lundi 2 octobre 2017

A GHOST STORY, de David Lowery


A l'heure qu'il est, A Ghost Story n'a toujours pas de date de sortie en salles en France, faute de distributeur. Si on peut estimer qu'un tel film n'a rien pour obtenir un grand succès, il est toutefois dommage d'en priver le public car le nouvel opus de David Lowery est une oeuvre aussi singulière que poignante : l'anti-Ghost (David Zucker, 1990) par excellence.

 C. (Casey Affleck)

C. et M. vivent ensemble dans un pavillon d'une banlieue éloignée de tout. C. est musicien et travaille à la maison, tandis que M. a un emploi à l'extérieur (sans qu'on sache de quoi il s'agit). Ils s'aiment malgré de petites crises.

M. et C. (Rooney Mara et Casey Affleck)

Leur principal différend concerne la maison elle-même que M. n'aime pas et dont elle essaie, jusqu'à présent en vain, de convaincre C. de la vendre pour s'installer ailleurs. Il lui répond qu'elle l'inspire parce qu'ils y ont fait leur vie ensemble mais aussi qu'il se sent incapable de prendre une telle décision dans l'immédiat.

M. (Rooney Mara)

Une nuit, un bruit réveille le couple qui inspecte rapidement les pièces de la maison sans rien remarquer de suspect et vont se recoucher. Le lendemain, C. meurt devant chez lui en étant percuté en voiture par un autre automobiliste. M. va identifier son corps à la morgue puis se retire, écrasée de chagrin. Peu après, le corps de C. se redresse sous le drap mortuaire et erre dans l'hôpital sans que personne ne le remarque. Un portail lumineux s'ouvre dans un mur mais il refuse de s'y engager et rentre chez lui.

Le fantôme et M.

Dans la maison, le fantôme de C. assiste à la détresse de M., puis un soir elle est raccompagnée jusqu'au seuil par un autre homme avec qui elle échange un baiser. Elle prépare ses cartons et son déménagement, effectuant de petites réparations avant l'état des lieux - à cette occasion, elle glisse dans la fente d'un mur porteur un petit bout de papier sur lequel elle a écrit un message (dont nous ne connaîtrons jamais la teneur) puis rebouche le trou avec de la peinture.

Une âme en peine

Le fantôme de C. essaie, sans succès, de récupérer ce message tandis qu'une mère célibataire mexicaine s'installe avec ses deux enfants. Il les effraie pour les faire fuir. Bientôt, victime de sa réputation de maison hantée, le pavillon est démoli. On édifie à sa place un immeuble abritant des bureaux où le fantôme de C. erre, invisible au milieu des occupants. Il finit par se suicider en se jetant du toit. 

Observateur silencieux de l'éternité 

Ce faisant, il a remonté le temps jusqu'à l'époque où une famille de pionniers du far-west a voulu s'établir sur ce terrain, avant d'être tuée par des indiens. Le temps défile et le fantôme de C. assiste à la répétition de son histoire quand lui et M. se sont installés, que leur couple a affronté ses crises conjugales, puis que M. est devenue veuve. De nouveaux locataires squattent le pavillon un temps ensuite avant qu'il ne soit laissé à l'abandon. Le fantôme parvient enfin à récupérer le papier glissé dans le mur par M. et après l'avoir lu, il perd toute substance, quittant enfin notre monde.

Si j'étais critique aux "Cahiers du Cinéma" ou aux "Inrocks", voire à "Télérama", je dirais volontiers que A Ghost Story est un "geste de cinéma".

Sarcasme à part, s'il faut accepter la radicalité du projet, on est alors profondément touché par cette "histoire de fantôme" dont le fond et la forme en font un film complètement unique. David Lowery l'a tourné avec un budget minuscule en convainquant les acteurs de son précédent long métrage (Les Amants du Texas, 2013) de s'y investir sur la foi d'un script lui-même esquissé.

En vérité, il n'est pas ou moins question ici de fantôme ou de deuil que du temps qui passe - ce temps qui forge un couple mais aussi l'use, creuse l'incommunicabilité entre les amants, donne de la perspective à la perte de l'être cher, de la substance à l'attente du retour. Lowery ose même dans le dernier tiers du film remonter le temps lorsque son fantôme, n'en pouvant plus d'être seul, invisible, se suicide en espérant rejoindre un ailleurs où il n'a pas voulu aller au début de l'histoire : le voilà propulsé au XIXème siècle, toujours au même endroit, mais assistant à l'arrivée d'une famille de pionniers, bientôt tuée par des indiens. Puis, immortel, il assiste au passage des ans jusqu'à une séquence vertigineuse où il revoit son arrivée avec sa compagne dans leur maison, leur vie conjugale, leurs différends, et même à la répétition de sa mort puis au départ de sa bien-aimée.

On pourrait évoquer un tour de force narratif si ce n'est que le film ne joue jamais la carte de la démonstration - il la fuit même absolument. Les 3/4 de l'histoire se déroulent dans le silence le plus total, et les rares sont qui subsistent sont ceux de la discrète bande originale ou des sons naturels. Cette rareté des dialogues fait place à des échanges de regards, des gestes délicats (quelquefois violents aussi, comme lorsque le fantôme effraie la famille mexicaine). Lowery sollicite nos sens plutôt que notre intellect mais en invoquant un fantastique naïf (le fantôme est représenté de manière très simple : un drame avec deux trous au niveau des yeux) et troublant malgré tout (plusieurs scènes s'étirent pour nous faire ressentir le manque, le chagrin, la solitude, cette pesanteur terrible, écrasante qui nous écrase quand on a perdu quelqu'un de cher).

Ce minimalisme s'étend à la mise en scène - l'image est en 4/3, donc carrée - et le jeu des comédiens - Casey Affleck est, comme d'habitude, époustouflant de sobriété mélancolique, et Rooney Mara est bouleversante sans verser une larme. Le peu de moyens de la production sert l'épure du traitement en infusant une âme à ce sujet.

Si l'ironie est donc facile pour parler de A Ghost Story, il est indéniable que ce film vous hante durablement.   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire