lundi 6 juin 2016

Critique 912 : PORTRAITS D'IDOLES, de Frédéric Martinez


PORTRAITS D'IDOLES est un recueil de six portraits d'actrices américaines, écrit par Frédéric Martinez, publié en 2015 par les Editions Perrin.
 Frédéreic Martinez

L'art du portrait est un exercice périlleux. Il ne s'agit pas, en vérité, de dresser une biographie miniature d'une personnalité célèbre dans un domaine particulier mais plutôt d'écrire ce qu'inspire à un auteur un individu passé à la postérité.

C'est à ce petit jeu, exigeant une rédaction exigeante et subjective, que s'est livré Frédéric Martinez, qui s'est jusqu'alors illustré dans des biographies aussi diverses que John Fitzgerald Kennedy (2013), Jimi Hendrix (2010) ou Claude Monet (2009). Dans un tout autre genre, son ouvrage Petit éloge des vacances (2013) lui a valu un succès d'estime.

Cette fois, donc, il nous adresse six portraits d'actrices de l'âge d'or de Hollywood, avec, il faut bien le dire, des fortunes diverses, une inspiration très inégale.
 Ava Gardner

Ava Gardner, "le plus animal du monde", ouvre le bal et donne le ton : souvent qualifiée par l'auteur de déesse du sexe" en raison de sa liberté dans ses relations avec ses amants, Martinez lui consacre une soixantaine de pages, le plus long des textes de son livre. Il s'arrête sur quelques dates censées résumées sa tumultueuse existence : en 1942, à 20 ans, elle se marie avec Mickey Rooney, c'est encore une starlette dont la carrière piétine. Deux ans plus tard, elle est courtisée avec insistance par le magnat Howard Hughes (une figure qu'on retrouvera chez d'autres muses de Martinez) mais le repousse. En 1945, elle épouse le musicien de jazz Arte Shaw. En 1946, enfin, elle décroche le rôle qui va faire d'elle une icone dans Les Tueurs de Robert Siodmak. Trois ans après, elle entame une relation passionnelle avec le crooner Frank Sinatra. 1950 la voit incarner Pandora d'Albert Lewin.
Cette dernière incarnation (avec celui de La comtesse au pieds nus de Joseph L; Mankiewicz, en 1954) sera sa meilleure performance, car Ava n'était pas une grande interprète : ce qu'elle jouait le mieux, avec le plus d'intensité, c'est sa propre vie et Martinez est visiblement fasciné par cette créature affranchie, qui n'avait pas sa langue dans sa poche.
 Grace Kelly

Grace Kelly a droit à une trentaine de pages, mais, là, l'auteur a plus de difficultés à dépasser les clichés attachés à l'égérie d'Hitchcock devenue la princesse de Monaco en 1956 à 27 ans. Pour Martinez, celle qui était souvent résumée au "feu sous la glace" semblait ne vouloir que se marier pour fuir Hollywood dont l'esprit de compétition la minait.
La théorie est discutable et il est aujourd'hui connu qu'elle voulut poursuivre sa carrière d'actrice même après avoir épousé Rainier (elle avait été sollicitée par "Hitch" pour Pas de printemps pour Marnie).
Néanmoins, notre portraitiste rappelle avec à-propos qu'elle devint amie avec Ava Gardner durant le tournage de Mogambo (1952) où elle gagna le respect de John Ford et put donner la réplique à son idole Clark Gable. Elle tint tête à Stewart Granger, qui la méprisait, sur L'émeraude tragique.
Mais Martinez semble avoir, comme tant d'autres, buté sur l'énigme de cette femme à la beauté surréelle et énigmatique.
 Ingrid Bergman

Ingrid Bergman, évoquée sur presque 40 pages, n'a pas non plus inspiré grand-chose d'original à l'auteur, même si la synthèse qu'il écrit de sa filmographie est éloquente. En 1942, à 27 ans, elle tourne dans Casablanca de Michael Curtiz, qui ne l'estime pas davantage que Humphrey Bogart, mais qui deviendra un grand classique, malgré un scénario pratiquement écrit au jour le jour. En 45, elle tombe amoureuse du photographe de guerre Robert Capa et leur romance a pour témoin Hitchcock lors du tournage des Enchaînés, mais deux esprits aussi avides de liberté ne pouvaient espérer s'engager dans une liaison stable et durable.
Un an après, la suédoise, dont le charisme si lumineux et le jeu si intense n'avaient pas besoin de maquillage, découvre Rome ville ouverte de Roberto Rossellini pour qui elle rêve de tourner. Avant cela, elle incarnera Jeanne d'Arc de Victor Fleming, mauvais film mais rôle longtemps espéré. Puis, en 1949, Stromboli fera d'elle la femme la plus haïe de l'Amérique, désignée comme une mauvaise épouse, mère indigne, star ingrate. Cette rebelle bannie est devenue un emblème auquel Martinez n'ajoute rien, même si son admiration est sincère.
 Rita Hayworth

Rita Hayworth offrait un territoire plus prometteur car elle a rarement été au coeur de biographies renommées. Mais celle qui fut à la fois une danseuse de musicals et une actrice de séries noires fameuses n'a droit qu'à moins de vingt pages.
Sa trajectoire est réduite à une peau de chagrin et Martinez se contente de l'évoquer via son long métrage le plus commenté quand Orson Welles transforma cette rousse incendiaire, l'immortelle interprète de Gilda (Charles Vidor, 1946), en blonde fatale dans La dame de Shangaï. Cette scène célèbre où son amant cinéaste sacrifia sa chevelure, provoquant un scandale retentissant, qui n'épargnera pas le film d'un échec commercial, est reprise ici et  analysée comme le pivot existentel de Rita Hayworth.
S'il est vrai qu'elle a accumulé les amours malheureuses et connut une fin de vie pathétique (atteinte de la maladie d'Alzheimer), le chapitre manque cruellement d'émotion et d'originalité.
 Audrey Hepburn

Audrey Hepburn n'est pas une "déesse du sexe" comme celles qui semblent tant passionner Martinez. Est-ce ce déficit érotique qui lui vaut seulement 13 petites pages ? C'est peu dire que ce traitement est injuste alors que la femme était admirable et l'actrice divine. Mais l'auteur ne cite même aucun titre de sa prestigieuse filmographie, aucune de ses collaborations avec de grands cinéastes (Wyler, Wilder, Edwards, Huston, Cukor, quand même !).
Il ne rappelle que la jeunesse éprouvante de la jeune fille née en 1929 qui a connu mille privations dans la Hollande occupée par les nazis - expérience certes fondatrice car Audrey deviendra à la fin de sa vie une femme de coeur bouleversante auprès des miséreux. Mais c'est un peu court.
Marilyn Monroe

Marilyn Monroe est examinée sur une trentaine de pages mais c'est le chapitre le plus fort du recueil. Ce résultat est attendu tant la plus explosive blonde de Hollywood concentre les obsessions de l'auteur : en effet, la "good time girl" qui était submergée par ses névroses est un sujet d'études parfait pour Martinez.
Pourtant, il ouvre son portrait sur une citation mal référencée ("Tu veux me voir en Marilyn ?" ne s'adresse en effet pas à Susan Strasberg mais au photographe Ed Feingersh, comme cela est dit dans l'excellent Une blonde à Manhattan d'Adrien Gombeaud, dont j'ai parlé ici). Mais de 1936, où la jeune Norma Jean Baker de dix ans se promène devant le Grausman's chinese theatre à sa mort en 1962 en passant par le photoshoot à Long Island avec André de Diennes et le triomphe de Les hommes préfèrent les blondes (Howard Hawks, 1953), elle hante des pages intenses dont les dernières, sans ponctuation, semblent rédigées dans un état second par Martinez, littéralement en transe.

Malgré un style parfois exagérément maniéré (qui abuse du passé simple et de l'imparfait du subjonctif) et des approches peu variées (où la dimension érotique des actrices domine), ces Portraits d'idoles ne manque pas d'intérêt, juste d'originalité et d'équité. L'exercice, je le disais, est difficile, Frédéric Martinez s'y est prêté sans vraiment le dominer mais son ouvrage a le mérite de ne pas traîner en longueur avec un peu plus de 200 pages.

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