vendredi 5 août 2016

Critique 969 : CRACKS, de Jordan Scott


CRACKS est un film réalisé par Jordan Scott, sorti en salles en 2009.
Le scénario est écrit par Jordan Scott, Ben Court et Caroline Ip, d'après le roman de Sheila Kohler. La photographie est signée John Mathieson. La musique est composée par Javier Navarette.
Dans les rôles principaux, on trouve : Eva Green (Miss G.), Maria Valverde (Fiamma Coronna), Juno Temple (Ci Radfield), Imogen Poots (Poppy), Clemmy Rugdale (Fuzzy), Sinead Cusack (Miss Nieven.
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1934. Miss G. est professeur de sport dans un pensionnat pour jeunes filles situé sur une île anglaise à l'écart de tout. Elle fascine ses élèves, séduites par sa beauté charismatique, son élégance bohème, et sa personnalité atypique.
Miss G.
(Eva Green)

Elle les incite en effet à se singulariser tout en étant exemplaire, à viser la perfection. Pour cela, elle n'hésite pas à entretenir un esprit de compétition entre ses protégées puis à stimuler leur imagination en leur racontant les nombreux voyages dans des pays exotiques qu'elle a faits avant d'intégrer cette école comme enseignante.
Fiamma Coronna
(Maria Valverde)

Cette situation est compromise avec l'arrivée d'une nouvelle élève, Fiamma Coronna, issue de l'aristocratie, mais placée dans cette institution austère suite à un mystérieux scandale - il est question d'une liaison amoureuse avec un garçon de condition plus modeste.
Ci Radfield
(Juno Temple)

Ci Radfield, qui idolâtre Miss G. et s'emploie pour être sa favorite, accueille froidement Fiamma dont elle jalouse immédiatement la prestance, les origines, et l'intérêt qu'elle suscite chez l'enseignante. Les autres pensionnaires sont divisées : elles ne veulent pas trahir leur "chef" ni que leur professeur les néglige, mais estiment que leur nouvelle camarade doit pouvoir s'intégrer, d'autant que, si elle les toise volontiers avec arrogance, elle les envoûte aussi.
Les filles de Miss G.

La jeune espagnole va aussi perturber Miss G. par son charme méditerranéen, sa classe naturelle, sa culture déjà bien établie, son tempérament rebelle. Elle refuse d'être soumise et cette résistance stimule l'enseignante autant qu'elle la panique, notamment après qu'elle ait compris que Fiamma sait que les histoires sur son passé d'aventurière relèvent de la mythomanie. Miss G. n'a en effet jamais quitté le pensionnat qui tolère ses méthodes après des écarts de jeunesse.
Poppy
(Imogen Poots)

Désirant son élève mais ne souhaitant pas perdre son ascendant sur les autres filles et craignant que sa hiérarchie ne le renvoie, Miss G., repoussée par Fiamma, décide de se venger en manipulant "ses" filles. Jusqu'à un dénouement dramatique...  

Parfois, il ne faut pas chercher bien loin pourquoi on a envie d'un film : la convoitise pour un opus d'un cinéaste admiré, la curiosité pour un long métrage à la réputation alléchante, l'intérêt pour un acteur ou une actrice séduisant... J'ai ainsi voulu voir Cracks pour son interprète principale : Eva Green.

J'ai découvert la fille de Marlène Jobert dans son premier film, Innocents - The Dreamers de Bernardo Bertolucci, une oeuvre dont je garde un souvenir mitigé (il faudrait que je me fasse une séance de rattrapage pour vérifier cette impression) mais où, pour reprendre une formule datée, elle "crevait" l'écran par sa sensualité et son intensité. Depuis, même si je n'ai pas pu toujours suivre sa carrière (carrière qui s'est bâti à l'étranger et en Amérique spécialement, le cinéma hexagonal la snobant de manière incompréhensible), j'ai toujours entretenu l'espoir qu'elle transforme l'essai et accède à des rôles qui lui vaudraient la reconnaissance qu'elle mérite. Cet automne, peut-être y  parviendra-t-elle tout à fait puisqu'elle est la vedette du nouveau Tim Burton, adapté du best-seller de Ransom Riggs, Miss Peregrine et les enfants particuliers, une grosse production prometteuse.

