-totalité des vingt pages, on a droit à un "gaufrier" de neuf cases, mais dont l'emploi n'a rien de gratuit. L'effet est presque hypnotique à force de tourner les pages, il y a un effet de persistance rétinienne qui s'effectue et brouille presque autant notre vision que celle de Scott Free.

Mais pourquoi n'est pas gratuit ? Pourquoi cela ne se résume-t-il pas à une sorte de gadget visuel ou d'hommage au découpage de Watchmen (la référence de King) ? Parce qu'en poussant ce procédé aussi loin (non seulement pour cet épisode, mais depuis le début de la série), ce qui se dessine littéralement au fil des pages, ce sont comme les barreaux d'une cellule, le grillage d'une prison, et cette prison est celle, mentale et physique, dans laquelle est détenu le héros.

Par un effet-miroir aussi troublant que fort, le scénario de ce quatrième épisode raconte le procès de Mister Miracle, subitement accusé d'être un agent à la solde de Darkseid, donc ennemi intérieur de New Genesis. Si l'on est cruel, on peut dire qu'il l'a presque cherché tant son comportement a été ambigu depuis le début. Mais si on est lucide et indulgent, c'est un homme malade que les circonstances ont poussé à bout, jusqu'au point de rupture (envoyer un type qui a tenté de se suicider, mais qui le nie, sur un champ de bataille affronter l'armée du seigneur de guerre de la planète où il a été élevé après que le fils biologique de l'ennemi ait pris sa place chez les gentils, n'est pas une cure rationnelle).

Très vite, on devine que le piège, implacable, va broyer Scott Free. De ce piège-là, ce maître de l'évasion ne s'échappera pas. Orion ne juge pas Mister Miracle, il l'élimine, méthodiquement, et si Tom King réussit si bien à démontrer cette effroyable mécanique, c'est parce qu'il instille le doute dans l'esprit du lecteur comme auparavant dans celui de Scott Free, que les questions de Orion sont imparables pour faire voler en éclats le héros.

Revenons au découpage et au dessin de Mitch Gerads : à plusieurs reprises, avant et durant le procès, on a l'impression que sur ses strips ternaires qu'il pourrait ne faire qu'un ou deux plans au lieu de trois par bande. Mais en morcelant chaque image, jusqu'à partager un plan moyen de Orion de face, mains levés, paumes face au cadre, il coupe sciemment le personnage, l'action et la parole en deux segments pour traduire le mouvement subtil qui s'opère à ce moment précis de la scène.

Tout l'épisode est un fantastique exercice de rhétorique mené par Orion, dont le rang de Haut-Père lui confère les qualités cumulées de procureur, avocat, et juge. Mister Miracle, pour simplifier l'interrogatoire, ne peut répondre que selon sa conviction et par "oui" ou "non". Lentement mais sûrement, inéluctablement, il est conduit à admettre des pensées et des faits énoncés de telle façon qu'il s'impose à lui comme à nous. 

Depuis le début de la série, la question qui hante Scott Free et le lecteur est de savoir si Darkseid, qui la possède, se sert déjà de l'équation d'anti-vie pour altérer la réalité et donc brouiller le jugement des Nouveaux Dieux de New Genesis et de Mister Miracle en particulier (cible idéale vue sa fragilité mentale). Si c'est le cas, comme le suppose Scott Free, alors ses troubles psychologiques, ses doutes existentielles, ses convictions politiques et militaires proviennent d'une infection par l'équation. Et s'il est atteint, alors potentiellement tout le monde peut l'être, Orion le premier (qui mène la guerre contre Darkseid depuis la mort du précédent Haut-Père). Mais en est-il sûr ?

Ce doute, lancinant, sans réponse, est à la fois sa force et sa faiblesse - et c'est cette dernière qu'exploite Orion. Gerads dessine Orion avec une mine renfrognée, sévère, sur laquelle glisse éphémèrement parfois un sourire sadique, à la carrure imposante, dominant physiquement Mister Miracle (alors que Big Barda, la femme de Miracle, domine physiquement - et use de sa force physique pour le corriger - Lightray, le chambella et exécuteur d'Orion : un autre effet-miroir). En revanche, l'artiste représente Miracle fluet, le visage tourmenté (même quand il est masqué, ses expressions sont lisibles à travers des grimaces embarrassées, navrées, contrariées, furieuses), aux gestes nerveux tandis que Orion, lui, bouge et s'agite peu (se contentant d'aller et venir dans l'appartement, les mains croisées dans le dos). Ce langage des corps en dit aussi long sur la manière qu'a Orion d'écraser Miracle que sa rhétorique retorse.

Dans les dernières pages, Scott Free, admettant qu'il porte le nom et le pseudo d'un autre, qu'il n'a jamais sur qui il était, qu'il a nourri un ressentiment de longue date contre le Haut-Père (pour l'avoir enlevé puis remis à Darkseid en échange de Orion), ne peut littéralement plus s'échapper. D'ailleurs où irait-il, lui, homme sans identité, sans foyer, sans passé, sans avenir ? Il est totalement détruit - et la sentence de Orion tombe, cruelle et dérisoire, contre lui, déjà à terre.

Les comics super-héroïques ont souvent offert à leurs lecteurs des bastons terribles où le gentil semblait au tapis définitivement, des épreuves qui lessiveraient n'importe quel individu normal. Ce qui distingue le (super) héros du commun des mortels tient à s capacité à se relever des roustes qu'il prend et à remporter sa revanche. 

Il est beaucoup plus rare qu'on termine la lecture d'un épisode avec un héros en miettes comme Mister Miracle dans ce numéro. Ce qui rend la question de son redressement, de son rétablissement, de sa restauration vraiment spectaculaire. Ce qui rend cette série hors normes. Scott Free est KO, et vous le serez aussi à la fin de cette issue. Le 5ème chapitre de son aventure promet énormément, à la (dé)mesure de sa défaite. 

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