mardi 24 octobre 2017

MR. MERCEDES (Saison 1) (Audience Network)


Le triomphe en salles de l'adaptation cinématographique de ça (que je n'ai pas vue), celle de La Tour sombre (que j'aurai préférée ne pas voir - ce qui explique que je n'en ai parlé ici), la saison 2 imminente de Stranger Things (largement inspirée de son oeuvre - il faudra que je trouve un moment pour voir ce que donne déjà la saison 1), entre autres choses, contribuent actuellement à donner au romancier Stephen King une luminosité spectaculaire, comme si cela offrait aux commentateurs la mesure de son influence littéraire depuis plus de quarante ans.

Mr. Mercedes permet d'apprécier encore cette actualité avec une qualité épatante : la saison 1 de cette série en dix épisodes (qui forme un récit complet, mais l'écrivain a rédigé une trilogie avec le héros) a été approuvée par l'auteur, au point qu'il en est co-producteur, mais doit aussi beaucoup à l'intriguant trio qui a convaincu Audience Network de la diffuser - David E. Kelley, Dennis Lehane et Jack Bender. Explorons ce remarquable et terrible thriller

 Bill Hodges (Brendan Gleeson)

Un soir où plusieurs centaines de chômeurs attendent dans le froid d'entrer dans un salon pour l'emploi, huit d'entre eux sont tués et des dizaines blessés par un chauffard au volant d'un Mercedes derrière un sinistre masque de clowns. L'affaire ne sera jamais résolue et mise sur le compte d'un coup de folie par un individu ayant ensuite disparu en abandonnant le véhicule qu'il avait volé.

La lettre de Mr. Mercedes

Cette tragédie hante pourtant encore, deux ans plus tard, l'ex-inspecteur de police Bill Hodges, désormais à la retraite, tout comme ses autres échecs personnels (sa femme a divorcé, il a dû placer sa fille unique en centre de désintoxication après des récidives de conduite en état d'ivresse et de consommation de drogues). Il noie ses démons dans l'alcool, songe au suicide, malgré son voisinage avec Ida, une veuve qui lui a proposé d'unir leurs deux solitudes. Mais la situation bascule lorsque Bill reçoit une lettre dont l'expéditeur prétend être "Mr. Mercedes".

L'inspecteur Peter Dixon et Bill Hodges (Scott Lawrence et Brendan Gleeson)

Parce qu'il mentionne des éléments que seul l'assassin connaît, comme Olivia Trelawney (la propriétaire de la voiture, qui s'est suicidée, accablée par l'opinion et la culpabilité) et les circonstances du massacre, Bill en informe son ancien partenaire, toujours en fonction, Peter Dixon. Mais ce dernier pense à un macabre canular, d'autres s'étant accusés des faits par le passé sans que cela aboutisse.

Debbie et Brady Hartsfield (Kelly Lynch et Harry Treadaway)

Ce qu'ignorent Bill et la police, c'est que "Mr. Mercedes" est tout près : il s'agit d'un jeune homme, Brady Hartsfield qui occupe deux boulots - vendeur de glaces dans le quartier où habite Hodges, et réparateur-vendeur en électronique dans un magasin du centre-ville. Il vit seul avec sa mère Debbie, avec laquelle il entretient une relation incestueuse depuis les morts de son père et de son frère cadet en bas-âge, et a installé dans le sous-sol de leur maison un équipement informatique sophistiqué lui permettant de commettre des actes de piratage.

Janey Patterson et Bill Hodges (Mary-Louise Parker et Brendan Gleeson)

En enquêtant seul, Bill fait la connaissance de Janey Patterson, la soeur d'Olivia, qui l'embauche pour enquêter sur le suicide de cette dernière et retrouver celui qui a volé sa voiture pour tuer ces innocents. Rapidement, unis par la même soif de vengeance et une attirance réciproque, ils deviennent amants. Pour l'aider dans ses investigations, Bill peut compter sur Jerome Robinson, un lycéen de son voisinage, féru d'informatique, grâce à qui il communique bientôt directement avec "Mr. Mercedes". Celui-ci le défie de l'arrêter ou de se suicider s'il en est incapable, comme semble en être convaincu Brady.

Holly Gibney et Jerome Robinson (Justine Lupe et Jharrell Jerome)

Deux événements vont précipiter les deux adversaires dans l'abîme. D'abord, peu après avoir interrogé la mère de Janey (et feue Olivia), Bill assiste à ses funérailles. Bill réconforte Holly Gibney, la jeune cousine de Janey, cette dernière en profitant pour aller chercher la voiture du détective que fait alors exploser à distance Brady. Mais, ensuite, Debbie Hartsfield meurt accidentellement en mangeant un hamburger empoisonné, destiné au chien de Jerome, par son fils. Bill rechute dans l'alcool mais cette fois Peter Dixon et ses anciens collègues admettent qu'il a raison à propos du retour de "Mr. Mercedes". Brady, lui, conçoit alors un nouvel attentat pour se venger de son patron, qui le harcèle et a renvoyé sa meilleure amie, mais aussi pour entrer dans l'Histoire, quitte à mourir pour rejoindre sa mère.

