lundi 29 juin 2015

Critique 656 : FLASH GORDON OMNIBUS, VOLUME 1 - THE MAN FROM EARTH, de Jeff Parker et Evan Shaner

 

FLASH GORDON OMNIBUS, VOLUME 1 : THE MAN FROM EARTH rassemble les 8 épisodes de la mini-série éponyme, écrits par Jeff Parker et dessinés par Evan Shaner (avec Sandy Jarrell pour les 12 premières pages du 5ème épisode et Greg Smallwood pour les 2 dernières pages du 6ème épisodes), publiés en 2014 par Dynamite Entertainment.
Le sommaire est complété par FLASH GORDON ANNUAL 2014, composé de cinq petits récits respectivement écrits par Chris Eliopoulos (1), Ben Acker & Ben Blacker (2, 3 et 4), Jeff Parker & Nate Cosby (5), et dessinés par Chris Eliopoulos (1), Faith Erin Hicks (2), Jeremy Treece (3), Lee Ferguson (4), Craig Rousseau (5), publié en 2014 par Dynamite Entertainment.
L'album est clos par FLASH GORDON HOLIDAY SPECIAL 2014, composé de trois récits écrits respectivement écrits par Dan McCoy (1), Elliott Kalan (2), Stuart Wellington (3), et dessinés par Joseph Cooper (1), Stephen Downey (2), Lara Margarida (3), publié en 2014 par Dynamite Entertainment.
 
 
 
 (Extrait de Flash Gordon #1 : The Man from Earth.
Textes de Jeff Parker, dessins de Evan Shaner.)

Rien ne prédisposait Dale Arden, journaliste spécialisé dans le domaine scientifique ; le professeur Zarkov, et Alex "Flash" Gordon, fils unique d'un riche homme d'affaires et adepte de sports extrêmes, à partager l'aventure qu'ils vont vivre.
L'empereur Ming de la planète Mongo menace la Terre dans sa campagne galactique pour coloniser les mondes habités. Pour attaquer les planètes qu'il colonise, Ming utilise des portails dimensionnels activés par des cristaux quantiques. Or Zarkov s'en ait procuré un et a convaincu Flash Gordon de l'aider en qualité de pilote et garde du corps et Dale Arden pour relater leur projet de faire échouer l'ennemi.
Le trio est pourchassé par la flotte aérienne de Ming et trouve d'abord refuge sur Arboria où il aide le prince Barin à libérer les siens, transformés en soldats au service du seigneur de Mongo. Puis les trois acolytes gagnent Sky World où le chef des Hawkmen, Vultan, compte récupérer un cristal quantique pour entamer des représailles contre Ming.
Cependant, Zarkov cherche aussi un moyen de rentrer sur Terre afin d'y préparer l'armée à l'arrivée de Ming.

Je dois bien avouer que c'est la première fois que je lis une série consacrée à Flash Gordon. En effet, la création de Don G. Moore et Alex Raymond ne m'a jamais intéressé (je n'ai, du reste, jamais été un grand fan de Raymond en général, même si je reconnais son talent de dessinateur). Par contre, j'ai conservé, depuis la lecture de Agents of Atlas, une affection pour le scénariste Jeff Parker, un auteur un peu foutraque et donc inégal mais un narrateur énergique, et je suis depuis plusieurs années le travail de Evan "Doc"Shaner, découvert sur feu le site participatif comictwart et dont j'ai observé les progrès en étant sûr qu'il deviendrait une star des comics.

Lorsque j'ai lu les previews de Flash Gordon : The Man from Earth en 2014, j'ai tout de suite inscrit sur ma liste d'achats le recueil qui rassemblerait ses 8 épisodes, séduit par la bonne humeur que diffusait ces pages et la beauté de leurs dessins.

Sorti en Mai dernier, cet album comporte un menu copieux puisqu'en plus de la mini-série précitée, on a droit à l'Annual et le Holiday Special également produits en 2014, et en bonus le script complet du premier épisode, une galerie de sketchs, et toutes les couvertures alternatives (une spécialité de l'éditeur Dynamite Entertainment) - soit près de 300 pages !

Le résultat est un régal de lecture, qui doit beaucoup à la manière dont les auteurs ont osé s'emparer d'un personnage aussi iconique que Flash Gordon, 80 ans après sa création (la série originale, parue en comic-strips, date en effet de 1934).

Comme l'a expliqué Jeff Parker, s'il fallait respecter l'esprit du personnage, le piège à éviter était d'être trop révérencieux. Et le scénariste a su trouver le ton juste pour animer son histoire et ce héros emblématique, ainsi que les seconds rôles qui l'entourent.
  
Pour résumer l'abordage de Parker, l'ouverture du tout premier épisode est un parfait exemple : la première page présente Dale Arden comme une journaliste scientifique déprimée par l'arrêt du programme spatial américain, puis la deuxième page introduit le professeur Zarkov qui s'empare d'un cristal quantique lors d'une beuverie, et enfin une séquence de trois pages nous conduit jusqu'à Flash Gordon sermonné par son père alors qu'il a encore une fois préféré s'adonner à la pratique d'un sport extrême plutôt qu'à la recherche d'un projet professionnel sérieux.
Un an après ces trois scènes, nous voilà, comme les personnages, projetés dans le feu de l'action : la flotte aérienne de Mongo poursuit les trois héros qui traversent plusieurs mondes extra-terrestres via des portails dimensionnels grâce au cristal quantique. S'ils fuient ainsi, c'est parce qu'ils ont entrepris de défaire l'empereur Ming qui veut ajouter la Terre à la liste des planètes qu'il a conquise.

Le rythme, effréné, de l'aventure ne ralentira plus durant les épisodes suivants tandis que Flash, Dale et Zarkov échouent d'abord sur Arboria, où ils vont provoquer la libération des hommes du prince Barin, sujets à des expériences menées par les scientifiques de Ming pour en faire des hybrides mi-bêtes mi-hommes afin de grossir les rangs de son armée ; puis sur le Sky World, où ils rencontrent Vultan, chef des Hawkmen, attendant le moment propice pour attaquer Ming (grâce au cristal quantique).

Entretemps, Jeff Parker fait quand même rapidement mention du crossover King's Watch, qui s'inscrit chronologiquement avant cette série, et qui réunissait Flash Gordon, le Fantôme du Bengale et Mandrake le magicien, déjà opposés au plan de conquête de Ming. Cela permet de donner une perspective à l'histoire, la réunion de Flash, Dale et Zarkov, et leur contentieux avec Ming. Mais même si, comme moi, on n'a pas lu King's Watch, cela ne nuit pas à la compréhension de The Man from Earth - tout juste faut-il accepter le fait que ses trois protagonistes (quatre avec leur adversaire) ont fait connaissance auparavant.

Parmi tous les atouts de cette série, la caractérisation est un des plus remarquables. Jeff Parker a réellement su donner une nouvelle jeunesse à des personnages vieux de 80 ans sans les trahir. Il faut un sacré sens de la synthèse pour réussir cela et c'est le cas ici quand Flash Gordon est décrit comme une sorte de casse-cou, avide d'émotions fortes, qui s'engage dans l'action à la fois pour le frisson qu'elle procure mais aussi pour échapper aux responsabilités d'un héritier d'une grande fortune comme celle de sa famille. Le personnage passe volontiers pour un bouffon arrogant à qui son impulsivité joue des tours, mais cela est compensé par sa réelle bravoure, sa capacité à affronter n'importe qui, sa dextérité dans le maniement des armes.  

La sympathie qu'il inspire immédiatement et durablement éclipse Ming, auquel Parker donne peu de scènes, le reléguant dans un rôle de despote hautain mais aussi assez malin pour ne jamais affronter directement Flash.

Si Gordon vole donc aisément la vedette au méchant, il n'en est pas de même avec ses compagnons d'armes : Dale Arden n'est pas traitée comme la demoiselle en détresse de service mais comme une reporter dépassée par les événements, ce qui contraste avec l'assurance des deux hommes qu'elle accompagne. Elle incarne la seule personnalité raisonnable, à côté de Zarkov, dépeint comme un savant sardonique et volontiers vantard. Les deux egos hypertrophiés de Gordon et Zarkov et le tempérament plus modéré, voire fataliste, de Arden assurent au récit des ressorts comiques imparables.

