samedi 26 août 2017

THE KAMANDI CHALLENGE #8, de Keith Giffen et Steve Rude


The Kamandi Challenge fait partie, comme Mister Miracle (de Tom King et Mitch Gerads) et d'autres parutions déjà sorties ou à venir, des publications conçues par DC Comics pour honorer le centenaire de la naissance de Jack Kirby. 

Le projet comptera douze épisodes (et se terminera donc en Décembre) et a été construit sur un monde narratif en forme de "marabout-bout de ficelle" qui promettait d'être ludique. A chaque épisode, une équipe créative différente et pour passer le témoin à la suivante, l'obligation d'enchaîner le nouvel épisode avec la dernière case du précédent.

Procédé effectivement amusant mais résultats inégaux, dépendant forcément de l'inspiration des scénaristes et du talent des dessinateurs, mais aussi de mixer à la fois la mécanique d'un one-shot tout en inscrivant le récit dans une maxi-série cohérente. Il y a eu de belles réussites (même si je n'ai pas tout lu), mais ce huitième chapitre se distingue du lot par sa qualité exceptionnelle et son sens de la rupture. 

Mais un mot de l'histoire d'abord, qui tient sur peu de choses mais s'avère palpitante : Kamandi débarque, en atterrissant avec un deltaplane de fortune, sur une plage (où il se débarrasse d'un parasite mental - élément issu du #7).
Rapidement, il fait la connaissance de deux tribus rivales d'animaux évolués : l'une vénère une divinité du nom d'Ulysses, l'autre un dieu appelé Odysseus. Mais au lieu de cohabiter pacifiquement en pratiquant leur culte chacune de leur côté, elles se livrent à une guerre de longue date.
Kamandi en découvre la raison quand il voit que la statue d'Ulysses est aussi celle d'Odysseus, et donc que les deux clans s'affrontent pour un être suprême possédant deux noms différents. Obligé de prendre parti successivement pour l'un ou l'autre des deux camps, il comprend qu'il n'y a pas d'issue à cette guerre absurde où personne ne veut admettre la vérité...

Pourquoi donc The Kamandi Challenge #8 est si réussi, plus que les sept précédents ? D'abord parce que le duo formé par Keith Giffen, au scénario, et Steve Rude, au dessin, est certainement la plus évidente, la plus légitime à assumer l'héritage de Kirby.

Giffen, qui est aussi artiste, a un style tout entier inspiré de celui du King, et sa narration est également au diapason, nerveuse, abondante en action, en grand spectacle, en allusions métaphoriques, en méta-textualité.
Rude a lui aussi toujours revendiqué Kirby comme son maître, avec Russ Manning et Alex Toth, et ce n'est pas la première fois (comme Giffen, qui avait réanimé O.M.A.C. notamment durant les "New 52", hélas ! sans grand succès) qu'il dessine des personnages iconiques créés par son prestigieux modèle (on lui doit par exemple, sur une scénario de Bruce Jones, une saga en quatre parties de Captain America, What price glory ?, jamais traduite !).

Ces deux fans absolus affichent une complicité parfaite et jubilatoire : l'épisode est haletant et visuellement splendide. Giffen ne laisse pas le lecteur souffler et Rude lui coupe le souffle avec des plans et des planches renversants de beauté (dont la double page, ci-dessus, n'est qu'un échantillon). Les couleurs sobres de John Kalisz subliment ce travail graphique en lui donnant une palette à l'ancienne du meilleur effet.

Mais ces atouts, techniques en somme, ne doivent pas masquer les autres mérites de l'oeuvre. Comme je l'ai déjà dit, cet épisode, contrairement aux autres, peut se lire indépendamment, son contenu est immédiatement accessible et si sa fin est ouverte, elle ne l'est que pour respecter le concept de la série. Vous pouvez vous arrêter à l'avant-dernière page et le récit est complet.

Le thème de l'histoire renvoie surtout à ce que racontait principalement la série originale de Kirby en 1972 : après une "grande catastrophe" (un cataclysme qui a décimé tous les hommes mais rendu les animaux aussi évolués qu'eux), Kamandi est littéralement, comme le sous-titre l'indique, "le dernier garçon sur Terre. Ses aventures le mènent dans des territoires constamment hostiles puisque les bêtes le considèrent comme une anomalie (au mieux) ou une menace (au pire). En chemin, il se fera quand même quelques alliés parmi les animaux évolués mais ceux-ci deviendront ainsi des parias.

En progressant spectaculairement ainsi, les bêtes ont en fait hérité des mêmes défauts que ceux des hommes et leur comportement indique souvent qu'ils courent à leur propre perte en recyclant des armes, en combattant d'autres espèces, en cultivant leur foi religieuse de manière extrémiste. C'est ce dernier point qui est ici souligné avec ces deux tribus adorant le même dieu auquel ils ont donné deux noms différents mais en revendiquent la propriété. Le discours de raison pacificateur que tient Kamandi n'évite pas la guerre, n'apaise pas les tensions - au contraire il le rend suspect puis hostile.

Le message est à double fond : d'abord, Giffen et Rude dénoncent sans ambiguïté les fanatiques religieux qui en s'en tenant à un dogme sombrent inévitablement dans l'obscurantisme - la charge trouve un écho toujours aussi éloquent aujourd'hui, dans un monde menacé par le terrorisme nourri par des lectures radicales des saintes écritures. Mais, on peut aussi interpréter le récit comme une adresse aux fans de comics dont le purisme confine souvent à l'intégrisme sous prétexte de vouloir respecter absolument la continuité des BD et de rejeter tous ceux qui la négligent, auteurs comme lecteurs.

La densité de ce discours associée à la maestria de l'exécution aboutit donc à un épisode effectivement exceptionnel, alliant le divertissement à la réflexion, honorant la vision de Kirby, et brillant au sein d'une maxi-série conceptuelle inégale.  

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