mercredi 9 mars 2016

Critique 835 : UNE FAIBLESSE DE CARLOTTA DELMONT, de Fanny Chiarello


UNE FAIBLESSE DE CARLOTTA DELMONT est un roman de Fanny Chiarello, publié en 2013 par les Editions de l'Olivier.

Carlotta Delmont, jeune cantatrice soprano de 29 ans, doit se produire à Paris où elle arrive enrhumée. Une fois rétablie, elle donne une représentation de Norma le 27 Avril 1927 devant un public conquis.
Mais le lendemain, elle est portée disparue. L'affaire fait grand bruit et agite les médias. Son partenaire et amant, le ténor Anselmo Carat, est suspecté de l'avoir tué et incarcéré. Sa femme de chambre, la fidèle Ida Pecoraro, s'entretient avec lui par lettres. Les journaux commentent abondamment et les théories se succèdent : s'agit-il d'un suicide ? D'une fugue ? D'un enlèvement ? D'un crime ?
L'imprésario et compagnon de Carlotta, de quinze ans son aîné, Gabriel Turner, et la mère de la cantatrice, partent de New York pour gagner Paris.
Le 2 Mai 1927, Carlotta réapparaît en se présentant à des policiers dans le quartier de Montparnasse. Tandis qu'elle repart en Amérique, elle est poursuivie par le scandale et la justice française car elle paiera très cher pour le mystère entourant les raisons de sa disparition... 
Fanny Chiarello

Le deuxième roman de Fanny Chiarello est une oeuvre alléchante mais décevante compte tenu du potentiel dramatique de son sujet. Ces quelques 180 pages auraient, avec moins de maniérisme dans le style, fait une nouvelle formidable, mais l'auteure n'est pas parvenu à en tirer un livre suffisamment prenant.

Par ailleurs, cette intrigue en rappelle furieusement une autre, authentique celle-là, transposée dans le milieu de l'opéra sans que ce changement de cadre ne profite vraiment au résultat. En effet, en 1926, soit à une année près, au même moment où se déroule ce récit, Agatha Christie fut au coeur d'une affaire semblable, digne de ses propres textes, et qui reste encore aujourd'hui nimbée d'un mystère bien plus envoûtant.
La mystérieuse disparition d'Agatha Christie en 1926
à la "une" du "Daily Mirror".

La romancière britannique avait alors 36 ans, sa carrière était déjà à son sommet, et elle était l'épouse d'un héros de la "grande guerre", le colonel Archibald Christie, avec lequel elle vivait dans une luxueuse résidence à la campagne, avec leur fille, Rosalind. Pourtant ce couple était au bord de l'implosion.

Le 3 Décembre 1926, elle quitte le domicile conjugal et ne donne plus signe de vie, déclenchant une vive émotion dans tout le pays. La police retrouve sa voiture dans un fossé et dans le véhicule, son manteau de fourrure. Les journalistes font le siège de la maison des Christie. 

Ce que tous ignoraient, c'est qu'Archibald Christie était amoureuse d'une autre femme, de dix ans sa cadette, Nancy Neele, à laquelle il avait confiée son intention de divorcer. La romancière, elle, était bouleversée par la mort récente de sa mère et en proie, depuis, à des insomnies, négligeant son alimentation, et sujette à divers troubles évoquant une dépression nerveuse. Archibald Christie fut accusé d'avoir tout à gagner de la mort de son épouse, mais bénéficiait d'un alibi imparable (il participait à une party de campagne). Les échotiers pensaient aussi à un coup publicitaire organisé de toutes pièces par l'écrivaine. Le "Daily Mirror" promit même une récompense contre toute information susceptible de retrouver Agatha Christie. Son beau-frère expliqua qu'il avait reçu une lettre d'elle postée à Londres le lendemain du jour de sa disparition. Son mari suggéra qu'elle avait effectivement des pulsions suicidaires.

Le 14 Décembre, 11 jours après sa disparition, le maître d'hôtel du "Swan Hydropathic" de Harrogate reconnaît la romancière parmi les clientes et prévient la police. Le colonel la rejoint sur place où elle était là depuis dix jours. Pour calmer la presse, son mari prétendit qu'elle souffrait d'une amnésie.

Tout cela laissa des traces : on estima que l'enquête coûta une fortune aux contribuables, le roman qu'Agatha Christie publia ensuite (Les Quatre) reçut un accueil glacial de la part des critiques mais connut un grand succès commercial comme le reste de son oeuvre. Elle divorça et épousa Sir Max Maalowan tandis qu'Archibald se remaria avec Nancy Neele. Mais jusqu'à la fin de ses jours, l'auteure refusa de parler de sa disparition.

Tout cela ressemble donc énormément à ce qu'a écrit Fanny Chiarello et cette dernière n'a pas ménagé ses efforts pour donner à son opus une originalité formelle : le texte se présente à la fois sous la forme d'une correspondance entre plusieurs des protagonistes, tour à tour comme des lettres et des télégrammes, mais aussi des articles de presse, et même le livret en trois actes d'une pièce de théâtre inspirée par l'aventure de Carlotta Delmont dix ans près les faits.

Mais tout cela ne compense pas la minceur de l'argument et la maladresse de son exploitation. Le style est souvent ampoulé, avec un langage précieux, utilisé indifféremment par tous les personnages, abolissant toute caractérisation - la bonne Ida s'exprime aussi pompeusement que sa diva de maîtresse.

Carlotta Delmont n'est pas, par ailleurs, une héroïne attachante : elle semble constamment en train de jouer un rôle inspirée par ceux du répertoire lyrique auquel elle doit sa renommée, mais ses amourettes n'ont pas la flamboyance tragique qu'elle prétend. Quand on apprend pourquoi elle a fugué, la vérité est dérisoire. Et, même si le public, les médias, ses proches (son imprésario-compagnon, sa mère, son amant) lui feront payer cher son écart, on constate qu'elle analyse tout cela avec un détachement arrogant à la toute fin, qui ne lui vaut pas davantage la compassion du lecteur.

Le seul mérite de cet ouvrage est qu'il se lit vite : Fanny Chiarello a le sens du rythme plus que du romanesque, comme si elle avait eu trop d'ambition et pas assez de souffle. 

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