mardi 12 avril 2016

Critique 864 : HARMONY, TOME 1 - MEMENTO, de Mathieu Reynès


HARMONY : MEMENTO est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Mathieu  Reynès, publié en 2015 par Dupuis.
*

Une adolescente, reprend connaissance en pleine nuit, couchée dans un lit, installé dans la cave d'une cabane. La situation l'inquiète d'autant plus qu'elle est frappée d'amnésie mais entend des voix. Affaiblie, elle tente de se lever mais s'évanouit aussitôt.
A son réveil, elle a été remise au lit et un plateau avec un repas a été déposé auprès d'elle. Son hôte, un homme imposant, apparaît enfin et se présente à elle sous le nom de Nita. Mais, remarquant qu'elle n'est pas plus rassurée, il la laisse tranquille.
La nuit qui suit est agitée pour la jeune fille qui est la proie de cauchemars dont elle ne saisit pas le sens. Revenue à elle, elle s'interroge, notant des traces de piqûres sur ses bras. Elle découvre aussi qu'elle est capable de déplacer des objets par la seule force de la pensée.
Cela, elle le cache à Nita lorsqu'il revient et qu'il lui recommande d'avaler des pilules - qu'elle recrache une fois qu'il a le dos tourné. Lorsqu'il l'autorise à le rejoindre au rez-de-chaussée, elle décide de le questionner : elle apprend qu'elle se prénomme Harmony et qu'elle doit apprendre à maîtriser ses pouvoirs télékinétiques en prévision d'une importante mission, dont l'origine remonte à une très lointaine époque... 
Premières recherches (2006).
Nouvelles recherches (2012)

Pré-publié à la fin de l'année dernière dans le journal de "Spirou", ce premier tome a été une découverte enthousiasmante, et dans les interviews que son auteur a données en complément des trois premiers chapitres parus dans la revue, on apprenait que c'était un projet longuement mûri et destiné à être développé sur le long terme.

Mathieu Reynès fait preuve de beaucoup d'ambition pour sa première oeuvre en tant que scénariste et dessinateur, à la mesure de la persévérance avec laquelle il a abouti à ce premier épisode : l'aventure a démarré en 2006 et l'idée d'un récit fantastique sur l'équilibre des énergies. Accaparé par d'autres productions en tant qu'artiste, Reynès a rédigé plusieurs versions à partir de cet argument, synthétisant trois pistes narratives. En 2012, il arrive à un synopsis qui lui convient mais hésite encore sur le traitement graphique (notamment la représentation de son héroïne).

Finalement, l'année dernière, son projet aboutit et obtient l'approbation des éditions Dupuis : il ne s'agit pas d'une petite affaire puisqu'un premier cycle de trois tomes est mis en route, et un nouveau tome sera publié chaque année. Ce ne sera pourtant que le premier acte d'une saga plus ample encore !

Pour l'instant, penchons-nous donc sur cet épisode inaugural : Mathieu Reynès désoriente efficacement le lecteur en ouvrant sur un prologue situé il y a 4000 ans et opposant des dieux dotés d'immenses pouvoirs. Puis, sans transition, on passe au dîner d'une famille dont le père reçoit un énigmatique appel téléphonique l'informant de la capture d'un signal puissant dont il exige qu'on remonte l'origine. Enfin, on découvre une jeune fille amnésique détenue dans une cave.

L'auteur réussit parfaitement à nous sensibiliser à la détresse de cette adolescente : on va progresser dans le récit au même rythme qu'elle, ce qui renforce le mystère oppressant de sa situation. Reynès, comme scénariste, applique une narration décompressée, il aime prendre son temps (comme il le faisait déjà dans La mémoire de l'eau), mais ménage quelques scènes suffisamment accrocheuses pour que le lecteur ne renonce pas - ainsi quand Harmony, la jeune héroïne, se voit doter de pouvoirs télékinétiques ou entend des voix.

Le rôle de Nita, qui est à la fois un geôlier, un gardien, un guide, relève davantage du poncif et, physiquement d'ailleurs, il renvoie directement au gardien de phare, Virgil, dans La mémoire de l'eau. Mais c'est une figure de style nécessaire dans le cadre initiatique de l'histoire : Reynès admet humblement qu'il ne prétend pas révolutionner le genre fantastique et cite de nombreuses influences dans divers médias (les romans Charlie et Carrie de Stephen King et La Nuit des enfants-rois de Bernard Lenteric, les mangas Domû et Akira de Katsuhiro Otomo, le film Chronicle de Josh Trank, les séries télé Fringe et Heroes), mais il les a bien assimilées.

Le suspense est alimenté pendant la majeure partie du tome par l'interrogation relative au statut de Nita : est-il un tortionnaire ? Ou un allié ? L'ambiance est prenante, et dans le dernier tiers de l'histoire, quelques révélations surviennent. Mais c'est déjà la fin de l'album et l'opacité qui subsiste frustre beaucoup tout en donnant envie de lire la suite. Il faudra donc attendre quelques mois pour savoir si les promesses seront tenues et même dépassées : en l'état, ce Memento est alléchant, osant aller dans une direction peu exploitée de cette manière (soit : comme un comic-book mixé au format européen) dans la bande dessinée franco-belge. On aurait bien sûr aimé en avoir plus, mais il est évident que Reynès en a gardé sous le pied et que Harmony peut aller loin.
Taylor Momsen : le modèle final d'Harmony
Recherches (2015).

Ce qui séduit aussi le lecteur, c'est la qualité graphique de Reynès : son trait est très expressif et énergique, avec un découpage très cinématographique (une abondance de plans larges, des décors soignés élaborés d'abord par ordinateur), et une colorisation magnifique (signée par Valérie Vernay).

Là encore, la préparation très longue du projet a permis à l'artiste d'affiner le résultat : d'abord jeune femme puis fillette brune, le personnage d'Harmony a été modelé d'après l'actrice et chanteuse Taylor Momsen (vue dans la série télé Gossip Girl, entendue avec le groupe de rock The Pretty Reckless). Mais ce casting ne parasite pas la lecture.

La série démarre en tout cas très fort et connaît même d'autres facettes puisqu'une bande-son a été composée par Thomas Kubler. Ce n'est pas tous les jours qu'on tient en main une BD pareille, même si, évidemment, Matthieu Reynès, en plaçant la barre si haut, se met une sacrée pression face à des fans tout de suite très exigeants…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire