samedi 22 août 2015

Critique 694 : MATTEO, TROISIEME EPOQUE (AOÛT 1936), de Jean-Pierre Gibrat


MATTEO : TROISIEME EPOQUE (AOÛT 1936) est le 3ème tome de la série écrite et dessinée par Jean-Pierre Gibrat, publié en 2013 par Futuropolis.
Cet album fait suite au Premier Cycle
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Troisième époque (Août 1936)
Le gouvernement du Front Populaire dirigé par Léon Blum instaure les congés payés. Après 18 ans passés au bagne de Cayenne, Mattéo est à nouveau un homme libre, même si la peine qu'on lui a infligé a laissé des traces physiques et morales. 
Installé en région parisienne, il y a retrouvé son ami Paulin et Amélie, l'infirmière dont il avait fait la connaissance lors de la première guerre mondiale puis qui l'avait aidé à approvisionner en médicaments les russes lors de son séjour à Petrograd en pleine révolution. Ensemble, conduit par Augustin, le nouveau fiancé de la jeune femme, ils descendent à Collioure pour profiter des vacances et revoir la mère de Mattéo.
Mais l'ancien militant anarchiste va aussi croiser de nouveau le chemin de Juliette, la fille qu'il a aimée autrefois. Louis, son fils, est, comme elle va le lui révéler, le fruit de ses amours avec Mattéo, même si le garçon a embrassé les idées politiques de Droite de la famille De Brignac.
La situation est orageuse en Europe : Hitler a accédé au pouvoir en Allemagne, Mussolini en Italie, et Franco en Espagne. Mattéo restera-t-il longtemps indifférent à la guerre civile de son pays natal ?

On avait quitté Mattéo en fâcheuse posture au terme du Premier Cycle, après qu'il se soit rendu aux gendarmes et qu'il ait été condamné à 20 ans de bagne pour désertion. Jean-Pierre Gibrat effectue un bond de dix-huit ans en avant quand débute cette Troisième époque, une astuce narrative qui lui permet d'évoquer, avec sa sensibilité coutumière,  une période historique emblématique, celle du Front populaire, avec la semaine de travail de 40 heures, l’allocation chômage, l’école obligatoire jusqu’à 14 ans, les congés payés. Mais l'auteur nous fait ressentir dès les premières pages que ces moments d'insouciance précède une nouvelle tragédie.

On ne peut parler de ce tome 3 de Mattéo sans commencer par noter le dessin, une nouvelle fois somptueux. L'été inspire merveilleusement Gibrat : il arrive avec brio à suggérer le vent caressant les robes légères, la tendresse des baisers, les verres partagés lors de pique-nique ou aux tables des bistrots, la brise dans les cheveux, les virées à vélo, la chaleur aoûtienne, les nuits paisibles.

Toutes les pages vibrent de cette sensualité qui ne sombre jamais dans la vulgarité ni la mièvrerie, les décors du Sud-Ouest sont sublimés par le trait fin et élégant, les couleurs vives et lumineuses de Gibrat, dont les plans respirent d'une vie étonnante.

L'artiste joue sur la profondeur de champ pour conter cette parenthèse estivale et sentimentale, avec des perspectives profondes, des visages pleins de reliefs. Si l'on veut être tatillon, on peut remarquer que Gibrat ne fait pas subir à ses héroïnes les affres du temps, mais ce serait un reproche injuste, superflu : ses personnages ont une telle allure, une telle vérité qu'on se fiche de les voir marquer par quelques rides qui les rendraient plus réalistes. 

Le scénario ne déçoit pas même si ce 3ème tome est moins mouvementé que les deux du Premier Cycle. L'auteur en profite pour creuser encore davantage la personnalité de ses héros et de Mattéo en particulier.

C'est un individu passionnant auquel a donné corps Gibrat : après avoir cassé des cailloux au bagne, il est devenu tailleur de pierres à Paris. Après avoir été un militant anarchiste, aux convictions idéologiques prononcées, il est désormais plus désabusé. Mais pas brisé. C'est comme si, tout au long de cette histoire, il attendait l'occasion de repartir défendre la cause, même si elle est perdue d'avance.

Mattéo est une figure diablement attachante, qui se trompe souvent, mais qui gagne justement en humanité grâce à ses erreurs, ses failles, sa vulnérabilité. Lorsqu'il retrouve Juliette, le lecteur sait intuitivement que leur amour est voué à l'échec, et parce qu'on espère que sa relation avec Amélie l'emporte finalement. Tout cela, Gibrat sait le traiter avec finesse, humour aussi - comme quand Mattéo découvre qu'il est père et le caractère ("un petit con... Un sacré merdeux") : moment savoureux, magnifiquement écrit.

Les seconds rôles sont aussi soignés, comme Paulin, dont le chagrin d'amour est déchirant après plusieurs scènes aux répliques épiques, ou Augustin, ce socialiste-radical mais au fond corseté par son tempérament modéré.

S'inscrivant à la fois dans une veine plus sociale et plus romantique, ce nouveau tome d'une série qui devrait en compter cinq est une nouvelle démonstration de force de la part de Gibrat, dont le génie graphique est au diapason de son scénario, intelligent, aux dialogues inspirés. Mattéo est une grande et belle BD qu'il ne faut vraiment pas rater. Une BD importante.

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