Brady Harstfield

Le tueur est identifié après que la police ait appris que Brady avait plusieurs fois réparé des équipements chez Olivia Trelawney. Pensant l'arrêter chez lui, les flics échappent de peu à l'incendie programmé de sa maison, dans laquelle on trouve les cadavres calcinés de sa mère et de son boss. Reste à savoir où Brady va frapper : deux sites sont des cibles potentielles, mais Bill suit son instinct et se rend à la fête donnée en faveur d'une fondation artistique à laquelle seront présents Jerome, Holly et la meilleure amie de Hartsfield. Il le repère in extremis dans la foule, prêt à se faire sauter avec des explosifs sous la chaise roulante avec laquelle il se déplace incognito, la tête rasée. Mais Bill a un malaise cardiaque et perd connaissance juste au moment où Holly assomme Brady plusieurs fois pendant que Jerome rattrape son détonateur.

"Si un jour tu te réveilles, sache que je serai là." (Bill Hodges à Brady Hartsfield)

Jerome part pour Harvard où il va poursuivre des études universitaires. Holly s'émancipe de sa mère et s'installe seule dans un appartement. Bill a survécu à son infarctus mais, avant de quitter l'hôpital, vient s'assurer que Brady est toujours dans un coma, irréversible selon les médecins : il lui promet pourtant d'être là si un jour il se réveille.


J'ai eu ma période Stephen King, brève mais intense, durant laquelle j'ai lu plusieurs de ses romans (bien que cela représente une part infime de son abondante production). Puis j'ai fini par caler lorsque j'ai d'abord entamé Désolation sans réussir à l'achever, puis pareillement avec la saga de La Tour sombre (même si, là, j'ai insisté durant trois tomes). 

Depuis, d'autres auteurs, d'autres univers m'ont accaparé. Je ne peux pas dire que je suis un fan de ce romancier, même si je lui reconnais un talent de conteur sidérant, et que sa popularité ne me semble pas usurpée tant il est indéniable que son oeuvre est de qualité en éprouvant le lecteur (par le volume de ses livres mais aussi par la terreur que provoque ses récits). 

Je dois, en outre, remercier Artemus Dada, un collègue blogueur, pour avoir attiré mon attention sur la série Mr. Mercedes : sans un de ses articles, je sera passé à côté de ce titre dont j'ignorai qu'il appartenait à la bibliographie de King. Je découvrais aussi que le projet de cette adaptation était développée par David E. Kelley, créateur d'Ally McBeal et The Practice (notamment), deux séries dont je garde d'excellents souvenirs. Ajoutez-y le romancier Dennis Lehane, à qui on doit des polars fameux comme Gone, baby, gone ou Mystic River (transposés au cinéma par Ben Affleck et Clint Eastwood) au poste de consultant, et si vous n'avez pas envie de voir le résultat, je n'y comprends rien.

Et quel résultat ! Au départ, toutefois, l'objet désarçonne : le rythme de la narration en particulier, une fois son abominable scène d'ouverture, a valeur de test. En vérité, cette lenteur, qui épouse l'âge du héros, est moins pesant que dense et permet d'identifier ce que chacun des auteurs a apporté à la série. On peut ainsi avancer que la caractérisation fine doit à Kelley, l'ambiance policière à l'ancienne à Lehane, le climat horrifique à King. 

Sauf erreur ou distraction de ma part, tous les épisodes ont été réalisés par Jack Bender, un vieux routier de la télé, qui était derrière la caméra pour des productions émérites comme Boston Public (déjà une série de Kelley), Alias et Lost (créées par J.J. Abrams), Boomtown. Il a appliqué à ces dix chapitres une mise en scène rigoureuse, d'une sobriété exemplaire, s'appuyant sur un effet miroir saisissant : en effet, les scènes avec Brady sont quasiment aussi nombreuses que celles avec Bill, elles se répondent même souvent et épousent stylistiquement (par le soin apporté à la photo, aux mouvements d'appareil, au montage) la personnalité des deux adversaires.

Car Mr. Mercedes, c'est avant tout l'opposition de deux mondes : d'un côté un ancien flic au bout du rouleau, un dinosaure, un ours mal léché, qui se fiche désormais du règlement, qui vit très mal sa retraite (d'autant plus qu'il a achevé sa carrière sur l'affaire du salon de l'emploi, conspué par la presse locale, subissant le dédain las de ses anciens collègues, courtisé un temps par sa voisine veuve) ; de l'autre un geek psychopathe, incestueux, assoiffé de reconnaissance et persécuté professionnellement, qui défie ce vieux policier de se suicider ou de l'attraper, aussi intelligent que cruel, mais souffrant aussi d'être désocialisé, déconsidéré.

Bien qu'ils soient formidablement entourés par des seconds rôles mémorables (plaisir de revoir Mary-Louise Parker perdue de vue depuis Weeds, découverte de Jharell Jerome et Justine Lupe, présences impeccables de Scott Lawrence et Holland Taylor dont les visages sont familiers), le duel à distance que se livrent les deux vedettes du programme est d'une puissance rare. Harry Treadaway compose un tueur vraiment flippant et glaçant, une vraie performance, habitée, parfois très extravertie, limite surjouée pour souligner le malaise que dégage Brady/Mr. Mercedes. Pour le contraste, il fallait un comédien au registre différent pour soutenir ce personnage et qui de mieux que l'impressionnant, massif autant que fébrile, dur et tendre à la fois, têtu, soucieux, j'ai nommé Brendan Gleeson, absolument prodigieux.

La réussite de la série tient à son équilibre narratif, sa gravité, sa tension, la prestation sensationnelle de ses deux acteurs principaux, la qualité de sa réalisation (saurez-vous repérer Stephen King dans un apparition sanguinolente à souhait ?) et la subtilité de son écriture. On entre dans cette histoire à pas de loup, puis on est pris par le col, saisi à la gorge, et on en sort pantelant. Rude, mais jouissif.  

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