jeudi 10 septembre 2015

Critique 704 : VALERIAN, TOMES 8 & 14 - LES HEROS DE L'EQUINOXE & LES ARMES VIVANTES, de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières (CYCLE SPATIAL)


VALERIAN : LES HEROS DE L'EQUINOXE est le huitième tome de la série (et le cinquième du CYCLE SPATIAL), écrit par Pierre Christin et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1978 par Dargaud.
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La planète Simlane organise une compétition pour désigner le champion qui fertilisera la Mère Suprême car la population est vieillissante et stérile. 
Quatre concurrents sont en lice : Irmgaal de la planète Kralan, issu des guerriers noirs du feu et du fer ; Ortzog de la planète industrieuse Bourgnouf ; Blimflin de la planète Malamum ; et donc Valérian qui représente la Terre.
La compétition se déroule sur quatre jours sur l'île de Filène : le premier consiste à affronter les forces de la matière, le deuxième les monstres du règne animal, le troisième les pièges de l'esprit, et le dernier voit la rencontre du vainqueur avec la Mère Suprême au terme d'une ultime audition avec le maître.
Qui sera désigné ? Laureline attend le verdict avec un mélange d'appréhension et de jalousie...
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VALERIAN : LES ARMES VIVANTES est le quatorzième tome de la série (et le sixième du CYCLE SPATIAL), écrit par Pierre Christin et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1990 par Dargaud.
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L'astronef de Valérian et Laureline se pose en catastrophe sur la planète Blopik après un saut spatio-temporel compliqué car leur vaisseau a besoin de réparations - or les deux agents sont sans le sou car ils sont devenus des vagabonds depuis l'expulsion de Galaxity de Point Central.
Sur ce monde hostile, ils font connaissance avec une troupe d'artistes composée de Brittibrit, un transformiste de la planète Chab ; Doum A'Goum ; et la succube Yfisania, qui leur explique qu'une guerre entre deux clans dévaste l'endroit où ils ont échoué après avoir été escroqué par un extra-terrestre.
Le seigneur de guerre Rompf fait prisonnier la bande et veut qu'elle l'aide à pacifier son monde en "faisant la guerre à la guerre". Contraints de participer au prochain assaut, Valérian utilise le Schniarfeur, gnome redoutable et grossier qu'il devait livrer discrètement ici, pour semer la confusion dans la bataille.
La troupe et Laureline embarquent dans l'astronef piloté par Valérian, direction : la Terre du XXème siècle où, grâce à leur ami, M. Albert, ils se refont financièrement en se produisant en spectacle en Russie où ils ont atterri.

12 ans séparent ces deux albums qui appartiennent au Cycle Spatial, et pourtant leurs intrigues présentent des similitudes troublantes, qu'on peut interpréter, selon son humeur, comme un signe de la cohérence thématique de la série... Ou comme le signe d'un manque d'inspiration après 23 ans de parution. Le plaisir procuré par leur (re)lecture me fait plutôt penser à la première hypothèse, même s'il est évident que Les Armes Vivantes est un peu moins bon que Les Héros de l'Equinoxe, un des grands classiques de Valérian.

Ce 8ème tome est sans doute un de mes favoris, sinon mon préféré (avec le diptyque Métro Châtelet, Direction Cassiopée / Brooklyn Station, Terminus Cosmos, qui appartient au Cycle Temporel). Je l'ai lu et relu bien des fois depuis que je l'ai découvert lorsque j'étais adolescent et même quand j'ai cessé pendant un moment de suivre la série, il est demeuré un des épisodes auquel je revenais le plus.

Son premier atout est son accessibilité : l'intrigue est simple, racontée avec beaucoup de rythme et d'humour, sans oublier une pointe de réflexion politique. Pour le fan de comics super-héroïques, c'est aussi un délice particulier car la narration est à la fois un hommage et une parodie du genre.

Des références, l'album n'en manque pas : c'est un récit d'aventures, aux rebondissements foisonnants, et bourré de clins d'oeil. Par exemple, le personnage d'Irmgaal est un pastiche irrésistible des héros qu'on trouve chez Philippe Druillet, son look évoque celui de Thor de Stan Lee et Jack Kirby. Mais c'est aussi, plus sinistrement, une incarnation du nazisme, avec ses allusions à une race supérieure, au fer et au feu, tout comme le champion Ortzog personnifie le stalinisme tandis que Blimflin est une émanation futuriste du mouvement hippie et écologiste. A côté de ces surhommes aux idéologies extrémistes, le lecteur s'identifie facilement au sympathique Valérian, dont les convictions plus modestes et humanistes, et à l'aspect physique plus ordinaire, rassurent.

Christin imagine des épreuves mises en scène avec maestria par Mézières dont le découpage s'enhardit franchement : il dessine de fantastiques doubles pages de quatre bandes, aux compositions nerveuses et inventives, avec des jeux d'ombres et de lumières très expressionnistes.

Comme d'habitude, le génie de Mézières est éclatant en ce qui concerne les designs : les costumes, les accessoires, les véhicules, les décors sont époustouflants, et ont inspiré d'innombrables lecteurs/artistes. Qu'il s'agisse de représenter des bâtiments décrépits à l'arrivée du Simlane, ou le temple de la Mère Suprême, ou de suivre les quatre challengers dans la nature hostile de l'île Filène, le dépaysement est assuré.

Pour l'anecdote, Mézières a même donné les traits de son complice Christin au maître de la dernière épreuve. 

Laureline est en retrait dans cette histoire, mais le dénouement offre à ses admirateurs un savoureux retournement de situation, qui prouve une fois encore que la jeune femme a autant de caractère que de charme...

Les Armes Vivantes s'appuie aussi sur une dynamique de groupe puisque Valérian et Laureline partage l'affiche avec un groupe de trois (puis quatre) personnages. Le périple sur Blopik rééquilibre cependant la relation entre les deux héros.

Christin n'est pas un moraliste, mais à sa manière il aime construire ses histoires comme des fables puisque, sous le couvert du divertissement, en s'inscrivant dans les registres de l'aventure et de la science-fiction, il en profite volontiers pour épingler les travers sociaux, politiques, économiques. Un de ses motifs préférés est l'absurdité de la guerre et ce 14ème tome l'illustre parfaitement avec le personnage de Rompf, un seigneur qui veut "faire la guerre à la guerre".

Pourquoi exactement les belligérants de Blopik s'affrontent, on ne le saura pas, et ce n'est pas là l'important d'ailleurs. La raison des guerres finit pas se perdre avec le temps au profit du désir de conquête et de la suprématie d'un camp sur l'autre. La logique stupide de Rompf en est directement issue.

Valérian est chargé de délivrer un colis bien spécial, et dont le contenu, inconnue de Laureline, irritera longtemps la jeune femme avant et après qu'elle l'ait découvert, mais qui s'avère être un moyen de régler la situation grotesque de Blopik - ce qui s'appelle soigner le mal par le mal en l'occurrence (mais le Schniarfeur est très amusant, avec son flot d'insultes, puis son reconditionnement chirurgical radical)... Par opposition, le rôle de la troupe d'artistes dans ce conflit offre un contraste à la fois humoristique et tragique : face à l'horreur de la guerre le divertissement est dérisoire mais les talents bien spéciaux des trois compagnons de galère de Valérian et Laureline seront précieux.  

Enfin, comme on l'apprend dès le début de l'histoire, Valérian et Laureline sont désormais sans emploi, ce qui permet d'estimer que les événements se déroulent après l'an 3005, quand Galaxity a été exclu de Point Central. Les agents spatio-temporels sont livrés à eux-mêmes, errant dans le cosmos, sans le sou, à bord d'un astronef déréglé. C'est une preuve que la série a bien évolué et que ses héros ont été durement impactés.

Mézières a à la fois beaucoup évolué sans se transformer durant les douze ans qui séparent ce 14ème tome du 8ème. Son découpage est plus débridé, avec encore des doubles pages, des cases en inserts. Plus frappant encore, son trait est désormais plus nerveux, lâché, avec un encrage plus épais (sans doute dû à un usage plus fréquent du pinceau au détriment de la plume, même si l'artiste n'a jamais eu un trait particulièrement fin, ni un style hyper-réaliste).

En revanche, il n'a rien perdu de sa prodigieuse imagination pour représenter des aliens aux aspects les plus fous, réinterprétant parfois volontiers des figures issues de la mythologie (comme Rompf qui ressemble à un centaure mais avec une tête de taureau : un hybride détonant mais réussi). Le look ordinaire de Valérian apporte un relief épatant face à ces monstres de foire, tantôt sympathiques, tantôt inquiétants, et Laureline a toujours cette séduction irrésistible mêlée d'un tempérament acéré.

On approche de la fin du Cycle Spatial puisque seulement deux tomes (les 16 et 17) y appartiennent encore.

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