vendredi 14 août 2015

Critique 689 : CINEMASTOCK, L'INTEGRALE, de Gotlib et Alexis


CINEMASTOCK : L'INTEGRALE rassemble en un seul volume les deux tomes de la collection d'épisodes parodiques, écrits par Gotlib et dessinés par Alexis, publié en 2005 par Dargaud.
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CINEMASTOCK, TOME 1 rassemble les quatre premiers épisodes parodiques de la série, écrits par Gotlib et dessinés par Alexis, publiés de 1970 à 1974 dans la revue "Pilote", repris en un album en 1974 publié par Dargaud.
(Extrait de Cinémastock : Les films de chevalerie.
Textes de Gotlib, dessins de Alexis.)

- Les films de chevalerie (7 pages, 1970) : pour tout savoir sur les codes et clichés des films de genre, ces sept pages sont idéales. D'ailleurs, les auteurs ne jurent-ils pas, par exemple catalogue, que "les différentes phases de la scène du duel ont été fixées une fois pour toutes selon un règlement très strict déposé à la société des auteurs et duquel il est strictement interdit de s'écarter" !

- Hamlet (9 pages, 1972) : le drame écrit par William Shakespeare dépoussiéré mais fidèle à l'intrigue originale. Attention aux morsures de vipère quand même...

- Tarass Boulba (15 pages, 1973) : L'épopée de Nicolas Gogol légèrement revue et corrigée, dans le cadre de "l'Ukraine sauvage... grandiose... cruelle... L'Ukraine si belle... L'Ukraine aux plaines infinies... L'Ukraine où vivent comme des animaux superbes, ces hommes fiers... farouches... indomptables... Les cosaques". De joyeux drilles en vérité, qui boivent de la vodka comme de l'eau et qui ont le sens de la famille chevillé au corps, même s'ils devraient se méfier du facteur...

- La Dame aux camélias (22 pages, 1974) : Entre deux quintes de toux, une poignante relecture de la romance écrite par Alexandre Dumas fils entre Marguerite Gautier et Armand Duval, fils du patron des "Pastis Duval". Ou presque. Avec un mousquetaire qui s'est trompé de Dumas au milieu...

CINEMASTOCK, TOME 2 rassemble les trois derniers épisodes parodiques de la série, écrits par Gotlib et dessinés par Alexis, publiés dans la revue "Pilote" en 1971 et 1974, repris en un album publié en 1976 par Dargaud.
(Extrait de Cinémastock : Chapeau melon et bottes de cuir.
Textes de Gotlib, dessins de Alexis)

- Chapeau melon et bottes de cuir (7 pages, 1971) : pour ceux qui auraient oublié que le chef de John Steed se faisait appeler Mère-Grand, une révision utile, surtout lorsque, avec Tara King, il doit arrêter un criminel surnommé "El Lobo" (Le Loup, et le loup, c'est bien connu, aime bien les grands-mères).

- Les Malheurs de Sophie (12 pages, 1974) : une autre adaptation utile du classique de la Comtesse de Ségur (née Rostopchine, mais c'est pas de sa faute, elle est née comme ça), afin d'apprendre à dresser les enfants désobéissants.

- Notre-Dame de Paris (30 pages, 1974) : le grand oeuvre de Victor Hugo parfaitement résumé où il est question de gitane aguicheuse, de bossu sonneur de cloches concupiscent, d'homme d'église travaillé par la lubricité et d'un capitaine de la garde royale un peu mufle. Bêêê...Llle !

Aujourd'hui, le cinéma vient abondamment puiser dans le patrimoine de la bande dessinée, pour le pire et le meilleur, tandis que la bande dessinée a intégré, là encore avec des fortunes diverses, la langage du septième art. Il paraît loin le temps où on jugeait les "illustrés" comme le cinéma du pauvre, même si la BD est encore volontiers snobée par la critique littéraire (en dehors de quelques gros vendeurs consensuels). 

Aujourd'hui, encore, il est même devenu fréquent que des auteurs de bande dessinée en vogue se piquent d'ambitions cinématographiques, comme on le voit chez nous avec Joann Sfar, Pascal Rabaté, Riad Sattouf, ou aux Etats-Unis avec Frank Miller ou les comics prêts-à-filmer de Mark Millar.

Pourtant, au début des années 70, quand on se contentait le plus souvent de quelques dessins animés pour le grand écran tirés des albums de Astérix et Lucky Luke, deux illustres représentants du 9ème art se mirent en tête de se moquer du cinéma et de la grande littérature dans une série d'épisodes parodiques. C'est le dessinateur Alexis qui eût l'idée du titre de cette entreprise qu'écrivit avec lui Gotlib.

(Re)lire Cinémastock est bien entendu l'occasion de se bien rigoler avec cette collection d'histoires revisitées avec souvent du génie, au minimum beaucoup de talent, mais c'est aussi devenu, avec le temps qui passe, une opportunité de saluer Marcel Gotlib, qui a atteint l'âge vénérable de 81 ans et qui serait un trésor national si on estimait à sa juste valeur l'homme des Dingo-dossiers (avec Goscinny) et de La Rubrique-à-brac. C'est aussi une façon de se souvenir des prestations d'un dessinateur fauché dans la fleur de l'âge, Alexis, de son vrai nom Dominique Vallet, mort à 31 ans en 1977.

Le plus étonnant, c'est que les sept épisodes parodiques de Cinémastock respectent à la lettre les oeuvres dont elles s'inspirent. Gotlib en détourne les motifs, use du comique de répétition, pour en souligner les grosses ficelles dramatiques et s'en moquer, mais il est indéniable qu'il a bien lu et analysé ce dont il se sert. En poussant la logique des romans, films et séries télé jusqu'à l'absurde, il pointe ce qui échappe à notre vigilance critique à cause de la manière dont on nous les présente : des histoires intouchables, appartenant à une sorte de panthéon artistique dont il est malvenu de remettre en question la qualité narrative même quand celle-ci abuse de facilités grotesques.

De cinéma, il en est en vérité peu question puisque seuls les films de chevalerie sont réellement frontalement traités : Gotlib n'en cite aucun en particulier mais aborde le genre en général. C'est tout de même très drôle, mais, tout comme quand il imagine à sa façon un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, il se montre assez sage, plus rigolard que critique.

On monte d'un cran dans la déconnade et le détournement avec les oeuvres littéraires (dont certaines ont fait l'objet d'adaptations cinématographiques) et théâtrales : Hamlet suit précisément l'intrigue de Shakespeare mais en la condensant en dix pages, les rouages de cette mécanique deviennent si grossiers qu'on en ricane. Avec Tarass Boulba de Gogol, La dame aux camélias de Dumas fils, Les malheurs de Sophie et surtout Notre-Dame de Paris de Hugo, Gotlib se surpasse, forçant à peine le trait pour tourner ces incontournables proclamés en ridicule. Le classique de Hugo, avec ses 30 pages, dépasse même le cadre de la parodie pour devenir un hommage au livre parsemé de quelques gags "hénaurmes".

Les dessins d'Alexis sont fantastiques et on comprend ce que le projet lui doit : c'était un fabuleux artiste doué dans tous les compartiments de sa pratique. Ses compositions sont superbes, avec un découpage très fluide (flirtant régulièrement avec le "gaufrier", puis s'autorisant des pleines pages décadrées étonnantes).
L'expressivité des personnages est également imparable, avec l'élasticité d'un caricaturiste et le soin apporté aux détails des grands réalistes (notamment dans les décors, intérieurs et extérieurs, et les costumes).

L'encrage est d'une exceptionnelle finesse, avec un usage de la plume impressionnant. Il est juste dommage que la colorisation, comme souvent à cette époque, soit si médiocre, et je rêverai qu'une Intégrale en noir et blanc soit un jour publiée pour que chacun se rende compte de la puissance graphique d'Alexis, dont le goût pour la farce n'avait d'égal que la virtuosité artistique. C'est vraiment une terrible perte que ce dessinateur soit parti si jeune, si tôt : il avait tout pour devenir un très grand (il est mort après avoir avoir réalisé les 16 premières pages du Transperceneige écrit par Jacques Lob, qu'achévera Jean-Marc Rochette).    

D'une drôlerie ravageuse, avec des dessins extraordinaires, Cinémastock est un chef d'oeuvre de loufoquerie indémodable. C'est certainement ce qu'on a fait de mieux dans le genre, tout simplement.

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