Des seconds rôles comme le prince Barin, charismatique, et Vultan (qui rappelle à quel point les Hawkmen sont en fait les ancêtres du Hawkman de DC Comics), exubérant à souhait, complètent un casting haut en couleurs dans des péripéties qui n'en manquent déjà pas.

Pour illustrer cela, il fallait un artiste dans la même disposition d'esprit que Parker, talentueux mais qui ne singe pas Alex Raymond. Evan Shaner est, pour cela, le dessinateur parfait : il n’a pas encore une grande renommée, mais sa réputation augmente favorablement dans le milieu des comics comme en témoignent ses récents travaux chez DC Comics (où il a participait à Adventures of Superman et, surtout, à Convergence : Shazam) et il a été approché par Marvel (il a failli participer à 1872, un tie-in à la saga Secret Wars, mais y a renoncé pour prendre un peu de repos : espérons que ce n'est que partie remise).

J'ai donc découvert Shaner il y a quelques années, quand il était inconnu mais participait aux illustrations de pin-ups pour comictwart (on y trouvait du beau monde : Dan Panosian, Dave Johnson, Mitch Gerads, Chris Samnee... Un mix de talents confirmés et en devenir qui s'amusaient à rendre hommage à des héros de comics ou leurs illustres pairs). Ce fan absolu de Shazam et d'Alex Toth avait encore un coup de crayon inégal mais prometteur. Quel amélioration depuis !

Le voir s'exercer sur la durée de huit épisodes à l'art séquentiel permet d'apprécier la maturité atteinte : ce sera pour beaucoup une révélation, et Shaner a encore une marge de progression énorme qui lui garantit de devenir un artiste de premier ordre. De tous les émules d'Alex Toth, celui qui se fait surnommer "Doc" est certainement le plus proche du trait si épuré et élégant du maître. Ses personnages sont expressifs, dotés d'une allure instantanément mémorable (ses designs reproduits à la fin du recueil attestent de sa capacité à créer des silhouettes d'un raffinement affirmé), ses décors sont soigneusement détaillés (le monde-forêt d'Arboria est splendide, le Sky World des Hawkmen est fascinant).

Mais toute la beauté d'un dessin ne suffit pas à produire une bonne bande dessinée dont la forme exige davantage que de l'esthétisme. Heureusement, Shaner maîtrise l'art de la composition, et son découpage est à la fois dynamique et aéré, ce qui colle à l'esprit épique et léger du récit. Avec la colorisation toujours aussi impeccable de Jordie Bellaire, la meilleure dans sa partie, on peut difficilement trouver mieux.

Même les fill-in sont d'un bon niveau : Sandy Jarrell a réalisé les 12 premières pages du 5ème épisode, et Greg Smallwood les deux dernières du 6ème. Si leurs prestations n'ont pas la finesse de Shaner, elles ne dépareillent pas et s'inscrivent bien dans la charte graphique de l'ensemble.

Tout cela - une narration vivifiante, un dessin beau et enlevé - fait le prix de cette série, dont on aurait aimé qu'elle devienne régulière. On y goûte au sel de l'aventure, du divertissement, avec une bonne distanciation. En somme, tout ce qui rend une bande dessinée jubilatoire et recommandable par une équipe créative inspirée.
*

FLASH GORDON ANNUAL 2014 est une compilation de cinq histoires distinctes par différentes équipes artistiques, comptant 48 pages en relation avec la série The Man from Earth.
(Extrait de Flash Gordon Annual : Flash's first flight.
Textes et dessins de Chris Eliopoulos.) 

La première de ces histoires courtes met en scène Baby Flash Gordon dans FLASH’S FIRST FLIGHT, écrit et dessiné par Chris Eliopoulos (lettreur du Hawkeye de Matt Fraction et David Aja).
Situé en 1985, ce récit accumule les clins d'yeux à la saga cinématographique Retour vers le futur (réalisé par Robert Zemeckis), comme en témoigne la présence de la célèbre voiture DeLorean, appartenant ici au père de Flash Gordon, et d'un voiturier prénommé Marty (comme Marty McFly).
Cette comédie est très drôle, racontée sur un rythme endiablé, et dessinée dans un style cartoony irrésistible.
 (Extrait de Flash Gordon Annual : Action science reporter.
Textes de Ben Acker & Ben Blacker, dessins de Faith Erin Hicks.)

Dale Arden est l'héroïne de ACTION SCIENCE REPORTER, écrit par Ben Acker et Ben Blacker et dessiné par Faith Erin Hicks.
Dale et son assistante risquent leurs vies lors d'un reportage dans un pays d'Amérique du Sud en guerre contre les Soldados Supremos de San Sinera.
Narré là encore à un train d'enfer, et servi par un dessin non réaliste, le récit mixe comédie et critique contre les régimes dictatoriaux et les dérives scientifiques pour la conquête du pouvoir.

Le Professeur Zarkov, dans THIRST CONTACT, de Ben Acker et Ben Blacker, dessiné par Jeremy Treece, rencontre un trio d'aliens de passage sur Terre.
Résultat : encore un bon moment de rigolade, loufoque à souhait, où le savant est dépeint comme un ringard aigri et alcoolisé, saisissant à peine l'importance de cette rencontre du 3ème type. Le dessin de Treece est toutefois moins convaincant.

La Princesse Darya de Coralia est la vedette de WATER WAYS, encore écrit par Ben Acker et Ben Blacker, dessiné par Lee Ferguson.
L'héritière du trône d'un royaume aquatique aux prises avec un père intransigeant donne lieu à un segment très faible, aussi bien narrativement que graphiquement.

Kid Flash (aka Gordon adolescent) est au coeur de GOOD AT ANYTHING (AS LONG AS IT’S NOT WORK), co-écrit par Jeff Parker et Nate Cosby (qui est l'editor de la série The Man from Earth), dessiné par Craig Rousseau.
Il s'agit d'un chapitre destiné à préparer le terrain pour le crossover Kings, dans lequel Gordon partage l'affiche avec le Fantôme du Bengale, Mandrake le magicien, Prince Vaillant et Jungle Jim. Rien de notable à retenir.
*

FLASH GORDON HOLIDAY SPECIAL 2014 rassemble trois histoires courtes réalisés par trois équipes artistiques différentes.
 (Extrait de Flash Gordon Holiday Special : Jingle Bells !
Textes de Dan McCoy, dessins de Joseph Cooper.)

La première histoire, JINGLE BELLS !, écrite par Dan McCoy et dessiné par Joseph Cooper, annonce aussi le crossover Kings, mais permet surtout de retourner sur la planète Arboria où Flash Gordon et Zarkov viennent initier ses habitants aux festivités de Noël.
Tout ça est anecdotique, mais visuellement honorable grâce à un dessin au style proche de celui de Shaner (sans être toutefois aussi abouti). 
(Extrait de Flash Gordon Holiday Special : Wonders and Salvations.
Textes de Elliott Kalan, dessins de Stephen Downey.) 

WONDERS AND SALVATIONS, écrit par Elliott Kalan et dessiné par Stephen Downey, n'est pas seulement la plus longue des trois histoires de ce numéro spécial mais aussi la plus réussie.

Kalan et Downey parviennent à produire une jolie métaphore sur la persécution des juifs et celle d'un peuple extraterrestre par Ming en mettant en scène la rencontre entre un des cobayes de l'empereur piégé sur Terre  et un petit garçon lors de la célébration de Hannukah.
La comparaison est subtilement établie, et bénéficie d'illustrations souvent remarquables (voir l'extrait ci-dessus).
(Extrait de Flash Gordon Holiday Special.
Textes de Stuart Wellington, dessins de Lara Margarida.)

Enfin, nous retrouvons Dale Arden dans une histoire écrite par Stuart Wellington et dessinée par Lara Margarida.
Malheureusement, la petite aventure de la reporter sur la planète glacée de Frigia souffre de la comparaison avec le segment issu de l'Annual. Non pas que ce soit mauvais, mais ce n'est pas non plus vraiment bon, juste passable, anecdotique. On se fiche un peu des galères successives vécues par Dale Arden chaque année au moment du Nouvel An, et le graphisme ne relève pas le niveau.

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