dimanche 22 mai 2016

Critique 896 : CAFE SOCIETY, de Woody Allen


CAFE SOCIETY est le 46ème film écrit et réalisé par Woody Allen, sorti en salles le 11 Mai 2016.
La photographie est signée Vittorio Storaro.
Dans les rôles principaux, on trouve : Jesse Eisenberg (Bobby Dorfman), Kristen Stewart (Veronica "Vonnie" Sybel), Steve Carell (Phil Stern), Blake Lively (Veronica Hayes), Corey Stoll (Ben Dorfman).
*
*
 Bobby Dorfman
(Jesse Eisenberg)

Années 30. Bobby Dorfman est un jeune homme qui décide de quitter New York et sa famille pour tenter sa chance à Los Angeles dans les studios de Hollywood. Là-bas est en effet déjà établi son oncle, Phil Stern, un des plus fameux agents artistiques de la capitale du cinéma, auprès de qui il obtenir un emploi.
 Vonnie et Bobby
(Kristen Stewart et Jesse Eisenberg)

Mais l'oncle Phil ne sait pas quoi faire de son neveu et il ne lui confie, dans un premier temps, que des tâches subalternes, comme livrer du courrier. Pour qu'il découvre la cité des anges, Bobby Dorfman est guidé par une des secrétaires de l'agence, la séduisante Vonnie, dont il tombe immédiatement amoureux, mais qui lui explique être déjà engagée avec un journaliste prénommé Doug. 
 Phil Stern
(Steve Carell)

En Vonnie est la maîtresse de Phil qui lui a promise de divorcer pour l'épouser. Quand il lui annonce n'en avoir pas le courage, la jeune femme trouve du réconfort auprès de Bobby et finit par céder à ses avances. Le garçon, qui ne s'épanouit pas à Los Angeles, veut alors regagner New York avec elle et s'y marier.
Mais, avant cela, Bobby reçoit les confidences de son oncle, ne pouvant pas oublier sa maîtresse depuis leur rupture et désormais résolu à divorcer. Le jeune homme découvre alors accidentellement que l'amante de Phil n'était autre que Vonnie.
Lorsqu'il va demander à celle-ci avec qui elle compte s'engager maintenant, elle choisit de rester à Los Angeles et donc avec Phil.
 (A gauche :) Ben Dorfman
(Corey Stoll)

Bobby est de retour à New York et seconde son frère aîné Ben, un voyou, à la direction d'un club, le "Café Society", fréquenté par toute la haute société de la ville. Le jeune homme s'investit dans les affaires pour oublier sa déception amoureuse jusqu'à ce qu'il soit présenté à la très belle Veronica Hayes. Ils se plaisent et bientôt deviennent parents.
Cependant, Ben est rattrapé par ses méfaits et arrêté par la police. 
Bobby Dorfman et Veronica Hayes
(Jesse Eisenberg et Blake Lively)

De passage à New York, Phil est accompagné par Vonnie, désormais son épouse. Il paie un avocat réputé pour défendre Ben, sans que cela suffise à lui éviter la peine capitale.
Alors qu'il est comblé comme mari, père et hommes d'affaires, Bobby est tout de même bouleversé en revoyant Vonnie. Ils se rapprochent à nouveau, tout en sachant que leur tour est passé. Lors du nouvel an, chacun de leur côté, Bobby comme Vonnie n'ont pas le coeur à la fête et pensent avec mélancolie à leur bonheur enfui. 

Seulement six mois après l'excellent L'Homme irrationnel, le nouveau film de Woody Allen est déjà à l'affiche, grâce à sa présentation (hors compétition) en ouverture du festival de Cannes. Et comme Magic in the moonlight en 2014, c'est une nouvelle comédie dans les années 30, mais où la mélancolie a pris le pas sur la fantaisie.

Cette fois donc, aux grincheux qui radotent en affirmant que "Woody Allen, c'était mieux avant", on répondra que "cette fois, c’est comme avant !" : l'époque, le héros juif  new-yorkais, la belle californienne, le souvenir d'un passé idéalisé, le vaudeville, tout est là. Les fans (comme moi) seront comblés par le résultat, d'une élégance douce-amère impeccable, accompagné par la voix-off du cinéaste lui-même.

Mais Woody Allen ne se repose toujours pas sur ses lauriers, et à 80 ans, réussit une nouvelle merveille : ce n'est pas une oeuvre crépusculaire d'un réalisateur à bout de souffle, mais un film d'une étonnante tenue, à la sensualité lumineuse.

Bobby  Dorfman et Vonnie, les deux personnages principaux de cette histoire, apparaissent comme les aïeux de Alvy Singer et Annie Hall dans le film de 1977, un des classiques du maître : leur couple est animé par la même maladresse, ce qui lui donne son caractère attachant, et la même fatalité, qui voue leur relation à un cruel échec. Pour donner corps à son héros, Woody Allen a rappelé Jesse Eisenberg, qu'il avait déjà dirigé dans son plus mauvais opus de la dernière décennie (To  Rome with love, 2012), mais qui s'impose comme son double le plus parfait : le jeune comédien reproduit la façon de parler si particulière de son metteur en scène, sa gaucherie, son air lunaire, sans en faire trop. Face à lui, Kristen Stewart est la nouvelle muse de l'auteur qu'il a su, comme Scarlett Johansson, Evan Rachel Wood ou Emma Stone (d'autres jeunes recrues récentes), formidablement mettre en valeur : elle est effectivement radieuse et d'une rare justesse dans un rôle qui est finalement très ingrat.

Les seconds rôles sont tous soignés, du frère aîné gangster (Corey Stoll), au couple de mondains rencontré à L.A et retrouvé à New York (Parker Posey et Paul Schneider), en passant par les intellectuels de gauche (Stephen Kunken et Sari Lennick). Mais Allen les emploie uniquement à des fins comiques, comme des respirations dans un récit qui est plus émouvant et sentimental que drôle.

En revanche, l'oncle Phil est formidablement campé par Steve Carell (qui a hérité du rôle prévu initialement pour Bruce Willis - selon les versions, ce dernier aurait préféré se consacrer à un autre projet, mais il semble qu'il ne se soit tout simplement pas entendu avec Allen), et la splendide Blake Lively incarne Veronica, avec qui Bobby refait sa vie (dur métier de passer des bras de Kristen Stewart à ceux de Blake Lively...).

Avec une ironie savoureuse, le cinéaste balade son héros entre deux belles jeunes femmes qui partagent donc le même prénom, mais sans insister lourdement sur le quiproquo que cela suggère (puisque le diminutif de Veronica est Vonnie). Par contre, il glisse, de manière plus grave, le nom de Hitler au détour d'une conversation, comme pour indiquer que l'âge d'or du "Café Society", son faste, coïncide avec le début de la tragédie en Europe. De l'art de mixer le dérisoire et le drame.

Visuellement, le film est une splendeur, et je pèse mes mots. On le note rarement, mais Woody Allen a souvent copieusement emballé ses productions, malgré des budgets serrés, en veillant à s'adjoindre de grands chefs opérateurs. Darius Khondji indisponible (il avait réglé l'image de ses deux derniers opus), c'est l'immense Vittorio Storaro qui a régi les lumières de Café Society. La Californie est idéalisé dans des tons chauds, ensoleillés, et New York est plus fantasmée (comme l'avoue le réalisateur) que jamais, cité glamour mais aussi encore articulée autour de quartiers pavillonaires comme ceux dans lesquels grandit Allen entre deux et six ans, à l'époque de cette histoire.

Certes, le cinéaste orchestre tout cela avec parfois une étonnante désinvolture, le drame amoureux qui se joue entre Bobby et Vonnie faisant écho aux tensions sociales de la famille Dorfman, bien moins fortement exploitées en comparaison. On peut interpréter cela comme le fait que société du titre est celle choisie d'une certaine catégorie d'individus, tout comme le scénario privilégie le quatuor Bobby-Vonnie-Phil-Veronica à tous les autres personnages, ces satellites plus convenus.

Rarement Woody Allen aura signé une comédie aussi triste mais aussi poignante sur le regret amoureux, la fin d'une époque, les renoncements, et l'imminence d'une catastrophe plus vaste. Mais c'est aussi déchirant que superbe : sourire puisque c'est grave, n'est-ce pas ça, la suprême élégance ? Bien qu'il ne s'en estime pas digne, le réalisateur se hisse au niveau de ses maîtres avec son 46ème film, sur lequel plane la référence de Lubitsch et qui est spirituellement résumé en une réplique : "la vie est une comédie écrite par un auteur sadique." 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire