mardi 17 mai 2016

Critique 889 : LE DERNIER METRO, de François Truffaut


LE DERNIER METRO est un film réalisé par François Truffaut, sorti en salles en 1980.
Le scénario est écrit par François Truffaut, Suzanne Schiffman et Jean-Claude Grumberg. La photographie est signée Néstor Almendros. La musique est composée par Georges Delerue.
Dans les rôles principaux, on trouve : Catherine Deneuve (Marion Steiner), Gérard Depardieu (Bernard Granger), Heinz Bennent (Lucas Steiner), Jean Poiret (Jean-Loup Cottins), Maurice Risch (Raymond Boursier), Andréa Ferréol (Arlette Guillaume), Paulette Dubost (Germaine Fabre), Sabine Haudepin (Nadine Marsac), Jean-Louis Richard (Daxiat).
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1942. Paris sous l'Occupation allemande. Lucas Steiner, dramaturge juif d'origine allemande et directeur du théâtre de Montmartre, est recherché par la Gestapo. C'est sa femme, Marion, comédienne, qui dirige sa troupe et l'établissement : elle est la seule à savoir que son mari se cache en fait dans les caves où, grâce à une bouche d'aération, il peut écouter les répétitions de sa dernière pièce, La disparue
Bernard Granger, Jean-Loup Cottins, Marion Steiner et Nadine Marsac
(Gérard Depardieu, Jean Poiret, Catherine Deneuve et Sabine Haudepin

Daxiat, un critique théâtral et collaborateur notoire des autorités allemandes, aimerait acquérir le théâtre tout en rédigeant des articles assassins sur la pièce qui se joue. Il le fait savoir à Marion en lui expliquant que, à cause des lois aryennes, elle n'est en vérité pas la propriétaire légal de l'endroit.
 Marion et Lucas Steiner
(Catherine Deneuve et Heinz Bennent)

C'est au même moment que Bernard Granger, un comédien talentueux et prometteur, intègre la troupe pour tenir le premier rôle masculin de La disparue. Il est aussi un coureur de jupons insatiable, qui courtise d'abord sa partenaire Arlette Guillaume (qui préfère cependant les femmes et charme la jeune première Nadine Marsac, également dans la distribution). Puis, progressivement, malgré la froideur dont elle fait preuve à l'égard de tous, Marion devient l'objet de ses attentions.
Bernard Granger et Marion Steiner

Un soir que la gestapo veut procéder à une fouille minutieuse du théâtre à la fin d'une représentation, Marion sollicite l'aide de Bernard qui découvre la situation de Lucas. Steiner a alors la confirmation non seulement des sentiments de Granger pour sa femme mais de cette dernière pour le comédien.
Ce qu'ils ignorent, c'est que Bernard a également des relations avec la Résistance, qu'il décide de rejoindre plus activement quand il comprend que Marion ne quittera jamais Lucas, même si elle accepte de le tromper avec son accord tacite....

Le projet du Dernier métro était depuis longtemps dans les tiroirs, déjà bien remplis de scripts et d'idées de films, de François Truffaut : il voulait en fait filmer une trilogie sur le monde du spectacle dont ce long métrage était le deuxième chapitre, après La Nuit américaine (1973) - L'Agence Magic était sûrement le dernier volet (Claude Miller et Claude Berri ont envisagé de le tourner après le décès de Truffaut).

Le souhait du réalisateur emblématique de "La Nouvelle Vague" était aussi d'évoquer ses souvenirs de l'Occupation nazie. Il a réussi à faire d'une pierre, deux coups avec cette histoire qui traite de cette période tout en montrant la vie au sein d'une troupe de théâtre.

Pour l'époque, Le dernier métro représentait un film à gros budget, donc risqué, surtout après que Truffaut ait essuyé plusieurs échecs commerciaux. Mais ce quitte ou double semble avoir transcendé Truffaut. Il parvient, avec l'aide de sa fidèle collaboratrice Suzanne Schiffman et du dramaturge Jean-Claude Grumberg, à composer une production solide et romanesque, très rigoureuse historiquement.

La description de la vie quotidienne en ces temps troublés dans la capitale sous le feu des bombes, récolta un énorme succès critique et public, récompensés par dix "César" et une citation aux "Oscar". Si le film a été tourné en studio (dans une ancienne usine), ce qui est aussi insolite de la part de Truffaut, adepte des films en décors naturels, cela lui donne une facture classique et très élégante, grâce à la photographie magnifique de Néstor Almendros et des mouvements de caméra dynamiques.

Le soin apporté aux détails (comme les costumes, mais aussi la bande-son, avec des chansons ré-arrangées, des diffusions radiophoniques) et l'emploi de grands acteurs au sommet de leur popularité et de leur art (même si Gérard Depardieu, au demeurant excellent, faillit refuser le film car il craignait de ne pas correspondre au style du metteur en scène !) forment un ensemble aussi flamboyant que réaliste, avec une narration fluide et très énergique (on ne voit pas passer les 120 minutes).

Les seconds rôles, très nombreux, sont également tous épatants, admirablement caractérisés et incarnés (Jean Poiret, Andréa Ferréol, Sabine Haudepin, Maurice Risch, Jean-Louis Richard - mention spéciale pour ce dernier, parfait en vrai salaud, et dont la scène où il est pris à parti par Depardieu reproduit une altercation authentique entre Jean Marais et un journaliste collabo !).

Truffaut ne montre pas un état de siège permanent mais dresse un portrait complexe, avec toutes ses facettes, à la fois de l'Occupation et de la Résistance. C'est surtout un grand film romantique sur fond historique : dans ce cadre, le cinéaste développe une romance à trois (Marion-Bernard-Heinz) débarrassée de tout cliché. Mais, pour le connaisseur du réalisateur, il y a un sous-texte savoureux avec des références à ses oeuvres passées, en particulier Jules et Jim (1961), dont Le dernier métro est une sorte de variation, se plaçant aussi au-delà des conventions sociales, morales et artistiques.

Enfin, le film peut se lire comme une déclaration d'amour à son actrice principale, Catherine Deneuve, qui fut une de ses (nombreuses) amantes. Elle est au coeur de ce récit, éprise de deux hommes, en majesté. Onze ans après l'échec de La Sirène du Mississipi, Truffaut l'immortalisait dans sa beauté et célébrait la qualité de son jeu : il n'est pas interdit de penser que ce soit lui qui, à travers le personnage de Bernard Granger, lui déclare que l' "aimer est à la fois une joie et une souffrance".

Quel plus bel hommage pour la femme, la comédienne, le théâtre, le cinéma !   

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