lundi 28 mars 2016

Critique 850 : TITANIC, de Attilio Micheluzzi


TITANIC est un récit complet écrit et dessiné par Attilio Micheluzzi, publié en 1990 par Casterman.
Cet album a été réédité, dans une version noir & blanc, en 2012 par les Editions Mosquito.
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Le 10 Avril 1912, le paquebot "Titanic" quitte le port de Southampton pour celui de Cherbourg puis remonte jusqu'à celui de Queenstown. Il doit ensuite traverser l'Atlantique pour rejoindre New York.
Le capitaine Edward J. Smith commande ce bateau annoncé comme insubmersible, long de 268 mètres, avec à son bord 2 300 passagers.
Parmi eux, on trouve : George Barton Putnam dit "le taureau", un riche homme d'affaires qui veut se présenter au poste de sénateur de l'Etat de l'Ohio. Il a pour amant Olivier de la Bretonne, qui le trompe avec Madeleine Desvilles, mariée au vieux mais fortuné Raymond.
Le secret de Putnam est découvert par le journaliste John Hubbard Hall qui veut précipiter la chute du "taureau", capitaliste grossier et brutal. C'est aussi une des cibles de Rafaël Mora, un anarchiste catalan, complice des indépendantistes irlandais, qui veut faire sauter une bombe pour couler ce fleuron de la marine britannique.
Durant le trajet, Mora s'éprend de Molly, une jolie bonne servant en première classe, tandis que le prince moussin Viktor Denissevitch Medel est ulcéré par la suffisance de son rival anglais, lord Albert Brudenell, qu'il doit affronter dans la course automobile New York-Chicago.
Tous ces personnages ignorent que leur destin va basculer dans la nuit du 13 au 14 Avril quand le "Titanic" heurtera un iceberg et sombrera dans les eaux glacées...

Dès les premières superbes images, on a déjà la conviction de tenir un grand album par ce maître de la bande dessinée italienne qu'était Attilio Micheluzzi. Quand il réalise Titanic, l'auteur était déjà au sommet : son art de la narration et du dessin, son génie pour caractériser de manière vive ses personnages, pour animer des intrigues sur un ton unique n'appartenait qu'à lui. 

Le premier plan, d'un graphisme somptueux, donne le "la" de la tragédie qui va se nouer durant les 72 pages de ce récit complet :  Micheluzzi la met en scène avec une écriture très littéraire, via un narrateur omniscient et volontiers sentencieux, qui possède à la fois une chaleur humaniste et une authentique noirceur - l'expression d'un sceptique, à l'humour sarcastique, observant ce microcosme avec cynisme.  Cela produit des fulgurances, des envolées imprécatrices étonnantes, mais surtout un souffle rare. Au-delà de la qualité scénaristique et visuelle,  Micheluzzi transcende le cadre de l'action en parlant de lutte des classes, de sexualité, de terrorisme, et parvient à conserver du suspense dans une saga dont on connaît la fin dès le début. 

 "Quand le dernier des douze coups sonne à la grande horloge, alors c’est minuit pour tout le monde… Et qu’importe alors que l’on soit blanc, jaune, riche ou pauvre…"

L'implacable engrenage donne du corps à une ambiance tendue et du dérisoire à des existences pathétiques : le spectacle dont le "Titanic" est le théâtre est celui de la perte d'hommes et de femmes, précipitée par l'exiguïté dans laquelle ils se retrouvent. C'est un compte à rebours que détaille Micheluzzi qui, plutôt que d’aborder l’épisode du Titanic vu de l’extérieur, dans un récit simplement factuel, à la manière d'une reconstitution classique, déploie un casting en proie à des sentiments extrêmes. Jalousie, rivalité, obsession, nationalisme, idéalisme sont conviés dans ces tranches tranches de vie décisives.

Micheluzzi est, bien à sa manière, un naturaliste : ses personnages, mus par leur orgueil, leur violence, leurs frustrations, leur aveuglement, ne s'en seraient de toute façon pas sortis indemnes, même sans l'iceberg heurté par le paquebot. La vision de cette tragédie est donc décalée. Les drames qui vont sceller les destins de Putnam, Olivier, Madeleine, Brudenell, Medel, Mora, Molly procèdent de cette intention : montrer les ravages de la passion sous toutes ses formes.

Ainsi, Micheluzzi montre très peu le naufrage lui-même quand il survient, privilégiant jusqu'au bout ses protagonistes, souvent dans les décors intérieurs du vaisseau en perdition, entraînant le lecteur dans des mouvements déroutants sur un tempo de plus en plus saccadé. Lorsque le "Titanic" a disparu dans l'océan de ténèbres, le lecteur est aussi ahuri que les survivants : il a suffi de trois cases pour que le paquebot soit englouti alors qu'auparavant plusieurs personnages principaux ont déjà été sacrifiés ! 

Tout le brio de  Micheluzzi éclate dans cet album puissant, fascinant, qui se dévore plus qu'il ne se lit. Et pourtant, quelle délicatesse dans le trait du dessin, quelle élégance dans la représentation de l'action ! L'auteur impressionne avec ce traitement humain, intimiste, mais sans concessions, marqué du sceau de la fatalité. On peut dire que c'est un chef d'oeuvre sans céder à la facilité.

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