Avant-propos
A moins de vivre dans une grotte (et encore...), impossible d'ignorer que le 18 Décembre prochain sortira en salles le 7ème volet de la saga cinématographique Star Wars, Le Réveil de la Force, réalisé par J.J. Abrams. Mais combien de fans (dont je ne fais pas partie) de cette franchise savent ce que cette série doit au plus célèbre space opera de la bande dessinée française, Valerian ?
J'invite tous ceux qui ne l'ont jamais fait ou qui la sous-estiment à relire, avec moi, cette série née en 1967 dans les pages de la revue "Pilote" pour comprendre tout ce que George Lucas a allègrement pillé dans l'oeuvre de Christin et Mézières.
Voilà pour le premier point de ce préambule.
La princesse Léia : "Comme c'est amusant de nous rencontrer ici !"
Laureline : "Oh, nous sommes des habitués de cette boîte depuis longtemps !"
(Christin et Mézières, pas dupes des "emprunts" de George Lucas
à leur BD pour Star Wars...)
Le deuxième point concerne la mention "Cycle Spatial" que j'ai attaché à mes critiques.
Ce Cycle Spatial comprend 15 autres aventures éditées en 8 albums et 1 hors série, qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres sans avoir à respecter un fil chronologique. J'ai choisi de commencer par lire (parfois relire) ces histoires-ci pour commencer. (Si je suis toujours motivé ensuite, j'enchaînerai avec les aventures du Cycle Temporel, comprenant actuellement 15 aventures éditées en 14 albums, rattachées à l’histoire de Galaxity et formant ensemble une histoire à suivre, s'étendant sur une période de temps de l'an mil au XXXVe siècle.)
Enfin, même si je ne suis guère confiant sur le résultat, j'ai eu envie de me replonger dans cette série après avoir appris que Luc Besson allait réaliser son adaptation du tome 2 de la série (Valérian : L'Empire des Mille Planètes), dont la sortie est prévue pour Juillet 2017.
(Cara Delevingne sera Laureline et Dane DeHaan sera Valérian
devant la caméra de Luc Besson.)
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VALERIAN : LE PAYS SANS ETOILE est le troisième tome (et le premier du CYCLE SPATIAL) de la série, écrit par Pierre Christin (sous le pseudonyme de Linus) et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1972 par Dargaud.
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Le système solaire d'Urbak marque la limite de l'univers exploré, quatre planètes numérotées du même nom sont les résidences des colons terriens auxquelles les agents spatio-temporels Valérian et Laureline viennent faire leurs adieux après les avoir accompagnés sur place.
A chaque arrêt, Valérian est enivré par les alcools locaux mais quand il arrive sur Urbak IV, il découvre avec Laureline une situation alarmante : une planète est sur le point d'entrer en collision avec la leur.
Les deux agents partent à bord de leur astronef à la rencontre de ce monde dont la surface est inhabitée mais où, dans les profondeurs, ils découvrent le peuple Lemm qui les instruit : ils sont à l'intérieur de Zahir où ils font commerce des flogums, des explosifs, auprès de deux clans rivaux basés dans les villes de Malka (tenue par des femmes) et Valsennar (tenue par des hommes).
Chacun de leur côté, Valérian et Laureline enlèvent la reine et l'empereur de ces deux cités pour leur faire comprendre le péril qui menace Zahir et Urbak IV. Valérian élabore un plan pour éviter leur collision et sceller la réconciliation entre les peuples Lemm, Malkan et Valsennarien.
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VALERIAN : BIENVENUE SUR ALFLOLOL est le quatrième tome (et le deuxième du CYCLE SPATIAL) de la série, écrit par Pierre Christin (sous le pesudonyme de Linus) et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1972 par Dargaud.
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Valérian et Laureline partent de la planète Technorog dont ils viennent d'inspecter les nombreuses exploitations (métaux rares, sels magnétiques...) par des terriens pour le reste de l'empire galactique.
En quittant l'endroit, ils découvrent un vaisseau abandonné puis entrent en contact avec ses occupants, dont l'un est gravement malade. Ainsi apprennent-ils qu'il s'agit des habitants d'origine de Technorog, autrefois appelé Aflolol, qui rentrent chez eux après un voyage de 4 000 ans. Ces extra-terrestres sont pacifistes et dotés de puissants pouvoirs.
Mais le gouverneur de Technorog accueille ces revenants sans plaisir et la cohabitation commence mal. Des mesures sont prises pour parquer les Alflololiens dans des réserves puis les soumettre au travail dans les exploitations de la planètes. Ces décisions, acceptées sans enthousiasme par Valérian, provoque le courroux de Laureline, qui prend le parti des natifs qui finissent par se résoudre à repartir.
Valérian regagne l'affection de sa partenaire en ayant une idée malicieuse pour trouver une nouvelle terre d'accueil à ses amis.
Quand Valérian, agent spatio-temporel, apparaît en 1967, ses deux auteurs, tous deux âgés de 29 ans, qui ont abandonné plusieurs idées de projets très différentes auparavant, savent qu'ils proposent une bande dessinée dont le genre est peu exploité dans la bande dessinée franco-belge.
Les "ancêtres" sont principalement Les Pionniers de l'Espérance, de Roger Lecureux et Raymond Poïvet (en 1945) ; Barbarella, de Jean-Claude Forest (en 1962) ; Les Naufragés des Etoiles, de Jean-Claude Forest et Paul Gillon (en 1964) ; et Lone Sloane, de Philippe Druillet (en 1966). Pierre Christin et Jean-Claude Mézières étaient donc loin de penser que, quarante ans et plus de trente albums plus tard, leur série serait devenue un classique - et une référence mondiale.
On peut établir une rapide chronologie des aventures de Valérian et Laureline :
- les deux personnages se rencontrent en l'An 1000 (lui en provenance du futur, elle originaire du XIème siècle) ;
- deux trames historiques se forment en 1986 (l'Âge Noir engendré par l'hypothèse d'un cataclysme - l'exploison de la centrale nucléaire de Tchernobyl - causé par la planète Hypsis, ou l'Âge d'Or né de l'hypothèse de négociations entre la Terre et Hypsis) ;
- la première machine spatio-temporelle est créée en 2001 ;
- la réinvention de cette machine et l'intégration de Valérian au Service Spatio-Temporelle (SST) en 2314 ;
- Laureline est recrutée par le SST et on assiste au début de troubles à Galaxity (capitale de l'empire galactique) en 2720 ;
- Galaxity est exclue du Point Central de l'empire galactique en 3005 ;
- le SST s'autodétruit en 3152 et fait de Valérian et Laureline des explorateurs de l'espace.
Cette série d'événements constitue le "Cycle Temporel" de la série de Christin et Mézières et forme la colonne vertébrale narrative des tomes 1, 2, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 18, 19, 20 et 21. Ces albums sont un feuilleton à suivre, avec un fil chronologique.
Le "Cycle Spatial" de la série occupe les tomes 3, 4, 5, 7, 8, 14, 16 et 17, et chaque histoire peut se lire indépendamment, sans fil chronologique. Le Pays sans étoile et Bienvenue sur Aflolol font donc partie de ces aventures auto-contenues, qui sont celles que je préfère (même si le Cycle Temporel comporte de pures merveilles).
Dans Le Pays sans étoile, Christin développe très efficacement un récit à la fois mouvementé, riche en rebondissements, très exotique, et une réflexion politico-philosophique sur le patriarcat, le matriarcat et le commerce guerrier. La situation de départ évoque celle d'un scénario catastrophe cosmique et alimente un suspense très prenant, mais la description des moeurs de la planète Zihar occupe une partie prépondérante de l'histoire. L'ensemble est passionnant, très original, souvent drôle, et il est déjà remarquable de voir à quel point Laureline est la co-vedette à part entière de l'aventure.
La place importante de Laureline aura toujours participé à la singularité de la série : c'est une héroïne qui est séduisante, certes, mais surtout dotée d'un fort tempérament, réellement intelligente, loin d'un simple-valoir pour le premier rôle masculin incarné par Valérian. Elle prend part à l'action, ses initiatives sont aussi décisives que celles de celui qui est à la fois son partenaire de mission et son boyfriend - leur relation amoureuse est d'ailleurs traitée de manière très dynamique, sans romantisme mièvre, mais à d'une manière qui ressemble aux couples des "screwball comedies" du cinéma américain classique. Encore aujourd'hui, leur tandem est d'une modernité épatante.
Dans Bienvenue sur Aflolol, l'argument est aussi bien développé avec le retour sur leur planète d'extra-terrestres qui découvrent que leur monde a été colonisé et est exploité par les terriens. Très vite là encore, Christin en profite pour dresser une critique tonique d'une humanité peu reluisante, qui parque dans une réserve les natifs de Technorog - une métaphore sibylline de la spoliation des terres indiennes par les européens en Amérique du Nord.
Mais le scénariste déjoue les attentes du lecteur qui attend sûrement que la situation dégénère dans la violence et aboutisse à une guerre. Au contraire, Christin fait des Aflololiens des êtres pacifistes, fantaisistes, immédiatement sympathiques, et qui n'usent jamais de leurs pouvoirs contre les terriens : ce sont des baba-cools hédonistes, nomades, dont le caractère même suffit à semer une belle pagaille dans un système productiviste forcené et réglé. En pensant les encadrer puis les assujettir, les colons se piègent tous seuls. La solution malicieuse que trouve Valérian pour reloger les extra-terrestres à la fin (en les conduisant à Galaxity même !) est au diapason et offre un dénouement heureux sans être forcé.
Les dessins de Mézières sont prodigieux. Aujourd'hui, le temps ayant fait son oeuvre et d'autres artistes (dans plusieurs domaines, de la bande dessinée au dessin animée au cinéma au jeu vidéo) l'ayant abondamment répliqué (avec des fortunes diverses), on a presque le sentiment que ses créations graphiques ne lui appartiennent plus. Pourtant, il ne faut pas oublier que l'artiste a véritablement imaginé visuellement une foule de codes esthétiques pour les récits de science-fiction.
Bien entendu les vaisseaux spatiaux et les édifices, mais aussi la géographie des planètes, le design des costumes (traditionnels ou fonctionnels) et des accessoires sont extraordinaires, d'une beauté confondante. La richesse de la figuration mais aussi la colorisation soignée d'Evelyne Tran-Lé, la propre soeur de Mézières, impriment la rétine puissamment.
Le dessinateur a su aussi, très vite, imposer ses personnages principaux. Qui sait (je l'ai appris récemment en me documentant pour ces critiques) que Valérian a été inspiré physiquement par Hughes Aufray ? Ce n'est pas un héros commun, athlétique, comme l'illustre Flash Gordon, l'archétype des aventuriers cosmiques, et cela lui donne une vulnérabilité à laquelle on peut s'identifier, comme son caractère à la fois volontaire et un peu vaniteux, mais aussi humaniste. A ses côtés, Laureline n'est pas une bimbo aux formes exagérément généreuses : Mézières la représente plutôt menue, féminine, jolie, mais sans vulgarité, et quand elle est vêtue plus légèrement, ce n'est jamais gratuitement. Qui n'est pas tombé amoureux d'elle en la découvrant ? L'astronaute Yoko Tsuno ou Natacha l'hôtesse de l'air auraient-elles vu le jour s'il n'y avait pas eu Laureline avant elles ?
Valérian (rebaptisée Valérian et Laureline à l'occasion du quarantième anniversaire de la série) n'a pas vieilli, le titre s'est bonifié et reste une production jubilatoire, dépaysante, palpitante, qui n'a pas volé sa réputation et doit être relue pour rappeler ce que beaucoup de comics lui doivent.
Lu et approuvé !
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