lundi 21 mars 2016

Critique 844 : L'HOMME QUI NE DISAIT JAMAIS NON, de Didier Tronchet et Olivier Balez


L'HOMME QUI NE DISAIT JAMAIS NON est un récit complet écrit par Didier Tronchet et dessiné par Olivier Balez, publié en 2016 par Futuropolis.
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Alors qu'elle est encouragée par une collègue, Violette, une hôtesse l'air sur un vol Air France à destination de Lyon, exerce ses talents d'apprenti-profiler en dressant les portraits psychologiques de passagers. L'un d'eux, un jeune homme, est toutefois insondable.
Une fois à l'aéroport, Violette retrouve cet inconnu devant un distributeur de billets, visiblement complètement perdu. Elle lui offre son aide mais s'étonne quand, pour s'identifier, il a besoin de consulter son passeport. Il s'appelle Etienne Rambert mais avoue n'avoir aucun souvenir de qui il est et ce qu'il fait là.
Violette l'accompagne jusqu'à son domicile, dont l'adresse figure sur ses papiers, après lui avoir proposé de devenir le sujet de sa thèse. Chez lui, Etienne ne réalise toujours pas. Sur son lieu de travail, il est houspillé par son associé puis une de ses collègues se jette sur lui dans un bureau pour qu'il lui fasse l'amour. A la banque, le directeur, avec qui il est ami, l'informe qu'il a fait d'importants retraits. Puis de retour dans sa maison, son père lui reproche son insouciance et le soutien qu'il a apporté à sa mère alors que ses parents sont en train de divorcer.
Violette passe la nuit avec Etienne et se donne à lui. Le lendemain matin, une agent immobilière vient faire visiter la maison à un client. Ils sont obligés de quitter les lieux précipitamment, mais quand Etienne descend dans son garage, il découvre les cadavres d'une femme et d'un chien, qu'il dissimule à Violette.
Il décide alors de quitter la France pour gagner Quito, la capitale de l'Equateur, car il a un billet pour cette destination dans son sac, et se sépare de Violette. Mais la jeune femme continue à le suivre, résolue à percer son mystère...  

J'ai repéré cet album dans la rubrique "BD Boutik" du journal de "Spirou" et, alors que j'ai l'habitude de tergiverser avant de procéder à l'achat d'une nouveauté, je me le suis procuré rapidement, mu par une curiosité rare. L'interview de son scénariste, Didier Tronchet, m'avait mis l'eau à la bouche et, en effectuant une recherche sur son dessinateur, Olivier Balez, j'ai été séduit par le graphisme du projet.

Après avoir dévoré ces 140 pages, j'ai été un peu dérouté par le résultat. D'abord à cause d'un détail qui m'a troublé...

Ceux qui suivent mes critiques sur ce blog savent que je suis un grand fan de Jérôme K. Jérôme Bloche de Dodier, dont la fiancée du héros, Babette, est aussi une hôtesse de l'air. Or il apparaît que Violette, l'apprentie profiler de L'homme qui ne disait jamais non, lui ressemble étrangement : c'est donc comme si cette histoire était un curieux spin-off de JKJB avec sa copine dans le premier rôle.

L'intrigue, elle aussi, ne déparerait pas dans la série de Dodier tant Tronchet, loin ici de ses productions emblématiques (comme Raymond Calbuth ou ses "romans graphiques" comme Houppeland), a imaginé un récit qui évoque les enquêtes du détective de son homologue. La figure de l'amnésique est un classique du genre policier et un sujet d'étude idéal pour une étudiante en psychologie à l'imagination nourrie par de nombreuses fictions littéraires et cinématographiques et adepte de théories plus ou moins fantaisistes. Violette romance l'existence d'Etienne Rambert au moins autant qu'elle cherche à la décrypter et comme son cobaye se montre, comme le définit son ami Xavier, "pas contrariant" (comme l'indique le titre, il acquiesce à tout), elle se montre très (trop) enthousiaste.

La passivité du jeune homme installe une relation biaisée avec son escorte : il est d'abord totalement dépendant d'elle et, avec son look étrange de petit garçon (bermuda, tee-shirt, veste), il se comporte comme un enfant égaré avec elle. Puis Tronchet cède à une certaine facilité en en faisant des amants, puis en confirmant que l'amnésie d'Etienne a bel et bien été provoquée par un drame de nature criminelle. A plusieurs reprises ainsi, le scénario cite le film d'Hitchcock, La Maison du docteur Edwardes (1945, avec Gregory Peck et Ingrid Bergman), mais la référence est écrasante car ce one-shot n'en partage pas toute la qualité.

En vérité, en se dirigeant vers le décor exotique et inattendu de Quito en Equateur, l'histoire rebondit, mais sans réellement en profiter autant qu'espéré. La dernière partie et le dénouement, avec une explication en bonne et due forme, se révèle on ne peut plus classique, un fait divers convenu et qui épargne assez largement ses protagonistes. 

Néanmoins tout cela se laisse gentiment lire. Le faux rythme, et le graphisme élégant y participent grandement. Pourtant, là encore, au risque de paraître difficile, j'ai été un peu déçu quelquefois par le dessin d'Olivier Balez. Son trait invite à des rapprochements divers : un peu de Dupuy & Berberian, un peu de Mazzucchelli (celui de Cité de Verre surtout)... Visuellement on cherche là aussi une identité plus définie.

L'encrage, au pinceau aboutit à un trait épais et épuré qui profite à l'expressivité, mais pas toujours au soin des décors, quelquefois schématiques (à l'exception de superbes pleines pages). La composition des images comporte des maladresses fréquentes soulignées par un découpage désinvolte (la scène de la fuite de Violette et Etienne dans la nuit de Quito). Là où Balez est le plus efficace, c'est lorsqu'il s'en tient à des cadrages simples, économes, quand il emploie le bon vieux "gaufrier". Mais dès qu'il s'en échappe, il est beaucoup moins à son avantage, et quelques passages ne fonctionnent absolument pas, visuellement et narrativement (le bref moment onirique avec la statue).

La colorisation assurée par l'artiste, avec ses à-plats aux tons majoritairement chauds, est positivement opportune et contribue à de belles ambiances.

L'homme qui ne disait jamais non ne tient donc pas toutes les promesses que je lui avais prêté : c'est une lecture plaisante mais qui ne transcende pas son propos ni dans son développement écrit ni dans son traitement visuel. C'est frustrant, mais cela rappelle qu'acheter et lire une BD est toujours un pari pris sur une intuition dérisoire.

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