Comme Chrononauts, j'ai pris soin de relire Starlight pour rédiger la critique de cette entrée : bien que j'avais conservé un bon souvenir de l'intrigue, le plaisir simple de m'y replonger a suffi à me motiver. Et je dois bien vous avouer que j'ai une tendresse particulière pour cette histoire réalisée par Mark Milllar avec Goran Parlov, une de ses plus référentielles mais aussi une de ses plus épiques et émouvantes.
Alors pilote de l'U.S. Air Force, il y a quarante de cela, Duke McQueen disparut mystérieusement pour atterrir sur la planète Tantalus qu'il libéra du joug tyrannique de Typhoon. La reine Attala fit ériger une statue à sa gloire et lui proposa le mariage mais il préféra rentrer sur Terre où l'attendait sa fiancée, Joanne. Ils vécurent heureux pendant trente-huit ans, eurent deux fils, avant que le cancer l'emporte. Aujourd'hui âgé de 62 ans, inconsolable et délaissé par ses enfants, il se souvient des moqueries dont il fut l'objet dans les médias en racontant sa rencontre avec des extra-terrestres. C'est alors que, par une nuit pluvieuse, un vaisseau spatial atterrit dans son jardin...
Kris Moor, un adolescent de dix-huit ans, sort dudit vaisseau et ses présente à Duke comme un fugitif en provenance de Tantalus, une nouvelle fois conquise par des envahisseurs, les Broteans, menés par leur chef, le Kingfisher. La population a été réduite en esclavage et les quelques résistants au pouvoir sont trop peu nombreux pour espérer le renverser. Il faut qu'il aille les aider. D'abord réticent, Duke réfléchit une nuit durant et accepte la requête de son invité.
En rejoignant Tantalus, McQueen découvre son paysage dévasté par l'exploitation intensive de mines, sa population résignée. Kris l'invite, en visitant la capitale, à rester discret mais lorsqu'il surprend la police en train de tabasser en pleine rue un civil, il ne peut s'empêcher d'intervenir et tue plusieurs agents des forces de l'ordre. Dépassé par les renforts qui arrivent, il s'enfuit avec Kris mais se fait renverser par une voiture. Quand il revient à lui, il est incarcéré avec l'adolescent et Wes Adams, fan de la pop culture terrienne. Le Kingfisher annonce l'exécution publique le lendemain de Duke mais la résistance, par la décision de leur chef, la belle Tilda Starr, décide de le sauver coûte que coûte.
Sauvés par les rebelles alors que l'amiral Pindar allait les interroger, les trois prisonniers sont évacués jusqu'au repaire de la résistance, via un portail qui les téléporte dans le Sud de la planète. Là-bas, McQueen constate que les ennemis du Kingsfisher sont bien plus importants que ce qu'il croyait et que Tilda Starr culpabilise de n'avoir plus sauver la reine Attala. Elle désigne Duke comme leur nouveau leader et il jure de ne pas les laisser tomber. Puis il réconforte Kris qui lui avoue que Pindar a assassiné ses parents - des chirurgiens ayant échoué à sauver le frère du Kingfisher après un accident. Mais tous ignorent qu'un traître se cache parmi eux et informe l'ennemi en la personne de Wes Adams...
L'armée du Kingfisher fond sur le repaire de la résistance et le gaze pour neutraliser les rebelles. Seul Duke réussit à s'échapper en plongeant du haut d'une falaise dans une rivière. Mais celle-ci est peuplée de créatures dangereuses, le condamnant à une mort certaine. Emprisonnés, Tilda, Kris et leurs troupes seront tous pendus en place publique comme l'annonce le tyran. C'est sans compter avec Duke McQueen qui est parvenu à survivre à la noyade et est plus déterminé que jamais pour en découdre.
Alors que Tilda, Kris et trois autres rebelles vont être exécutés, Duke surgit dans l'arène du château sans portes du Kingfisher et exhorte la foule à se dresser contre ses oppresseurs. Galvanisés par le retour du héros légendaire, les Tantalans se révoltent tandis que Duke libère ses amis et défie le Kingfisher en combat singulier et réussit par la ruse à l'éliminer, tout comme Kris prend sa revanche en abattant Pindar. Une fois encore, après cela, McQueen décline l'offre de rester sur la planète et désigne Tilda comme la nouvelle reine. Kris reconduit Duke sur Terre où il en profite pour prouver à ses fils et au Président des Etats-Unis que ses aventures spatiales n'étaient pas un canular. Un ans plus tard, il dîne avec sa famille réunie autour de lui puis s'éclipse pour aller fumer dehors, envoyant un baiser aux étoiles pour sa femme.
