Après un 25ème tome décevant (Aïna, traitant de l'esclavagisme moderne dans une enquête située à Paris), Alain Dodier devait se ressaisir. Le fan de toujours que je suis est pleinement rassuré avec ce nouvel épisode qui, non seulement, rassure sur le plan narratif mais convoque de vieux souvenirs datant des premiers albums de Jérôme K. Jérôme Bloche, le plus attachant des détectives privés de la BD franco-belge.
Alors qu'il s'apprête à partir en Italie avec sa fiancée, Babette, qui profite d'un congé, Jérôme reçoit un appel téléphonique de son oncle qui réclame sa présence à Bergues car la fille de son patron, Antoine De Meester, a fugué.
Sur place, l'ambiance est tendue car les recherches de la police n'ont rien donné et Jérôme, qui insiste pour rencontrer la mère de la jeune fille, n'obtient pas gain de cause. Babette en veut aussi au détective car la météo est exécrable et la grand-mère de ce dernier ne cache pas son antipathie envers De Meester.
Malgré tout, Jérôme mène son enquête et fait quelques découvertes troublantes : De Meester se révèle être un véritable tyran, aussi bien en affaires qu'avec sa famille ; son fils, Adrien, qui fut le meilleur ami d'enfance de Jérôme, mais qui a coupé les ponts avec son père, est soupçonné d'avoir enlevé Charlotte, sa soeur, et la tante et la grand-mère du détective ne sont peut-être pas étrangères aux dessous de cette affaire...
Comme depuis le début de la série, et de manière systématique depuis que Dodier l'écrit et la dessine, une histoire qui se déroule à Paris (où habite et a son agence JKJB) est suivie d'une autre se passant en province. Le Couteau dans la plaie n'est cependant pas qu'un simple dépaysement mais aussi un retour aux sources puisque le héros va devoir mener une enquête là où vivent son oncle, sa tante et sa grand-mère.
Tout cela nous renvoie aux premiers tomes des aventures de Bloche, notamment le superbe Passé recomposé, mais Dodier ne se contente pas d'exploiter à nouveau le lieu des origines familiales de son détective, il s'en sert pour un récit palpitant, tortueux et qui enrichit le passé de Jérôme.
L'auteur avait failli dans son précédent tome à s'emparer d'un sujet, certes délicat, en le traitant sur le ton de la comédie policière. Ici, il n'a rien laissé au hasard en se préoccupant à nouveau de son héros, de ses investigations, et en greffant les éléments dramatiques autour d'eux. Progressivement, on apprend à connaître les seconds rôles, à deviner les coulisses de ce dossier (pourquoi Charlotte a fugé ? Pourquoi Madame De Meester vit-elle cloîtrée ? Pourquoi l'oncle de de Jérôme craint-il Antoine De Meester ? Où est passé et quel rôle joue exactement Adrien ?). Il y a une vraie montée en puissance.
Dodier agrémente le tout de touches plus légères, subtilement décalées, parfois référentielles : Jérôme parle tout seul (ou au chien qui l'accompagne - ce gros toutou apparu dans le tome 24, L'Ermite - à la manière de Tintin et Milou - même si, ici, dans un contexte plus réaliste, l'animal ne s'exprime pas verbalement), fouine apparemment mollement (plus intéressé par la re-découverte des terrains de jeux de son enfance que par le sort de la fugueuse, plus préoccupé par son moyen de transport ou le fait de récupérer un couteau de scout, du moins en apparence). Cette façon lunaire, faussement désinvolte, de remplir sa mission, tout en composant avec la mauvaise humeur de son oncle et de sa fiancée et les cachotteries de sa grand-mère, sa tante, de De Meester, ou la réapparition d'Adrien déconcerte le lecteur pour mieux l'accrocher - et in fine prouver que Jérôme ne néglige pas son affaire. C'est un privé qui avance en s'imprégnant de son environnement, de ses proches - une manière de faire inspirée du Maigret de Simenon.
Par ailleurs, et là, il n'a jamais déçu, Dodier met superbement son histoire en images : son style n'a rien de flamboyant, mais il est, en vérité, très solide, très réfléchi. Le découpage alterne des planches en quatre ou cinq bandes (les premières quand l'action accélère, les autres pour représenter la progression laborieuse de l'enquête au fil d'allers et retours, de déplacements divers). Il varie avec un équilibre impeccable scènes d'intérieurs et d'extérieurs, grâce à des décors très étudiés (le dessinateur procède à de nombreux repérages photos) et il est aussi à l'aise pour animer les personnages (expressifs, aux physionomies mémorables) que pour jouer sur les effets d'ombres et de lumières (au gré de scènes nocturnes ou diurnes). Lire Dodier est aussi merveilleusement agréable grâce à cette fluidité, ce soin apportés au graphisme, prolongeant la narration écrite.
Retour gagnant donc. Suivant la périodicité régulière de l'auteur, on devrait retrouver Jérôme K. Jérôme Bloche dans environ un an et demi.
Votre analyse est précise, juste, et donne envie de relire l'album.
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