mardi 7 novembre 2017

EXCALIBUR #61-67, d'Alan Davis

Et voici, enfin, ma dernière entrée concernant le run d'Alan Davis comme scénariste et dessinateur sur la série Excalibur avec les épisodes 61 à 67, datant de 1992-93. Cette ultime séquence comporte deux parties : la première avec une intrigue courant des épisodes 61 à 65, la seconde avec les épisodes 66-67.

Penchons-nous d'abord sur le premier acte.


Rachel Summers a quitté l'équipe d'Excalibur pour voyager dans l'espace en quête de réponses sur la raison pour laquelle elle est l'hôte choisi par la force du Phénix et la manière de l'employer. Elle croise le dévoreur de mondes, Galactus, sur le point de détruire une planète pour se sustanter, et l'affronte pour l'en empêcher. Mais il lui fait comprendre qu'ils représentent tous deux des forces régulatrices dans l'univers.


Sur Terre, Nightrawler, Kitty Pryde, Cerise et Feron s'interrogent sur les mises en gardes de Widget à chacune de ses apparitions, leur prédisant le retour menaçant des Sentinelles (ces robots géants programmés pour éradiquer les mutants). Quant à Captain Britain, obsédé à l'idée de venger Courtney Ross (tuée par Opal Sat-Yr-9), il veut rassurer Meggan sur les sentiments qu'elle lui inspire en la demandant en mariage. Cependant, une mystérieuse équipe neutralise Micromax et Alistaire Stuart...


Alistaire se réveille captif de Nigel Orpington-Smythe alias "Peter", responsable du déshonneur de sa soeur Alysdane, et directeur du R.C.X. (Resources Control eXecutive), qui a également enlevé Micromax.

Avec ses agents surhumains, "Peter" capturent Nightcrawler, Kitty et Cerise alors qu'ils enquêtent dans l'endroit où, pour la dernière fois, il les a appelés à l'aide. Sur ordre du chef du RCX qui englobe désormais toutes les prérogatives des anciens services spéciaux, Excalibur est dissous et ses membres étrangers sont considérés comme clandestins en Grande-Bretagne. Au même moment, Captain Britain perd son pouvoir de voler subitement.


De nouveaux agents du RCX neutralisent Kylun. Nightcrawler, Kitty et Cerise apprennent les objectifs de "Peter" : sur les 400 mutants dont il est responsable, 63 sont déjà tombés malades et certains déjà morts. Il a besoin de ses captifs pour trouver un remède.


Les héros acceptent d'aider à élaborer un antidote en servant de cobayes. Nightcrawler, lors d'un test, est diagnostiqué comme atteint du même mal et même mourant. Entre temps, Captain Britain et Meggan sont à leur tour menacés par des agents du RCX qu'ils refusent de suivre.


Neutralisé, Captain Britain revient à lui au QG du RCX, "Cloud Nine", et découvre, qu'en ayant été appréhendé, il a gravement blessé Meggan. "Peter" le convainc de devenir son héros emblématique en échange de soins pour sa fiancée.


Kitty découvre la duplicité de "Peter" mais elle est assommée  et confiée à Lucas, le bras-droit de Orpington-Smythe, qui a emprisonné Meggan, Kylun, Alistaire, Micromax et d'autres agents des services spéciaux. Dans l'espace, Rachel fait face à la force Phénix qui restaure sa mémoire et lui permet de contrôler sa puissance avant de la renvoyer sur Terre. Elle découvre alors qu'elle porte le costume du Phénix noir !


Nightcrawler découvre à son tour que "Peter" lui ment sur ses plans et, grâce à Cerise, localise l'endroit où sont retenus Kitty, Kylun, Alistaire, Micromax et les autres prisonniers du RCX. Captain Britain comprend également que Orpington-Smythe, nostalgique de l'empire britannique, veut se se servir de lui pour le rétablir par la force. 


Les héros se rebellent contre leurs geôliers et renversent de justesse la situation. Alistaire décide de succéder à "Peter" pour veiller sur les mutants qu'abrite "Cloud Nine". C'est alors que Rachel resurgit devant ses amis et leur annonce son intention de regagner le futur alternatif dont elle est originaire pour en changer le cours !

Après avoir passé la main sur les épisodes 59-60 au duo Scott Lobdell-Scott Kolins, Alan Davis s'engage dans ce qui seront ses dernières contributions à la série à laquelle il a tant apportée - à commencer par sa co-création avec Chris Claremont en 1988. Mais le sait-il alors ? Rien n'est moins sûr, même s'il paraît acquis qu'il n'avait pas prévu de retour rapide. Toutefois, dans les années 2000, un dessin promotionnel apparaîtra, annonçant une histoire intitulée Excalibur Genesis  et promettant, notamment, d'expliquer définitivement les origines de Nightcrawler, en compagnie de Captain Britain, Meggan, Kitty Pryde, Rachel (dans l'ombre, à l'arrière-plan de cette image, on pouvait deviner les présences de Cerise et Kylun, voire des Technets). Chris Claremont était attaché au projet, mais il ne verra jamais le jour, sans qu'on sache pourquoi. Il semble qu'on ne lira plus d'aventures d'Excalibur par le duo magique... Encore plus triste : récemment, l'annonce du premier Annual de la (nouvelle version de la) série X-Men Gold montre en couverture l'équipe réunie (avec Meggan tenant dans ses bras l'enfant qu'elle a eu avec Captain Britain), dessinée par Davis... Mais Marvel n'a pas jugé bon de confier l'écriture et le dessin à ce dernier ni même d'impliquer Claremont (payé à ne rien faire chez l'éditeur qui ne veut plus que le mythique scénariste officie pour des concurrents).

Tout cela rend donc encore plus précieux ces épisodes de 1992-93, qui n'ont toutefois rien d'un chant du cygne triste, désabusé. Au contraire, Davis a de nouveau imaginé une histoire fournie en péripéties, une intrigue dense et passionnante, ponctuée de moments savoureusement drôles (quoique rares), à la hauteur de sa production.

Le récit s'articule autour d'un piège tendu à l'équipe de héros par un ancien chef d'une branche des services spéciaux britanniques qui, sous le prétexte de chercher un remède pour éviter une mort prématurée à des agents mutants ou hybrides, capture les membres d'Excalibur. Captain Britain occupe une place à part dans ce stratagème puisque Nigel Orpington-Smythe veut en faire son nouveau porte-drapeau en rétablissant grâce à son armée clandestine de surhumains l'empire britannique d'antan.

On est captivé par la manière progressive dont Davis dispose ses pions, révèle le double jeu de "Peter", la situation du RCX, puis comment Nightcrawler et Kitty Pryde soupçonne l'espion de les tromper sur ses intentions. Kurt Wagner devient véritablement le chef de l'équipe et Davis l'écrit comme un personnage à la fois plus posé, raisonné, rationnel, et combatif, dévoilant une énergie inédite dans l'adversité : le téléporteur est en pleine possession de ses moyens physiques (après avoir été longtemps diminué, durant l'époque Claremont mais aussi David) et n'est plus réduit à un acrobate charmeur - non, ici, c'est un leader qui s'assume, qui élabore des stratégies, qui est en première ligne dans les bagarres, qui tempère ses partenaires ou les dirige.

La romance entre Captain Britain et Meggan est aussi plus franche puisque Brian Braddock demande sa belle en mariage  - une décision lourde de sens à un moment où il est encore obsédé par le projet de venger Courtney Ross tuée par son double d'une dimension nazie. Le côté impétueux et fonceur du personnage resurgit néanmoins, mais avec à-propos, quand lui aussi découvre que "Peter" veut le manipuler. Résultat : il s'en prend vraiment plein la figure, comme jamais auparavant, mais Davis met en scène cette humiliation brutale pour convaincre Roma que le héros est plus digne que jamais d'être le champion d'Autre-Monde, le gardien de la Matrice du corps des Captain Britain.

En parallèle, on suit l'errance spatiale et existentielle de Rachel Summers dans l'espace. Pour illustrer ces passages plus contemplatifs, Davis utilise une mise en page plus éclatée, avec des plans larges, des coupes obliques, des pleines pages spectaculaires. C'est alors l'occasion d'un duel à bâtons rompus avec Galactus où l'affrontement physique est aussi important que la morale qu'en tire Rachel sur sa condition d'hôte de la force Phénix. C'est ensuite carrément avec la Mort puis l'esprit de cette force de Vie qu'elle débattra dans des planches somptueuses aux discours d'une profondeur rare dans un comic-book mainstream.

Le casting déployé durant ces cinq épisodes est époustouflant, entre l'équipe d'Excalibur, "Peter" et son bras-droit Lucas, les savants du projet "Cloud Nine", les mutants et hybrides du RCX : Davis ne ménage pas sa peine pour faire vivre tout ce monde, lui donner une identité visuelle immédiatement mémorable et originale, s'amusant même à relooker (de façon sobre et chic) Nightcrawler (mais aussi Rachel avec un clin d'oeil faussement menaçant à sa mère...). Les décors sont extraordinairement fouillés, les scènes collectives à la fois chargées et toujours lisibles, d'une énergie épatante, avec là un découpage plus sage.

Naturellement, avec un tel foisonnement narratif, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne : certains protagonistes sont utilisés de façon accessoires, voire opportunistes - Cerise, Kylun, et même Kitty souffrent plus ou moins à côté des rôles déterminants joués par Nightcrawler et Captain Britain. Mais l'ensemble est tellement accrocheur et l'issue de l'aventure si satisfaisante qu'on ne saurait le reprocher à Davis.

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Et maintenant examinons le diptyque qui conclut le run de l'auteur.
  

Rachel vient d'une terre parallèle et d'un futur alternatif où la population mutante a été décimée par les Sentinelles. Elle s'en est échappée grâce à Katherine Pryde en 2013. La conséquence de son évasion a abouti en 2015 au règne mondial des Sentinelles, dont le chef se nomme la Hiérarchie et le pisteur Ahab, ennemi juré de Rachel qui l'a mutilé en s'enfuyant. 


La prochaine étape est le programme Nimrod, un chasseur androïde ultime. C'est de ce danger que Widget cherchait à alerter Excalibur car le robot est aussi devenu l'hôte de l'âme de Katherine Pryde en 2015. Rachel veut empêcher cela mais l'effort qu'elle doit produire pour se déplacer dans le futur interdit qu'elle puisse emmener ses amis avec elle.


Toutefois, lors d'une connexion entre Widget et Rachel, toute l'équipe d'Excalibur est transportée en 2015 avec elle. Rachel est séparée du groupe et capturée par Ahab tandis que le reste de l'équipe rencontre les derniers résistants contre les Sentinelles, menés par Nigel Orpington-Smythe alias "Arthur", désormais chef d'un nouveau RCX (comme Resistance Coordination eXecutive).
  

En utilisant une Sentinelle endommagée comme cheval de Troie, ils investissent le repaire de la Hiérarchie que Rachel, ayant réussit à se libérer avec Widget, réussit à reprogrammer pour préserver les humains et les mutants, obligeant Ahab à se dérober.

