mardi 22 mars 2016

Critique 846 : UNE AVENTURE DE STANISLAS - KLONDIKE, de Dupuy et Berberian


UNE AVENTURE DE STANILAS : KLONDIKE est un récit complet écrit et dessiné par Charles Berberian et Philippe Dupuy, publié en 1989 par les Editions Milan.
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Stanislas arrive en Mars 1898 dans la ville de Scagway, en Alaska, depuis la France. Il est à la recherche d'un certain Frank Beaulieu, venu dans le Grand Nord pour y trouver de l'or... Mais qui ignore qu'il vient d'hériter de la fortune de son oncle Ernest.
Pour communiquer la nouvelle au destinataire, Stanislas s'adjoint les services du Sergent, une brave crapule porté sur la boisson et ennemi juré du maître du coin, Soapy Smith, toujours flanqué de ses deux hommes de mains, de grands et robustes benêts. Smith est convaincu que Stanislas est là pour écrire sa hagiographie, à moins qu'il ne veuille révéler comment il a (malhonnêtement) fait fortune...
Le périple de Stanislas le conduit jusqu'à Dawson City où Frank Beaulieu exploite avec succès une mine d'or que tout le monde croyait épuisée. C'est aussi là que le représentant du cabinet Colville rencontre la femme de l'héritier, la belle Clara, qui ressemble trait pour trait à Mildred, la femme dont il ne cesse de rêver...

Cette oeuvre est une des premières productions du duo formé par Dupuy et Berberian avant qu'ils ne rencontrent le succès avec Monsieur Jean. Contemporain de la série Le Journal d'Henriette, cet album est une vraie curiosité dans leur bibliographie.

Tout d'abord, il s'agit d'une histoire d'époque : le récit se déroule à la fin du XIXème siècle dans le Grand Nord américain, en pleine ruée vers l'or, ce qui tranche singulièrement avec les chroniques modernes, urbaines et parisiennes qui vaudront la reconnaissance critique et commerciale au tandem.

Mais, toutefois, quelques éléments sont déjà là, en germe, annonçant leur future production : le héros, Stanislas, un clerc de notaire, est un doux rêveur, parfois animé de quelques accès de colère, qui préfigure Monsieur Jean, et, venant de France, il est en complet décalage dans ce décor hostile, peuplé de désoeuvrés et de vauriens issus de la mythologie du western. L'allure même de Stanislas trahit son origine : avec ses lunettes rondes, ses cheveux soigneusement peignés et plaqués, sa mise soignée, son vocabulaire châtié (même quand il s'énerve, il ne va jamais jusqu'à l'insulte, répétant au Sergent : "Vous... Vous êtes..."), sa présence est savoureuse.

Dupuy et Berberian réservent les aspects comiques aux seconds rôles : d'un côté, le Sergent, un filou, qui sert de guide à Stanislas, capable de voler une banque (mais juste pour récupérer l'argent qu'on lui a auparavant dérobé !), de corrompre des passeurs (mais pour épargner à son ami un trajet plus éprouvant) ; et de l'autre, le trio composé de Soapy Smith et de ses deux gardes du corps jumeaux et obèses à qui il inflige des remontrances en continu et des punitions en conséquences, poursuivant Stanislas et le Sergent sur un malentendu. Les gags générés par ces personnages sont gentils, inoffensifs, à l'image de l'histoire dans son ensemble.

Car les auteurs sont des tendres eux-mêmes : cette absence de cynisme, cette naïveté assumée, donnent déjà tout son charme à cette aventure, qui se conclut sur une note sentimentale, bon enfant.

Le graphisme, déjà assuré à quatre mains comme l'écriture, n'a pas encore le style affirmé à l'oeuvre dans Monsieur Jean, avec notamment un encrage plus fin, aux lignes fermées: l'influence d'Yves Chaland est très prononcée, mais le résultat est déjà élégant et abouti. 

Le traitement des décors gagne en densité avec ce trait plus "ligne claire", comme en témoigne la pleine page qui ouvre l'histoire (un superbe plan d'ensemble en plongée sur le port de Scagway), alors que les personnages ont une physionomie déjà épurée, un minimalisme raffiné.

Une délicieuse pépite découverte dans un bac de la bibliothèque municipale, visiblement bien oubliée (et c'est dommage) comme me l'a appris la fiche tamponnée avec la date de retour (le dernier prêt remontait à 5 ans !). 

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