mercredi 4 mai 2016

Critique 881 : AINSI RÊVENT LES FEMMES, de Kressmann Taylor


AINSI RÊVENT LES FEMMES est un recueil de cinq nouvelles écrites par Kressmann Taylor, publié en 2006 par les Editions Autrement (repris en Livre de Poche en 2008).

La biographie de Katherine Taylor (1903-1996) est digne d'un roman. Elle épouse en 1928  Elliott Taylor. Elle enseignera à l'université de Gettysburg, en Pennsylvanie, les sciences humaines, le journalisme, l'écriture, et deviendra même la première femme à acquérir le statut de professeur titulaire. 

Elle écrit plusieurs nouvelles dans des revues comme "Story Magazine" ou "Reader's Digest", avant de rédiger, en 1938, son premier roman, Inconnu à cette adresse, le texte qui va changer sa vie. Parce que son mari mais aussi son éditeur, Whit Burnett, pensent que les critiques et le public ne croiront pas qu'une femme ait pu produire une telle histoire, elle accepte de le signer sous le pseudonyme masculin de Kressmann Taylor !

Mais l'anecdote est transcendée par l'Histoire avec un grand "H" quand le livre est interdit en Allemagne par le régime nazi. Cela ne l'empêche pas de devenir un succès mondial : en France, lors de sa réédition en 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la libération des camps de concentration, il s'en vendra plus de 600 000 exemplaires. 

Ce triomphe permet de reconnaître la véritable identité de l'écrivain (même si son vrai prénom n'est pas toujours mentionné) et de découvrir ses autres textes, dont ces nouvelles rédigées entre 1935 et 1963, publiés dans deux recueils :  Ainsi rêvent les femmes et Ainsi mentent les hommes
Katherine "Kressmann" Taylor

Ainsi rêvent les femmes compte cinq nouvelles, dont quatre ont pour protagoniste une femme (la cinquième met un homme en scène). L'amour y est le thème central, mais l'auteur interroge aussi le sens de la vie, qui relie ces cinq textes.   

- Harriet (5 pages, 1963) est la relation d'un rêve par une femme qui a perdu tragiquement l'homme qu'elle aimait, suggérant la présence d'une rivale.

- Anna (First Love. 12 pages, 1957) raconte comment une adolescente rencontre un beau garçon qui se montre finalement cruellement indifférent. 

- Madame (Take a carriage, Madam. 7 pages, 1935. Signé initialement sous le pseudonyme de Sarah Bicknell Kennedy.) met en scène une jeune fille qui, en voulant aider, une de ses voisines plus âgée, découvre que celle-ci vit dans le souvenir de sa gloire passée.

- Ellie Pearl (Girl in a blue rayon dress. 14 pages, 1963) retrace le retour, lors d'un congé professionnel, d'une jeune femme dans la région montagneuse où vit encore sa famille et un jeune homme dont elle va tomber amoureuse. 

- Rupe Gittle (Goat Song. 9 pages, 1963) résume la mésaventure d'un paysan quinquagénaire grisé par la sensualité d'une jolie et jeune voisine. 

Le style de Kressmann Taylor est d'une remarquable sensibilité, les passages consacrées aux sensations éprouvées par ses personnages face à la nature sauvage, aux couleurs (le rouge et le bleu sont omniprésents), aux émotions - qui traversent et bouleversent les héroïnes. Celles-ci ont des âges divers et font l'expérience du sentiment amoureux de manière très variée, comme un mouvement souvent violent, un trouble profond, exprimant aussi bien le deuil que l'éveil, la compassion ou la gêne.  

Pour évoquer ces tumultes intimes, Kressmann Taylor emprunte des voies oniriques, du récit initiatique, d'histoires de retour aux sources, de révélations brusques. Ces femmes et cet homme sont confrontés aux élans de leur sentiment  et au cadre de la raison, ils se débattent avec leurs regrets, leurs nostalgies, leurs maladresses, leurs inquiétudes, composent tant bien que mal avec leur solitude, leurs désirs, leur amertume. Tout cela de manière très subtile et évocatrice, dans un langage simple et élégant.

Mais qu'elles soient tendres ou cruelles, ces histoires traduisent surtout la bienveillance de l'auteur envers ses créatures de papier, le lecteur ne peut qu'avoir de la sympathie pour Harriet, Anna, Ellie. Et ce, pour une raison élémentaire : comme elles, nous ne contrôlons pas toujours nos émotions mais en y restant attentifs, elles nous permettent de saisir le monde et ceux qui y vivent à nos côtés.

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