mardi 21 juin 2016

Critique 924 : KISS KISS BANG BANG, de Shane Black


KISS KISS BANG BANG est un film réalisé par Shane Black, sorti en salles en 2005.
Le scénario est écrit par Shane Black, d'après le roman Bodies are where you find them de Brett Halliday. La photographie est signée Michael Barrett. La musique est composée par John Ottman.
Dans les rôles principaux, on trouve : Robert Downey Jr. (Harry Lockhart), Val Kilmer (Perry Van Shrike alias "Gay Perry), Michelle Monaghan (Harmony Faith Lane), Corbin Bernsen (Harlan Dexter).
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Harry Lockhart est un loser : alors qu'il vole, la nuit, dans un magasin, un jouet pour son fils, son complice déclenche accidentellement l'alarme et les oblige à prendre la fuite. Alors qu'une voisine leur tire dessus, les deux hommes se séparent quand les policiers arrivent sur les lieux.
Harry aboutit dans une salle d'audition pour un film où il est pris pour un acteur. Improvisant avec le texte qu'on lui donne, il impressionne suffisamment le directeur de casting pour être engagé sur-le-champ !
 Perry Van Shrike et Harry Lockhart
(Val Kilmer et Robert Downey Jr.)

Harry est invité à une soirée donnée par le producteur du film, une ex-vedette de cinéma, Harlan Dexter, où il fait la connaissance de Perry Van Shrike, un détective privé et consultant avec lequel il devra perfectionner son interprétation tout en devant supporter l'homosexualité affichée et volontiers exubérante de ce dernier.
 Harmony Faith Lane
(Michelle Monaghan)

Dans ce cocktail, Harry a aussi la surprise de retrouver Harmony Faith Lane, son amour de jeunesse, qui essaie (sans succès jusque là) de faire carrière à Hollywood. Ils finissent la nuit ensemble ailleurs, mais Harry, ivre, couche avec la meilleure amie de la jeune femme !
Harry, Harmony et Perry

Mais les ennuis ne sont pas terminés pour Lockhart car, comme dans les romans policiers de Johnny Gossamer que dévorait Harmony dans son adolescence, elle, lui et Perry vont être embarqués dans deux affaires a priori distinctes mais qui vont se révéler liées : d'un côté, le suicide apparent de la soeur d'Harmony (venue la rejoindre à Los Angeles), et de l'autre, le meurtre de Veronica, la fille de Dexter avec qui il venait de se réconcilier et que Perry surveillait... 

Bien qu'il n'en soit pas l'inventeur, Shane Black a été un des exploitants du concept du "buddy movie", le "film de potes" avec un duo de héros d'abord mal assortis dont les différences se transforment au gré de leurs (més)aventures en atouts. Walter Hill avec 48 heures (avec Nick Nolte et Eddie Murphy, 1982) a illustré le premier ce principe. Black l'a popularisé en écrivant en 1987 L'Arme fatale (réalisé par Richard Donner, avec Mel Gibson et Danny Glover).

La suite fut plus compliqué pour le golden boy, qui déclare aujourd'hui renier à 70% sa production scénaristique des années 80 à cause des réécritures imposées par les studios. Peut-être aussi parce que, avec Joe Esztehars (à qui on doit le script de Basic Instinct de Paul Verhoeven), il fut désigné il y a une douzaine d'années comme "l'homme qui tua le métier de screenwriter" (comme le titra un article du "New York Times"). Surtout parce que le succès de Black déclina au début des années 90 quand Hollywood misa sur de nouvelles façons de raconter ses histoires, éloignées des séries B sexys et cools.

Pourtant, contrairement à une de ces répliques les plus fameuses ("je suis trop vieux pour ces conneries", dans L'Arme fatale 2), Shane Black a pu compter sur le producteur emblématique des 80's pour effectuer son retour en 2005 avec Kiss Kiss Bang Bang. Sa première réalisation est à la fois comme le prolongement des récits qui firent sa gloire d'auteur et leur commentaire en tant que cinéaste.

Black n'est peut-être pas un grand conteur mais son amour pour ce cinéma-bis est sincère et l'homme connaît ses classiques, aussi bien dans la littérature policière anglaise qu'américaine. Ce mélange de fan attitude et de culture lui permet de maîtriser son sujet en ayant désormais la distance nécessaire pour le traiter avec dérision, à la manière de celui qui est revenu de tout. L'intrigue de KKBB est impossible à résumer, tout juste peut-on en écrire l'amorce comme je l'ai fait, en camper les protagonistes, mais c'est moins la lisibilité que la malice de l'entreprise qui compte.
Il ne s'agit pas d'excuser le fait que le scénariste ait voulu égarer volontairement le spectateur, mais bien de pointer qu'en donnant à son histoire un narrateur aussi pathétique et embrouillé que Harry Lockhart il ne faut pas s'attendre à une ligne bien droite et sérieuse. L'interprétation survoltée de Robert Downey Jr. (qui, malgré le peu de succès du film au box office, tiendra là le rôle de son propre come-back avant le triomphe d'Iron Man en 2008 - et il saura s'en souvenir en confier la mise en scène d'Iron Man 3 à Black en 2013) souligne ce sentiment : comme nous, il évolue dans une affaire absurde, grotesque, spectaculaire, dont il espère d'abord survivre avant de la comprendre.

Le script donne du biscuit à ses interprètes, notamment à un autre revenant (même si, lui, ne saura pas autant en profiter ensuite), Val Kilmer, qui incarne un détective privé homosexuel très fier d'être surnommé "Gay Perry" ("Gai Paris") et avec lequel il fait preuve d'une auto-dérision jubilatoire. Downey Jr. est aussi très bon grâce à l'auto-dérision de Kilmer, avec lequel il a eu une collaboration très complice (comme en témoigne le bêtisier publié dans les bonus du DVD). Abondant en répliques souvent très drôles, débitées à une allure folle, leurs échanges sont un régal.

Le film a aussi permis de révéler la sublime Michelle Monaghan, une comédienne dont le charme et l'esprit comique forment une combinaison rare mais sous-exploitée depuis. Vous ne verrez jamais une fille déguisée en mère Noël aussi sexy et décalée.

La réalisation, servie par une photo léchée et un montage inventif (qui illustre bien la narration désordonnée, hésitante de Lockhart), sert impeccablement ce cocktail de violence et d'humour dans la droite ligne d'un cinéma populaire, décontracté mais pas désinvolte. Surtout que, sous le vernis du divertissement, on peut lire la critique acérée des aspects les plus sordides du business de Hollywood : tout y passe, des starlettes sacrifiées aux producteurs véreux, des comédiens ratés aux consultants engagés pour assurer une pseudo-crédibilité à des films irréalistes, des mondanités luxueuses aux dépravés pique-assiette qui les fréquentent.

Black n'en profite cependant pour régler des comptes personnels, il se pose plutôt en observateur sarcastique de ce milieu qui le fit roi avant de l'oublier. On pense au méconnu et pourtant très estimable Get Shorty de Barry Sonnenfeld (1995, d'après Elmore Leonard), avec des références savoureuses (comme lorsque Harry et Harmony se moquent des ressemblances approximatives des invités de la party avec des célébrités).

Derrière son titre magnifique (une de ces punchlines comme Black sait les formuler), Kiss Kiss Bang Bang est une sorte de conte, alambiqué mais réjouissant, qu'on peut voir et revoir sans en épuiser tout le jus.

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