vendredi 10 juillet 2015

Critique 661 : LE DIVIN, de Boaz Lavie, Asaf et Tomer Hanuka


LE DIVIN est un récit complet écrit par Boaz Lavie et dessiné par Asaf et Tomer Hanuka, publié en 2015 par Dargaud.
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Mark Enelow est expert en explosifs pour le compte de l'armée américaine. Marié à Rachel, enceinte de leur premier enfant, il compte sur une promotion imminente à Dallas, mais apprend qu'il sera muté à Eden, Texas, réputé pour son centre pénitentiaire.
Déçu, il se laisse alors convaincre par Jason, un collègue travaillant dans les force spéciales, de partir pour le Quanlom, un pays de l'Asie du Sud-Est, pour une opération secrète de dénuadage d'un tunnel dans une montagne où se trouve un gisement de minéraux. En échange de sa discrétion, il recevra 45 000 dollars.
Mark cache son expédition à Rachel en prétendant se déplacer au Vietnam. Par contre, il ne peut dissimuler son aversion envers Jason, qui est tout son contraire : baroudeur, odieux avec les indigènes et croyant à la légende d'un dragon protégeant la région avec lequel il a un compte à régler depuis un précédent séjour.  
Cependant le travail est facile et rapidement accompli, jusqu'à ce que Mark entreprenne de sauver un enfant blessé en le faisant soigner et en le ramenant chez lui. Il est capturé par une troupe d'enfants soldats menée par Luke et Thomas, deux jumeaux dont l'un est doté de pouvoirs surnaturels.
Ils exigent que la bombe posée par Mark dans la montagne soit désamorcée, mais Jason revient dans la zone et actionne le dispositif. Le groupe du "Divin" est alors déterminé à se venger en invoquant des forces extraordinaires, et Mark choisit leur camp en sachant qu'il devra affronter Jason... 

(Ci-dessus : la photo de Johnny et Luther Htoo par 
Apichart Weerawong, à l'origine de cette histoire.)

The Divine (en v.o.) est une oeuvre singulière que l'on doit aux talents conjugués de trois israéliens : l'écrivain Boaz Lavie et les artistes Asaf et Tomer Hanuka, frères jumeaux comme les deux enfants qui ont inspiré cette histoire.

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un récit biographique, tout est parti d'une photographie prise par Apichart Weerawong au début des années 2000 : elle immortalisait deux jumeaux d'une douzaine d'années, Johnny et Luther Htoo, leaders de "l'Armée de Dieu", un groupuscule armé de l'ethnie Karen en Birmanie, opposé à l'armée du pays. Il circulait à leur sujet plusieurs légendes qui en firent des rebelles redoutés, mais c'est surtout un coup d'éclat qui contribua à leur célébrité quand ils prirent en otages 800 personnes dans un hôpital.
Aujourd'hui, Johnny Htoo vit dans un camp de réfugiés en Thaïlande où il attend que sa mère, partie en Nouvelle-Zélande, vienne le chercher, tandis que Luther réside en Suède. 

Le Divin a les qualités de ses défauts : Boaz Lavie a choisi de ne pas traiter du sujet des enfants soldats mais plutôt d'évoquer via le personnage de Mark que la guerre n'est pas une question d'âge, qu'on soit victime ou bourreau. Le scénariste a préféré se concentrer sur les intérêts troubles que les grandes puissances étrangères entretiennent avec des pays sous-développés mais possédant des ressources naturelles précieuses.

C'est un choix frustrant car il y avait matière à une bande dessinée mystique et poignante à laquelle a été préféré un récit complet plus spectaculaire et étrange. Cette direction produit un certain malaise où la représentation de la violence, avec l'addition d'éléments fantastiques, n'est pas sans complaisance ni naïveté.
  
Deux exemples soulignent cela : 

- d'abord, le personnage de Mark est peu développé et finalement trop bon, trop gentil, pour que l'histoire soit aussi ambiguë qu'elle le mériterait, son opposition à Jason est manichéenne (ce dernier étant dès le début dépeint comme un individu antipathique que rien ne vient nuancer ensuite) ;

- ensuite, la révélation et l'utilisation des pouvoirs de Thomas (et leur impact sur le combat qui occupe quelques 45 pages sur les 160 que compte le livre) sont exploitées à des fins quasi-exclusivement graphiques, trop peu pour leur valeur symbolique (ce qui permettrait de d'expliciter pourquoi ces gamins représentent des résistants si craints).

On devine bien l'ambition de Boaz Lavie d'inscrire son histoire dans le registre du conte, avec la dimension horrifique qu'il comporte, mais il ce qu'il suggère d'un côté (avec la création de l'état fictif de Quanlom), il le souligne trop grassement de l'autre (en invoquant littéralement dragons, guerriers géants, manifestations télékinésiques et particulièrement violentes). Tout ce qui aurait pu conduire à une aventure à l'ambiance magique et inquiétante devient un périple où la pyrotechnie et la vengeance priment. Dans ces conditions, il est rapidement vain d'espérer une réflexion subtile sur la condition des enfants soldats où la frontière entre rêve et réalité serait brouillée.

Visuellement, Le Divin est impressionnant : Tomer et Asaf Hanuka ont mixé des influences manga (on pense à Akira) et comics avec une efficacité indéniable. Néanmoins, la virtuosité de quelques séquences ne suffit pas à faire oublier certaines maladresses, voire d'évidentes fautes de goût.

Si les personnages sont bien campés, expressifs, ils souffrent parfois de problèmes de proportions dérangeantes. La composition des cases, avec un découpage très aéré, offre en revanche une lecture très dynamique, le cadre de l'action est exotique et brillamment représenté.

L'inégalité esthétique de l'ensemble est soulignée par une colorisation numérique qui pique souvent les yeux, avec l'usage d'à-plats criards où le jaune, le rose, le vert dominent. Le trait naturellement fin du dessin (qui parfois fait penser à celui de Ramon K. Perez - cf. Jim Henson's Tale of Sand - en moins maîtrisé) se marie difficilement avec une palette aussi vive qui l'écrase et sature le regard.

One-shot parfois bluffant mais aux parti-pris discutables, aussi bien narrativement que visuellement, Le Divin est une production curieuse qui ressemble à une bande dessinée pour laquelle ses auteurs n'ont pas su juguler leur excès. On peut penser que ce récit ambitieux aurait gagné à traiter plus finement des conséquences de la guerre chez les enfants avec moins d'esbroufe graphique et dans l'écriture.  

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