Cracks a auparavant marqué les esprits, même si le film n'a pas convaincu la critique ni rencontré un grand succès public, mais parce que Eva Green a fait l'unanimité avec ce personnage d'enseignante charismatique et borderline. L'oeuvre a aussi fait parler car il s'agissait du premier long métrage de la fille de Ridley Scott (ici co-producteur avec son frère, feu Tony), Jordan Scott.

La combinaison de l'implosion du modèle post-victorien (dans les années 30), de la perversité d'une véritable meute de jeunes filles, le sous-texte saphique renvoie à des films pour lesquels la cinéaste ne cache pas son intérêt, tels que Pique-Nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975), Créatures célestes (Peter Jackson, 1994) ou une version féminine de Sa Majesté des mouches (Peter Brook, 1963). 

Le souci avec des influences aussi prestigieuses, c'est qu'il faut tenir la comparaison et, si le spectacle intimiste des regards en coin, des échanges verbaux fielleux, des frôlements ambigus, est bien là, Cracks échoue à être aussi vénéneux que la tourmente sentimentale et initiatique qu'elle convoque. C'est comme si la réalisatrice avait eu peur de son sujet, de son potentiel, de sa profondeur, et s'était contentée de l'illustrer, certes superbement, mais sans réussir à susciter l'émotion souhaitée. 

D'un point de vue esthétique, le film ressemble de façon troublante aux productions du papa de Jordan Scott, avec une photographie splendide (John Mathieson, un collaborateur fidèle de Ridley Scott), mais la narration est trop timorée, n'exploitant jamais complètement l'atmosphère viciée et sensuelle du jeu de pouvoir qui anime les murs et le parc de ce pensionnat. Le soin porté à l'image phagocyte le récit et empêche le spectateur d'être aussi troublé qu'il le faudrait, plus épaté par la beauté formelle de la production que remué par ces jeunes filles en fleur corrompues par une professeur dont l'emprise est soudain contestée et le désir attisée à égales mesures.

Jordan Scott échoue donc partiellement. Mais pas totalement quand même, et elle le doit à ses actrices, toutes formidables : Juno Temple en disciple glaciale jusqu'à la révélation finale, Imogen Poots en suiveuse soumise, Maria Valverde à la beauté effectivement fascinante mais terriblement fragile, forment un trio excellent - avec une mention pour la jeune comédienne espagnole qui s'exprime sans accent (alors même que, dans les bonus du dvd - des interviews trop brèves aux questions superficielles - elle peine à trouver ses mots, laissant Juno Temple finir ses phrases).

Et il y a donc Eva Green : dire qu'elle est impressionnante est à peine suffisant pour espérer vous convaincre de la force de son interprétation. D'abord souveraine d'une élégance racée, elle se fissure progressivement en exprimant subtilement les failles (les "cracks"  qui donne leur titre au film) de son personnage, jusqu'à une chute aussi abominable que son crime. Elle n'a pas besoin d'en rajouter pour, en un regard, un tremblement des mains, nous faire ressentir son malaise grandissant, sa perte de contrôle. Ajoutez à cela son habillement de plus en plus négligé, à mesure qu'elle sent la situation lui échapper, ses cheveux qui s'effilochent, sa démarche titubante - autant de signes discrets et bien utilisés par la comédienne.
  
Cracks est un curieux objet au final : il promet des fissures, de l'érotisme, mais son traitement est trop lisse pour échapper à l'académisme. Il lui reste ses actrices et, en particulier, sa vedette, qui, elles, lézardent sa trop belle et timide exécution dont le dénouement laisse deviner quelle abîme le film aurait pu explorer.

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