Quel qu'ait été l'intention de Davis à l'époque vis-à-vis de la série (y revenir un jour proche ou plus lointain), il est manifeste qu'il a voulu s'en retirer en rangeant les jouets avec lesquels il avait joués : cela ne suffira cependant pas aux auteurs suivants qui, comme le déplorera le scénariste-dessinateur, n'ont pas exploité tout ce qu'il avait laissé à cultiver. En 1993, quand il s'en va, Davis ne mesure sans doute pas vraiment à quel point l'industrie va changer (est déjà en train de changer) : sous l'impulsion des auteurs-artistes qui créent Image Comics (Jim Lee, Rob Liefeld, Todd MacFarlane, Marc Silvestri, Erik Larsen, Whilce Portacio et Jim Valentino - tous ayant éclos chez Marvel), les comics mutent dans leurs narrations écrites et graphiques vers des séries plus violentes, cherchant à flatter les bas instincts d'un lectorat à la fois bouleversés par la vision noire des super-héros (inspirée au premier degré par Watchmen de Moore-Gibbons) et l'attirance pour des sensations plus fortes mais aussi plus primaires que les icônes classiques de DC ou les "héros à problèmes" de Marvel.

Dans ce nouveau cadre-là, une série comme Excalibur, conjuguant aventures, humour et empathie pour ses personnages, fait figure d'ovni. Trop léger et en même temps construite sur des sagas au long cours, dessinée avec un souci de qualité, écrite avec subtilité, produite à l'ancienne, c'est déjà le vestige d'une époque en train d'être dépassée par des cyborgs, des justiciers nihilistes, des méchants brutaux et sadiques, des graphismes outranciers, des scénarios sommaires (qui ne retiennent pour leurs protagonistes que la surface de héros classiques en aboutissant à des mixes improbables - voir Spawn de McFarlane, empruntant autant à Spider-Man qu'à Batman dans un univers occulte et violent, ou Savage Dragon de Larsen, mélange de Hulk et de super-flic parodique, ou encore Youngblood, une resucée bâtarde des X-Men et des Avengers par Liefeld).

25 ans plus tard, Image Comics est devenu bien plus respectable car, à côté des Spawn et consorts, des auteurs en mal d'indépendance, désireux de posséder les droits de leurs histoires, et reconnus par la critique et le public après s'être aguerris chez Marvel et DC, y publient des cartons comme The Walking Dead, Fatale, Saga et bien d'autres titres qui n'ont rien de super-héroïques (et qui contribuent ainsi à être considérés avec moins de réticence en Europe). Mais en 93, ce n'était pas la même chanson, les mêmes objectifs, les mêmes exigences.

Si Davis a sans doute mésestimé le bouleversement de ce nouvel éditeur sur toute l'industrie, il s'en moque pourtant ouvertement dans les deux derniers épisodes de son run : l'intrigue se situe dans un futur où des robots génocidaires font la loi et où les héros usent de malice et de ruse pour en triompher, en se payant justement la tête de ce qui a influencé les créations des auteurs d'Image Comics - voir Kitty Pryde grimé en pseudo-Sarah Connors dans Terminator est irrésistible.

A la bêtise crasse des "young guns" ayant fui Marvel pour voler de leurs propres ailes, Davis répond en citant Herman Melville via le personnage d'Ahab (soit le capitaine Achab dans Moby Dick), mi-humain, mi-machine obsédé par Rachel/Phénix comme son homonyme par la baleine blanche. Puis c'est au tour d'Homère carrément d'être convoqué quand Excalibur et les résistants de 2015 utilisent une Sentinelle comme cheval de Troie à l'instar d'Ulysse et des guerriers grecs pour pièger les Troyens dans L'Iliade.

Vous ne trouverez rien de tel chez McFarlane, Larsen, Liefeld à l'époque, et encore moins une dernière page comme celle du #67, véritable photo de famille avec tous les héros heureux, souriants, déclarant apprécier le fait d'être ensemble et de savourer une fin heureuse.

Merci pour ça, Mr. Davis, et pour vos planches magnifiques, cet esprit intact, cette exigence de divertir sans abêtir. On aurait aimé que ça dure encore davantage, mais merci quand même.

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Vous pouvez vous procurer ces épisodes dans le recueil en v.o. Marvel Visionaries : Excalibur, volume 3, ou en v.f. dans la revue "Titans" (publiée par Semic - Panini Comics ne jugeant toujours pas opportun de rééditer cela). Un investissement que vous ne regretterez pas !

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