dimanche 26 novembre 2017

ASTRID BROMURE, TOME 3 : COMMENT EPINGLER L'ENFANT SAUVAGE, de Fabrice Parme


Comme chaque début d'année, Fabrice Parme sort un nouveau tome des aventures d'Astrid Bromure. Le dernier en date est paru il y a environ onze mois, mais alors je n'alimentais plus ce blog. Il est donc temps de réparer cet oubli en notant Comment épingler l'enfant sauvage.


Parce qu'elle a découvert qu'elle était l'unique enfant unique dans l'arbre généalogique des Bromure, Astrid souhaite avoir un frère ou une soeur et, par la ruse, convainc ses parents de partir en expédition au Gabokonga pour trouver un enfant sauvage qui remplira ce rôle. Toute la famille, y compris la majordome, la cuisinière et la gouvernante Mlle Poppyscoop, s'envole donc à bord d'un dirigeable pour l'Afrique.


Bien vite, sur place, Astrid et ses proches capturent dans leur campement un pygmée Taba-Tobo en possession d'une figure d'envoûtement à l'effigie d'un enfant sauvage qui profite de la confusion pour récupérer la figurine. Astrid le poursuit et s'enfonce dans la jungle, indifférente aux dangers représentés par la faune locale et accompagnés de son chien Fitz et de son chat Gatsby. Enfin, elle parvient à communiquer avec l'enfant sauvage qu'elle baptise Adam.
  

Cependant la tribu des Taba-Tobo a assiégé le campement des Bromure et leur personnel et les corrige sur leur nature : contrairement à ce qu'affirment les livres occidentaux, ils ne sont pas des sauvages cannibales mais des êtres civilisés soucieux de préserver leur environnement et ils ne persécutent pas sadiquement l'enfant sauvage mais cherchent à lui apprendre à se défendre dans ce cadre hostile où sa seule famille sont des oiseaux qui l'ont recueilli et élevé.


Tandis qu'en échange de ces enseignements, Mlle Dottie, la cuisinière, apprend à la tribu de nouveaux mets à partir de leurs épices, Astrid et Adam apprennent difficilement à faire connaissance. Mais la fillette doit rejoindre ses parents sur le départ. Toutefois, l'aventure n'est pas terminée...

On ne saurait, pas plus que pour les deux précédents tomes, reprocher à Fabrice Parme de n'avoir produit qu'une trentaine de pages pour cet épisode car la densité du récit et de sa narration est telle qu'il y a autant à lire ici que dans un album traditionnel qui compterait une vingtaine de pages supplémentaires.

Passé ce mérite purement quantitatif, c'est une nouvelle fois un enchantement, qui séduira, selon la formule consacrée, petits et grands, quoique de manière différente. Les plus jeunes disposeront d'une aventure très divertissante, mené sur un rythme très soutenu, dont la concision ne risque pas de les rebuter (mais plus sûrement de leur ouvrir l'appétit). Les adultes, eux, apprécieront cette histoire qui explore non seulement le cadre africain, dépaysant par définition, mais surtout une sorte de conte à la morale tolérante très subtile concernant le continent noir comme celui que convoite les blancs plus que les indigènes ne rêvent d'occident et sur le fait qu'aimer quelqu'un ne revient pas à le posséder.

Ce que désire Astrid, c'est en vérité moins un petit frère ou une petite soeur qu'un compagnon de son âge qui présenterait en outre l'avantage de détonner dans son entourage guindé. Mais son fantasme se heurte rapidement à une réalité qu'elle n'avait pas soupçonnée et qui passe par le langage, la communication. Le bon petit sauvage qu'elle convoite n'est pas un jouet docile et imbécile ("l'idiot du village" comme elle le craint) mais un être plein de ressources que le milieu dans lequel il a grandi a formé irrémédiablement différent. En acceptant cette différence, Astrid l'apprécie mais en tire une leçon inattendue : elle, si sûre, convaincue, déterminée, avouera à Mlle Poppyscoop, sa gouvernante, quitter l'Afrique "désorientée" - elle a moins vu le pays, sa nature qu'un des représentants et le fossé culturel qui les sépare et les empêche d'être d'improbables frère et soeur, mais leur permet d'être amis et de savourer que ce les distingue contribue à les enrichir.

La série y gagne en émotion et en mélancolie sans perdre sa bonne humeur et sa tonicité, que le graphisme incroyablement minutieux de Parme exalte. Son découpage est d'une prodigieuse inventivité sans jamais oublier de rester lisible : il y a là une abondance jouissive, une gourmandise de la part de l'artiste composant des pages pleines assouvissant l'appétit du lecteur. On est dans une moyenne de neuf cases mais souvent le nombre s'élève à dix-sept sans que jamais le résultat ne paraisse chargé.

Avec peu, Parme fait beaucoup, c'est même sans doute un de dessinateurs les plus impressionnants à ce niveau : l'enchaînement de ses plans est d'une fluidité parfaite, l'expressivité de ses personnages tient à peu de lignes mais tracées avec une maîtrise extraordinaire. On a souvent cette impression d'être face à l'ouvrage maniaque d'un miniaturiste qui réinterprète les codes de son média pour lui donner une intensité nouvelle. Il faut voir comment son plaisir manifeste à croquer la jungle, ses dangers - avec une faune irrésistiblement cartoony et colorée comme un tableau du Douanier Rousseau - , comble le regard par la vie qui l'anime.

C'est somptueux tout simplement - et on se prend déjà à rêver de la manière dont il va s'emparer de sa prochaine histoire dans laquelle Astrid Bromure investiguera sur le monstre du Loch Ness : tout un programme !   

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