dimanche 21 février 2016

Critique 821 : BULLITT, de Peter Yates


BULLITT est un film réalisé par Peter Yates, sorti en salles en 1968.
Le scénario est adapté par Alan Trustman et Harry Kleiner de Mute Witness de Robert Pike. La photographie est signée William Fraker. La musique est composée par Lalo Schiffrin.
Dans les rôles principaux, on trouve : Steve McQueen (Frank Bullitt), Jacqueline Bisset (Cathy), Robert Vaughn (Walter Chalmers), Don Gordon (Delgetti).
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Le lieutenant de police Frank Bullitt reçoit d'un ambitieux procureur, prétendant à une carrière politique, la mission de protéger le mafieux repenti Johnny Ross jusqu'à son témoignage à un procès.
Frank Bullitt
(Steve McQueen)

Bien qu'il ait veillé à sécuriser l'homme, deux tueurs professionnels parviennent à le localiser et à l'abattre ainsi qu'à blesser gravement le policier qui le surveiller. 
Frank Bullitt et Walter Chalmers
(Steve McQueen et Robert Vaughn)

Pourtant, pour identifier les coupables et comprendre le fin mot de cette intrigue, Bullitt décide de subtiliser le cadavre et refuse de dire à Chalmers et ses propres supérieurs où il le cache.
Cathy et Frank Bullitt
(Jacqueline Bisset et Steve McQueen)

Cette stratégie ne met pas seulement en danger sa carrière de flic mais impacte aussi le couple qu'il forme avec Cathy, une jeune femme qu'il fréquente depuis peu et qu'il essaie de préserver de la violence de son métier et du monde en général.
La Ford Mustang Fastback 68 de Bullitt

En reconstituant le passé de Ross et ses derniers jours avant qu'il ne se livre, Bullitt comprend que le gangster a mystifié tout le monde : il est toujours en vie, en fuite, et l'homme mort à sa place était un prête-nom...

Revoir Bullitt, c'est faire l'expérience de comparer le souvenir flatteur d'un film découvert dans sa jeunesse, plusieurs fois diffusé à la télé, constitutif du mythe de son acteur-vedette, et la réalité d'un polar en vérité mineur mais diablement efficace.

Aujourd'hui, Steve McQueen, tel l'icone qui nous toise sur l'affiche rétro de ce long métrage sorti en 1968, année ô combien chargée de symboles sociétaux, est lui-même devenu une star décalée, dont le nom ne dit sûrement plus grand-chose, voire rien, aux générations suivant la mienne : tout au plus s'agit-il pour de nombreux jeunes que le mec qui figure sur les publicités pour une marque de montres de luxe.

Pourtant, même accompagné de cette nostalgie, le film demeure magique parce qu'il est justement devenu un objet mythologique, une oeuvre de mémoire, le témoignage d'une époque, d'un certain style. McQueen incarne tout cela et Bullitt en est l'écrin.

Même si on n'est pas un macho, ce film déborde d'une virilité étonnante, qui est presque comique. C'est un film de mecs, un film pour les garçons, avec de grosses bagnoles, des fusillades, des jolies filles, d'affreux malfrats, des politiciens magouilleurs.

Bullitt est un un lieutenant de police, mais son grade n'a finalement que peu d'importance : c'est d'abord, surtout un flic. Il est taciturne, incorruptible, entêté. Il sort avec une superbe fille, moins âgée que lui, et qui est l'archétype de la fiancée du héros, une potiche aussi sexy que fragile : on se dit qu'il a de la chance d'avoir une girlfriend aussi jolie, aussi éprise, et on sourit ironiquement en pensant qu'il avait un bien dur métier, McQueen, en tournant la même année avec Faye Dunaway (dans L'Affaire Thomas Crown) et Jacqueline Bisset (tout juste âgée de 25 ans alors).