Publié en 2014 par Image Comics, Starlight respire le rêve de gosse de Mark Millar, lorsqu'il découvrit les "illustrés" dans on Ecosse natale et s'extasiait en lisant des histoires épiques et manichéennes comme tout fan de comics. C'est sans doute pour cela qu'on adhère si facilement à son projet : parce qu'il nous renvoie à nos premières émotions de jeunesse quand on apprit quasiment à lire (ou en tout cas à aimer lire) de la bande dessinée - une passion qui ne nous quitterait plus, à laquelle nous resterions fidèle notre vie durant, malgré le scepticisme des "grands" devant cette littérature colorée, mais moins noble que les "classiques".
Rétrospectivement, Starlight annonce aussi de façon troublante le plus récent Reborn (dont j'ai parlé récemment) en abordant le récit avec un personnage à l'hiver de sa vie. Comme Bonnie Black, Duke McQueen est quelqu'un qui a vécu longtemps, aimé, souffert, connu la joie, la gloire, le déclin, la tristesse : Millar en dresse le portrait de manière sobre mais touchante en ne s'appesantissant pas, il laisse les images de Goran Parlov parler plutôt que d'en rajouter avec un commentaire en voix-off, et quelques cases, quelques pages suffisent pour résumer à grands traits ce que fut l'existence de cet homme.
Le dessinateur croate convient parfaitement à la narration directe et au découpage sans complexité de Millar - ceux qui ont lu ses aventures du Punisher ou de Nick Fury (dans la collection adulte Max de Marvel), écrites par Garth ennis, savent avec quel brio il tire parti de séquences entières avec un seule type de cases qui occupent en fait toute la largeur de la bande. Son trait à la ligne souple et nerveuse, grandement influencé par Moebius (en particulier sa période où il conçut Le Monde d'Edena, en expérimentant à partir de la "ligne claire" dans un style semi-réaliste), aboutit à une formidable lisibilité graphique tout en donnant forme aux fantaisies les plus débridées (le design des vaisseaux, des armes, les décors baroques de Tantala).
Parfois on décèle chez Parlov une autre influence, plus cartoony, qui se remarque notamment dans le physique de Duke McQueen âgé, le faisant étonnamment ressembler à un autre héros rangé des voitures, Bob Paar, le père de famille des Indestructibles (Brad Bird, 2004).
Ceci n'est sûrement pas une coïncidence tant Millar lui-même semble s'inscrire dans cette même veine : lorsque Kris Moor vient demander son aide à Duke, on pense aussi à la mission-piège à laquelle répond Mr. Indestructible dans le film, et lorsqu'il se jette dans l'action avec la fougue du jeune homme qui, 40 ans auparavant, sauva le royaume de la reine Attala, si on peut s'étonner de l'agilité d'un sexagénaire, on pardonne cette licence pour le fun qu'elle procure.
Le nom même de Duke McQueen évoque d'autres clins d'oeil au cinéma puisque "Duke" était le surnom de John Wayne et McQueen rappelle le "king of cool" Steve McQueen, deux icônes du film d'aventures.
Mais, bien sûr, dès la couverture de l'album (curieusement réalisée par John Cassaday, alors que Goran Parlov signe toutes celles des épisodes intérieurs avec maestria), Starlight doit l'essentiel à Flash Gordon d'Alex Raymond (Millar pitcha d'ailleurs son projet comme un "mélange de Flash Gordon et d'Impitoyable" réalisé par Clint Eastwood). Si le résultat n'a rien de commun avec la puissance crépusculaire du long métrage d'Eastwood, les flash-backs (très brefs) et le baroud d'honneur du héros sur Tantala contre le Kingfisher (un méchant générique, manquant un peu de charisme) s'inscrit dans un propos très premier degré - à cet égard, si une adaptation cinématographique de cette histoire devait voir le jour (comme Millar l'envisage avec tous ses creator-owned), il serait plus judicieux d'en tirer un film d'animation car en prises de vue réelles, le kitsch de l'entreprise nécessiterait une complicité difficile à gagner du public.
Si l'intrigue est conventionnelle et convenue, le dénouement est poignant et d'une sobriété admirable : l'ultime preuve que Starlight mérite une place à part dans la production de son auteur.