mercredi 27 septembre 2017

EMPRESS, BOOK ONE, de Mark Millar et Stuart Immonen


Après avoir attiré dans les filets de son "Millarworld" des artistes aussi prestigieux que John Romita Jr. (Kick-Ass et Hit-Girl), Rafael Albuquerque (Huck), Sean Gordon Murphy (Chrononauts), Duncan Fegredo (MPH), Goran Parlov (Starlight), Dave Gibbons (Kingsman : The Secret Service), Frank Quitely (Jupiter's Legacy), Leinil Yu (Super Crooks et Superior), Steve McNiven (Nemesis) ou JG Jones (Wanted) pour autant de mini-séries (à suivre ou en récits complets) optionnées pour des adaptations cinéma, Mark Millar a réussi à convaincre Stuart Immonen de l'accompagner sur une nouvelle création : Empress, dont c'est le tome 1 (mais il faudra sans doute être patient avant de lire le tome 2 puisque l'artiste est engagé actuellement sur Amazing Spider-Man).

Au menu, de la SF "feel-good" à grand spectacle ! 

Il y a 65 millions d'années, la Terre était déjà peuplée d'humains et d'aliens sous le joug du terrible Morax dont les conquêtes duraient depuis 150 ans. Gouvernant par la force et la peur qu'elle inspire, il est l'époux d'Emporia, mère de leurs trois enfants - Aine, Adam et Puck - , qui veut à présent le fuir pour épargner à sa progéniture de grandir auprès d'un tel régime.


Pour cela, la reine peut compter sur l'aide du capitaine Dane Havelock, chargé de la sécurité du royaume. Ils réussissent à gagner Antares où un ancien frère d'armes du capitaine, Tor Blinder, doit leur confier un téléporteur. Ils se déplacent donc sur Arcturus, monde glacé qui sert de réserve pour les animaux en voie d'extinction mais où leur présence est vite signalée. Direction : Sotromia, où ils surgissent au beau milieu de courses automobiles ; puis Fritan-Trillias où deux clans s'affrontent, et enfin Aramir, planète qui sert de repaire à l'entreprise de tourisme Quez.


Morax piste les fugitifs, résolu à tuer sa femme et Havelock et à récupérer ses enfants. Il recrute la section Neerol à l'intelligence limitée mais à la docilité et à l'efficacité implacable pour retrouver celle qu'il a rencontré dix-sept ans auparavant dans un bar où elle était serveuse pour en faire sa reine, sa femme et la mère de ses héritiers, sans rien vouloir savoir de son passé - une exigence qui lui réservera une énorme surprise...


... Mais que compte bien exploiter Emporia puisque son plan consiste à se réfugier un temps chez sa soeur Valeria, inconnue de Morax. Pour cela, elle et ses enfants avec Havelock et Tor échapperont à des pirates vendeurs d'esclaves, à des mondes perdus et hostiles (Golgoth et son ciel si pollué que le téléporteur ne peut le percer pour repérer un nouveau point de chute, Nakamoor et sa tribu d'indigènes dont le shaman veut offrir les fugitifs en sacrifice à la divinité locale afin que les femmes soient à nouveau fécondes).


Arrivés enfin sur Pius, Emporia est trahie par sa soeur et Aine, sa fille, qui l'a surprise en train d'embrasser Havelock, contacte son père pour qu'il vienne la chercher. La reine défie alors son roi pour obtenir sa liberté dans un combat qui semble perdu d'avance...

Dans la carrière de Mark Millar, il y a un avant et un après Civil War, la saga publiée en 2006-2007 par Marvel, énorme succès qui, en plus de celui de la série Ultimates (volume 1), apporta au scénariste la possibilité d'alterner commandes et productions personnelles sous la bannière du "Millarworld" (qui devint ensuite un label indépendant).

Dans l'oeuvre de Millar, au sein du "Millarworld", il y a un avant et un après Kick-Ass, dix-huit épisodes pour lesquels il débaucha John Romita Jr. et qui furent adaptés en deux films, cartons commerciaux conséquents qui prouvèrent que, désormais, son auteur avait accédé à un stade où il pouvait se permettre de faire ce qui lui plaisait. 

Alors que le "Millarworld" a récemment été racheté par la plateforme Netflix (en vue de futures et nombreuses adaptations en films et séries), Millar a, quoi qu'on en pense, gagné son pari (devenir un indépendant à succès) et sa place à la table des grands. Il ne s'agit pas de le comparer avec des colosses comme Marvel/Disney ou DC/Warner, mais il occupe une situation unique dans l'industrie puisque c'est sur son nom qu'il convainc artistes et producteurs de miser sur ses productions.

S'il n'a pas totalement renoncé à son légendaire bagout (annonçant chacun de ses projets comme la BD du siècle) et quelques outrances stylistiques (en recourant à des provocations faciles - histoires violentes, humour racoleur), il faut cependant nuancer cela en remarquant qu'il développe des récits "feel-good" dans la mesure où il revisite des genres qu'il apprécie depuis toujours en les traitant de manière à ce qu'il ne soit pas réservé à des "mature readers". Il suffit de lire Chrononauts, Starlight ou Huck pour s'en convaincre.

Empress s'ajoute à cette liste de titres légers, fun, divertissants. En surface, in s'agit d'un space opera classique dans lequel s'inscrit une cavale mouvementée. Si on creuse un peu (mais pas trop, car c'est évident et que le scénario n'est pas profond, ne cherche pas à réinventer quoi que ce soit), on y trouve aussi un brin de romance et une affaire de famille hors normes. Enfin, en situant son intrigue dans le passé lointain de la Terre, Millar s'amuse à revisiter la mythologie de Kirby selon laquelle, avant l'apparition de l'homme existait déjà une civilisation plurielle et supérieurement évoluée : on a donc droit au plaisir enfantin de croiser aussi bien des vaisseaux spatiaux que des dinosaures, un roi tyrannique qu'une princesse aux secrets détonants, un capitaine chevaleresque que des enfants prodiges.

Pour visualiser tout cela, avoir Stuart Immonen avec soi est un indéniable atout : le talent multiforme du bonhomme, sa capacité à savoir tout parfaitement dessiner, son style qui s'adapte au sujet avec une souplesse toujours bluffante, sont autant de bénéfices pour un scénariste qui veut se distraire et en mettre plein la vue à ses lecteurs. De ce côté-là, rien à redire : les sept épisodes de ce Book One sont impressionnants et jouissifs.

Immonen a choisi d'illustrer cette saga d'un trait épuré, dont le tracé exclut toute hachure et minimise les à-plats de noir. La ligne suggère les volumes ici et l'esthétique est d'une lisibilité magnifique, même dans les scènes aux décors opulents, d'une richesse de détails ahurissante (voir par exemple la grande rue d'Antares, saisie en plongée au début du deuxième chapitre, grouillante de monde, sous la pluie et encadrée par des façades aux enseignes lumineuses). Le découpage est sommaire en revanche : une moyenne de quatre cases par planche, des vignettes occupant souvent toute la largeur de la page, tout suggère là un sorte de quasi-story-board prêt-à-filmer. Mais quelle énergie !

Wade Von Grawbadger, l'encreur attitré d'Immonen, mérite une fois encore les éloges pour sa faculté d'adaptation à coller au travail de l'artiste, avec lequel il forme vraiment la paire la plus parfaite des comics actuels (depuis au moins vingt ans maintenant).

Saluons aussi Ive Svorcina, coloriste croate d'habitude associé à Esad Ribic, et qui remplaça Dave McCaig initialement choisi (mais qui a participé à la couverture des deux premiers épisodes et de la couverture du recueil).

Bien entendu, il faut pour apprécier Empress être indulgent avec quelques facilités (l'usage bien pratique et providentielle du téléporteur, la surprise finale révélée par Emporia) et le cliffhanger final (quel est ce fameux secret caché par Havelock ?). Mais je défie quiconque de ne pas prendre plaisir à cette virée trépidante dans l'espace !

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