Le romantisme avec lequel Peter Yates, jeune cinéaste anglais imposé par McQueen après qu'il ait vu son précédent opus (Trois milliards d'un coup, sorti en 1967), met en scène le couple a quelque chose de ridicule tellement il est cliché, avec des filtres, dans l'appartement de Bullitt ou lors d'un dîner au restaurant avec des amis snobs de la jeune femme. Quand la cruauté brutale du monde du héros atteint celui de sa compagne, lorsqu'elle voit le cadavre d'une femme dans une chambre d'hôtel, la suite est rapidement expédiée à cause du peu de consistance du personnage féminin (elle pique une crise mais retombe dans les bras de son amoureux).

Ce traitement est symptomatique : tout, dans Bullitt, est en fait survolé, effleuré, peu exploité. L'intrigue traîne souvent puis accélère brutalement pour aboutir à un dénouement frustrant. Mais tous ces défauts ont un charme pourtant irrésistible.   
Cathy
(Jacqueline Bisset)

Car Yates a su imposer des choix esthétiques très forts pour l'époque, qui conservent à son film une vraie modernité. Les personnages ont tous une allure fantastique et sobre à la fois, comme Bullitt et imperméable beige, son col roulé et son pantalon cigarette ; Cathy avec sa mini-jupe et ses bottes de cuir droites ; Chalmers et ses complets sur mesure. Tout a une classe folle dans la fin de ces années 60, où le lustre des 50's n'a pas encore cédé au naturalisme des 70's.

Même constat pour le scénario : ce qui compte n'est pas tellement donc ce qui nous est raconté, mais la manière dont c'est fait, avec un indéniable style. L'ambiance prime sur l'intrigue, dont les points forts résident plus dans l'opposition entre l'intègre Bullitt et l'ambitieux Chalmers que dans la révélation du dossier Johnny Ross. Revoir ainsi deux des anciens Sept Mercenaires, Steve McQueen et Robert Vaughn, face à face est un régal, chacun plus que parfaits dans leurs interprétations.

Il y a un climat cotonneux, quasi-contemplatif dans ce film, où les motifs esthétiques prévalent sur les figures narratives. La fameuse course-poursuite, le "morceau de bravoure", résume cela : tourné, comme toute l'histoire en décors naturels, se déroulant sur presque onze minutes, elle valut un Oscar du meilleur montage à Frank Keller et inspira une multitudes de scènes par la suite. Le spectacle de la Ford Mustang Fastback 68 est encore un sommet du genre, traquant, percutant, la Dodge Charger des tueurs dans les rues de San Francisco et hors de la ville est aussi saisissant au niveau sonore avec le vrombissement des moteurs, les crissements des pneus, les changements des boîtes de vitesse, le fracas des tôles, qui composent à la fois une symphonie baroque et un film dans le film.
"VRRAAAOOUMM !"

Il y a, en définitive, quelque chose de sommaire, de basique, de primaire dans ce polar. Regardez McQueen : il a rarement aussi peu paru jouer. Il est pratiquement muet pendant la majeure partie du film, mais quelle présence ! Ce superbe fauve vous fixe d'un regard perçant, l'économie de ses gestes, l'intensité de son charisme naturel suffit à meubler son personnage grossièrement taillé. Robert Vaughn incarne lui aussi l'arriviste absolu, odieux et onctueux à la fois, sans avoir besoin d'en faire trop : sa gueule même définit le district attorney parvenu qu'il campe. Et Jacqueline Bisset, bien que dirigée avec toute la misogynie typique de l'époque, est d'une telle beauté qu'elle magnétiserait n'importe qui. On remarquera même Robert Duvall, avec encore quelques cheveux sur le crâne, dans la peau d'un chauffeur de taxi dans une séquence cruciale (juste avant la course-poursuite, et déterminante dans la reconstitution du passé récent de Johnny Ross).

La nonchalance de la production aboutit donc à ce sentiment étrange que, malgré d'évidentes lacunes, le film est tout de même fascinant. Porté par une musique extraordinaire composée par Lalo Schiffrin (dont le thème est une vraie "scie", latino-jazz), Bullitt possède une aura paradoxale : franchement moyen et pourtant inusable, paresseux mais brut, il est pareil à une relique au charme improbable mais délicieux.

Souhaitons juste que jamais, comme il en est question depuis des années, un remake (prévu pour Brad Pitt) ne voit le jour...

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