mardi 21 juin 2016

Critique 926 : WINCHESTER' 73, de Anthony Mann


WINCHESTER' 73 est un film réalisé par Anthony Mann, sorti en salles en 1950.
Le scénario a été écrit par Robert L. Richards, remanié par Borden Chase, d'après Big Gun de Stuart N. Lake. La photographie est signée William H. Daniels. La musique est composée par Joseph Gesherson (avec Walter Scharf, non crédité).
Dans les rôles principaux, on trouve : James Stewart (Lin McAdam), Millard Mitchell (Frank "High-Spade" Wilson), Shelley Winters (Lola Manners), Stephen McNally (Dutch Henry Brown), Dan Duryea ("Waco" Johnnie Dean), John McIntire (Joe Lamont), Charles Drake (Steve Miller), Rock Hudson (Young Bull).
*
Dodge city, 1873. Lin McAdam et son ami, "High-spade" Wilson, participe à un concours de tir à la carabine organisé par le shérif Wyatt Earp dont le prix est le dernier modèle de fusil à répétition de la marque Winchester.
Lin McAdam et Frank "High-Spade" Wilson
(James Stewart et Millard Mitchell

Mais l'arme, aussi belle que bien équilibrée, est convoitée par les meilleurs tireurs de la région. Toutefois la compétition se dispute vite entre McAdam et Dutch Henry Brown qui se connaissent visiblement bien mais sont en très mauvais termes. Finalement, Lin remporte le fusil en réussissant un tir audacieux.
Mais Brown n'entend pas en rester là et agresse McAdam dans sa chambre d'hôtel avec deux complices et, après l'avoir assommé, le désarme et fuit Dodge city avec ses hommes de main, sans même récupérer leurs colts.
Wyatt Earp et Wilson arrivent trop tard, mais Lin est résolu à poursuivre Brown sans attendre.
Joe Lamont et Dutch Henry Brown
(au premier plan à gauche : John McIntire et au centre : Stephen McNally)

Brown et ses deux compères s'arrêtent dans une auberge où ils rencontrent Joe Lamont qui fait commerce d'armes avec des indiens Sioux. Voulant acquérir des pistolets, Dutch joue aux cartes mais perd tout son argent et même son fusil. Menacé par l'aubergiste, il doit battre en retraite.
Lamont rejoint Young Bull, un jeune chef Sioux, mécontent des armes qui lui sont livrés. Il tue le marchand et lui dérobe la Winchester.
Pendant ce temps, McAdam et Wilson se joignent à une unité isolée de la cavalerie auprès de laquelle ont trouvé refuge Lola Manners, une chanteuse de saloon croisée à Dodge city, et le compagnon de celle-ci, Steve Miller, un lâche.
Ensemble, ils doivent faire face à l'attaque de la bande de Young Bull à l'aube et, au terme d'une fusillade intense, réussissent à les repousser. Lin et "High-Spade" repartent sans se rendre compte que la Winchester se trouve sur le champ d'honneur à côté de la dépouille de Young Bull. Le chef du régiment offre le fusil à Steve pour le remercier de son aide.
Lola et Steve gagnent la maison de ce dernier dans la soirée mais y sont rejoints par le gang de "Waco" Johnnie Dean, poursuivi par le shérif et ses hommes. Humilié par le bandit dont il est une connaissance, Steve est tué par lui avant que le malfrat ne s'échappe en prenant Lola en otage et la Winchester pour riposter contre les forces de l'ordre. 
 "Waco" Johnnie Dean et Dutch Henry Brown
(à gauche : Dan Duryea, à droite : Stephen McNally)

"Waco" retrouve dans une cabane dans les montagnes voisines Dutch qui lui reprend aussitôt la Winchester quand il la reconnaît. Puis les deux complices entrent pour évoquer leur prochain mauvais coup.
Dutch Henry Brown, Lola Manners et "Waco" Johnnie Dean
(Stephen McNally, Shelley Winters et Dan Duryea)

Tandis que les bandits discutent de l'attaque de la banque de Tascosa, Lola découvre sur une étagère une photo où Dutch pose aux côtés de Lin et, visiblement, leur père. "Waco" et la femme partent en avant pour Tascosa où McAdam et Wilson sont arrivés. La paisible bourgade et ses environs rocheux seront le théâtre du règlement de comptes final entre Lin et celui qui est donc en réalité son frère, Matthew, coupable d'un terrible crime...

Chef d'oeuvre ! Voilà un des plus grands westerns et un des plus originaux produits durant l'âge d'or hollywoodien, première collaboration d'un des duos les plus fameux formé par un réalisateur et un acteur, respectivement Anthony Mann et James Stewart.

Il y a bien des manière d'exprimer le propos du film et les motifs qu'il développe, mais la notion qui le traverse de manière évidente est celui de la force de la détermination de son héros - une force de caractère qui, pour le cinéaste, prévalait sur sa force physique, et que joue avec cette fébrilité vibrante son interprète favori.

L'opiniâtreté de Lin McAdam s'incarne certes dans le fusil magnifique qu'il gagne et qu'on lui vole, une version à peine déguisée de l'épée Excalibur du roi Arthur, ne méritant d'être brandi que par un héros véritable, mais plus encore dans la vengeance qu'il veut exaucer et dont on découvre la raison au terme d'une longue traque. L'intrigue tient ainsi de l'épure et compose avec les clichés du genre dans lequel elle s'inscrit, avec ses personnages affirmés, son action soutenue, sa tension constante.

Pourtant, sur ce canevas très sobre, Mann réussit à manoeuvrer une galerie de protagonistes telle que son film se fait choral - ainsi James Stewart est absent pendant un tiers de l'histoire, consacré à d'autres scènes avec d'autres personnages au gré des changements de propriétaires de la fameuse Winchester modèle 1873. La construction est originale grâce à ce procédé qui voit l'arme changer de main et devenir fatale pour quiconque en hérite, qu'il s'agisse de Joe Lamont, de Steve Miller, de "Waco" Johnnie Dean.

Pour jouer cette partition, le cinéaste, remarquable directeur d'acteurs, a disposé d'un casting remarquable, sachant canaliser un habitué des rôles de crapules comme Dan Duryea, de rendre émouvant un vendeur d'armes trop cupide comme celui que campe John McIntire, et attachante Shelley Winters.

Mais, donc, Winchester' 73 aura scellé la fructueuse association d'Anthony Mann et James Stewart, qui avaient fait connaissance en 1934 alors que le comédien fondait sa compagnie théâtrale. Pourtant, leur rencontre ne tint qu'à un fil : le film devait d'abord être réalisé par Fritz Lang, qui abandonna le projet, et c'est Stewart qui se rappela de Mann pour sauver le projet. Les ennuis n'étaient pas tous résolus néanmoins car le script de Robert L. Richards déplaisait aux deux hommes et fut confié à Borden Chase pour être remanié. Ce sera le début d'une collaboration de sept films, culminant avec cinq westerns, tous formidables (Les affameurs en 1952, L'appât en 53, Je suis un aventurier en 54, et L'homme de la plaine en 55).

Mann incita Stewart à affiner son jeu pour être plus authentique et intense : un effort payant car Lin McAdam à la recherche de son demi-frère, l’assassin de leur père adoptif (je ne spoile pas grand-chose car on le devine très tôt) est une figure inoubliable, mélange de bravoure et d'obstination, vengeur implacable et justicier admirable. L'interprétation de Stewart est éblouissante, son héros est vulnérable, ambigu mais très humain, déchiré par sa mission, ami indéfectible de "High-Spade" (épatant Millard Mitchell). En un éclair, l'acteur fait passer des nuances virtuoses par son expressivité contenue, son regard intense, son allure résumant toute sa détermination et sa droiture.

Le message du film invite aussi à une réflexion profonde derrière le divertissement épique en posant un regard sans concession sur la violence : le fusil en est l'instrument et in fine le soulagement le dispute au dépit chez Lin McAdam, obligé de céder à une exécution pour boucler la boucle d'une tragédie familiale. L'amertume de cette victoire donne aussi un parfum de défaite à cette aventure qui transcende les standards du western classique. Le duel final, à cet égard, par sa brutalité et sa sécheresse (renforcée par le décor) est un modèle de mise en scène, avec des plans composés de manière à la fois audacieuse et exemplaire, s'étirant sur plus de cinq minutes indécises.

Mann estimait que Winchester' 73 était un "western honnête et franc" avec une admirable humilité. Il a réussi bien plus que ça en vérité avec ce sommet du genre, qui dépasse son cadre pour accéder aux cimes des grands films, des authentiques chefs d'oeuvre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire