mardi 12 janvier 2016

Critique 790 : LES VIEUX FOURNEAUX, TOME 1 - CEUX QUI RESTENT, de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet


LES VIEUX FOURNEAUX : CEUX QUI RESTENT est le premier tome de la série, écrit par Wilfrid Lupano et dessiné par Paul Cauuet, publié en 2014 par Dargaud.
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Pierre Mayou, un vieil anarchiste, va chercher son ami Mimile, ancien de la marine marchande, dans sa maison de retraite pour assister à la crémation de Lucette, la femme de leur copain d'enfance Antoine Perron.
A cette occasion, ils font la connaissance de Sophie, la petite fille d'Antoine, qui ressemble étonnamment à Lucette, enceinte de sept mois, qui s'est installée dans la région après avoir quitté la ville et son emploi. On ignore qui est le père de son enfant.
La situation bascule le lendemain quand Antoine, chez le notaire, lit une lettre que lui avait laissé sa femme où elle lui avoue avoir eu autrefois une liaison avec Garan-Servier, leur patron. 
Pierre, Mimile et Sophie partent en Toscane pour rattraper Antoine qui veut aller tuer Garan-Servier...

Véritable phénomène d'édition depuis sa parution, Les Vieux Fourneaux a confirmé son scénariste, Wilfrid Lupano, comme le scénariste à suivre, et imposé Paul Cauuet au grand public. Après avoir lu ce premier tome (et alors que le troisième vient de sortir), je suis aussi tombé sous le charme, sans toutefois considérer le résultat comme exceptionnel.

On retrouve dans cette histoire en effet le meilleur et, sinon le pire, en tout cas ce qui me déplaît chez Lupano. Cet auteur est très habile, c'est indéniable : le choix de ses sujets, la force de ses caractérisations, sa fluidité narrative assurent à ses bandes dessinées une lecture toujours agréable, bien rythmée. On ne s'ennuie jamais.

Les retrouvailles de ces trois papys, accompagnés de la petite fille de l'un d'eux, bénéficient de dessins très expressifs signés Paul Cauuet, un artiste que je découvre ici. Le talent avec lequel il campe ces héros atypiques échappe à la représentation de "seniors" : on n'a pas affaire à des ancêtres ramollis mais à trois énergiques énergumènes dont l'amitié est un spectacle jubilatoire.

Les planches sont découpées de manière classique, mais avec adresse : il y a des gags purement visuels qui fonctionnent de façon épatante alors que ce qu'ils montrent illustrent les outrages du temps (par exemple, les difficultés de Mimile pour descendre de la voiture de Pierre, ou les égarements de Garan-Servier). Pareillement, Cauuet parvient à animer Sophie avec son gros ventre rond avec crédibilité, sans forcer le trait, et il ne la réduit jamais à une belle fille (très enceinte).

Les décors font l'objet d'un grand soin, avec là encore de jolies et subtiles trouvailles (le trio contemplant le site de l'usine où ils ont travaillé, puis le même plan en partie en noir et blanc et gris quand le pré était intacte : la scène ouvre un flash-back muet très touchant). La propriété de Garan-Servier où il s'est retiré en Toscane a droit à un plan d'ensemble superbe, qui en dit plus long que n'importe quel récitatif sur la fortune de son résident et son isolement aussi. Cauuet est un artiste complet, jusqu'à présent le dessinateur le plus solide que j'ai vu associé à Lupano.

Pour en revenir à Lupano, ce qui m'embête depuis que je lis ces oeuvres, c'est son manque de finesse qui parfois ruine ses efforts. Ainsi, dans Les vieux fourneaux, il insiste à nouveau lourdement sur le tempérament rebelle de personnages sous prétexte de glisser un commentaire social sur notre époque, et il s'en dégage toujours un air de "c'était mieux avant" qui me déplaît.

Le monde selon Lupano semble souvent se résumer aux méchants puissants (en l'occurrence ici, le patron sans scrupules mais fort heureusement bien puni car atteint de la maladie d'Alzheimer) et aux braves pauvres (avec une préférence affichée pour Pierre, dont l'anarchisme est traité avec légèreté - car, pour le scénariste, il paraît ne faire aucun doute que les anar' sont de gentils et truculents perturbateurs...). Ce simplisme est sympathique quand on découvre l'auteur, mais devient un peu pénible quand on devient familier de son travail...

Par ailleurs, si Lupano sait y faire pour planter un décor, introduire des personnages immédiatement mémorables, rendre leurs relations dynamiques, il ne raconte pas grand-chose finalement pour un premier tome de plus de 50 pages : il faut attendre la moitié de l'album pour que le rebondissement pivotal de l'intrigue soit révélé (la fameuse infidélité de Lucette avec Garan-Servier) ! A la fin, Sophie reçoit de l'amant de sa grand-mère un cadeau inattendu, mais entre cette péripétie et ce qui a entraîné la jeune femme avec les trois papys en Toscane, 25 pages ont défilé ! 

Tout le problème est là : Lupano sait très mener son histoire mais quand on l'analyse ensuite, on se rend bien compte que si son récit se déroule vite, c'est aussi parce que, objectivement, il ne s'y passe pas grand-chose. C'est d'autant plus frustrant que, au milieu de cette poursuite, on a droit à une scène formidable, mais peu creusée, où Sophie engueule un groupe de vieux, avec des arguments à la fois drôles et pertinents - l'occasion d'aborder l'héritage pourri des anciens à la jeune génération ? Hélas ! Non.

En l'état donc, le succès des Vieux Fourneaux se comprend facilement : c'est une BD efficace, dessinée avec brio. Mais la profondeur qu'on lui devine n'est qu'illusion, à l'image de son auteur, très fort pour prêter à ses oeuvres une ambition philosophique qu'elles n'ont pas (comme le discours sur le port et l'usage des armes dans L'homme qui n'aimait pas les armes à feu ou le braquage solidaire de Ma révérence). Je vais quand même emprunter le tome 2 pour voir ce que Sophie va faire du présent de Garan-Servier et comment cela affectera ses trois compagnons...

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