vendredi 19 juin 2015

Critique 648 : LUCKY LUKE, TOMES 43 & 46 - LE CAVALIER BLANC & LE FIL QUI CHANTE, de René Goscinny et Morris


LUCKY LUKE : LE CAVALIER BLANC est le 43ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1975 par Dargaud (numéroté tome 10 au dos de l'album)
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 Lucky Luke rencontre la troupe de théâtre de Whittaker Baltimore, dont il est le directeur, le metteur en scène et l'acteur principal en compagnie de Gladys Whimple (la jeune première), Barnaby Float (abonné au rôles de méchant) et Francis Lusty (le régisseur et chauffeur de salles). Ils sont en route pour Nothing Gulch où ils doivent se produire le soir même, là où le cowboy doit aussi se rendre pour donner les 10 000 $ qu'il a obtenus de la vente du bétail de son ami Hank Wallys à Abilene.
Mais durant la représentation, la banque est attaquée et son coffre vidée. Lucky Luke soupçonne aussitôt la troupe mais, sans preuve, il choisit de les suivre dans leur tournée, qui les mène à Miner's Pass, Indian Flats et Tumbleweeds Springs.
Malheureusement, les choses ne vont pas tourner en faveur du cowboy qui est pris pour un complice des voleurs et doit fuir à la fois pour prouver son innocence et confondre les malfrats.
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LUCKY LUKE : LE FIL QUI CHANTE est le 46ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1977 par Dargaud (numéroté tome 14 au dos de l'album).
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A Washington en 1861, le Président Abraham Lincoln décide de relier les côtes Est et Ouest par le télégraphe afin de simplifier les communications. Les ingénieurs James Gamble et Edward Creighton sont chargés d'effectuer la jonction entre Carson City et Omaha via Salt Lake City.
Lucky Luke, qui a occasionnellement travaillé pour le Pony Express (ayant acheminé les courriers), accompagne l'équipe d'ouvriers dirigée par Gamble qui a, avec Creighton, accepté le pari lancé par le patron de la Western Union : remporter la somme de 100 000 $ au premier qui atteindra Salt Lake City.
Willard Bradley, le bras droit malhonnête de Creighton, engage un homme pour saboter les efforts de l'équipe de Gamble afin d'empocher le pactole. Lucky Luke devra donc démasquer ce traître tout en affrontant des conditions climatiques difficiles, la présence des indiens sur le trajet, la suspicion dans les rangs des ouvriers... 

En 1973, au terme de L'héritage de Ran-tan-plan, Goscinny et Morris décident que les aventures de Lucky Luke ne seront plus pré-publiées dans Pilote suite à un désaccord éditorial. C'est le début de tensions croissantes entre les deux auteurs et Dargaud qui aboutiront à la création d'une revue Lucky Luke, dont le tirage connaîtra un succès aussi considérable (avec un tirage de 100 000 exemplaires !) qu'éphémère (seulement 12 numéros d'existence en 1974).

Est-ce que cela a influencé l'écriture du Cavalier Blanc dont l'intrigue baigne dans une ambiance de trahison, ce coups fourrés, d'illusions perdues ? Le résultat est en tout cas troublant, même si l'album est très réussi et atteste d'un redressement bienvenu après les piteux tomes 41 (L'héritage de Ran-tan-plan) et 42 (7 histoires de Lucky Luke).
 
Le scénariste situe en tout cas à nouveau l'histoire dans un cadre original, sans invoquer de personnages déjà vus : on retrouve le monde du spectacle itinérant, comme dans Western Circus (tome 36), avec cette troupe spécialisée dans le théâtre mélodramatique. Goscinny se sert de cela pour souligner le contraste entre la sophistication des comédiens, des artifices auxquels ils recourent, et la rusticité des pionniers, confondant la fiction sur scène avec la réalité. Cela produit des gags très drôles, et à une construction narrative semblable à une pièce en plusieurs actes correspondant aux villes où se produit Whittaker Baltimore et ses acteurs.

Pour représenter Whitaker Baltimore, Morris a une fois de plus à la caricature et lui donne les traits de John Barrymore, comédien à l'origine d'une fameuse dynastie, et ses prestations remarquables (aux côtés de Greta Garbo dans Grand Hôtel, en 1934, avec aussi son frère Lionel).
Pour Hank Wallys, l'ami éleveur de Lucky Luke, le modèle est moins connu puisqu'il s'agit de Andy Devine, comédien spécialisé dans les rôles de "bons gros", vu notamment dans La Chevauchée fantastique de John Ford.

Ce tome est bâti sur un whodunnit ?, formule pour un récit où l'identité du coupable d'un crime est à découvrir. Comme Lucky Luke, on passe la majorité du temps à se demander par qui puis comment les braquages des banques sont commis. Si la solution est un peu vite expédiée et le mobile décevant, on est accroché parce que le cowboy est confronté à des difficultés croissantes tout au long de son enquête au point d'être confondu avec le voleur (et sur le point d'être lynché !). Sur un plan plus léger, quand il doit remplacer Baltimore sur scène, il doit affronter un ennemi aussi redoutable : le trac, ce qui provoque évidemment les sarcasmes jubilatoires de Jolly Jumper : voir le héros d'habitude si flegmatique perdre ainsi pied est réjouissant. Lucky Luke est montré comme un être plus faillible, vulnérable que d'habitude, subissant les événements : il est évident que Goscinny le maltraite avec plaisir, comme s'il était fatigué de sa perfection (c'était déjà manifeste dans Le Grand Duc, tome 40, ça le sera encore plus dans La guérison des Dalton, tome 44).
Visuellement il faut signaler une séquence fantastique où, à Miner's Pass, Lucky Luke doit se barbouiller de charbon pour espérer passer inaperçu parmi les mineurs : Morris semble avoir adressé un sympathique clin d'oeil à Franquin (avec lequel il était ami et partagea le même mentor, Jijé) et ses Idées Noires. C'est peut-être aussi le signe que l'artiste souhaitait davantage expérimenter graphiquement, même s'il ne persévérera pas. 

Le Fil qui chante est un opus tristement célèbre puisque c'est le dernier écrit par René Goscinny qui devait disparaître l'année de sa parution, en 1977. Souvent déconsidéré par certains fans, c'est pourtant un album de bonne facture, auquel il manque peut-être un peu de folie pour être un classique.

Il est vrai que le récit fait penser à d'autres aventures comme La Caravane (tome 24), un périple semé d'embûches avec un saboteur dont Lucky Luke (et le lecteur) doit découvrir l'identité. Le problème, c'est qu'en plus d'être habitué à ce genre construction, le fan sait, là, comment ça va se terminer puisqu'en inscrivant la petite histoire dans la grande, Goscinny ne peut compter sur l'effet de surprise.

La réalisation de ce tome a connu des heurts multiples : Goscinny était en conflit avec Dargaud car il estimait que l'éditeur le spoliait au sujet de ses droits d'auteur. Pour faire pression sur son employeur, il avait demandé à Morris et Uderzo de ne pas livrer les planches des albums en cours. Dargaud avait riposté sèchement en envoyant des huissiers chez Uderzo en faisant valoir le contrat qu'il avait signé et chez Morris pour négocier (le dessinateur étant le créateur de Lucky Luke). Ce dernier céda finalement en donnant ses planches. Goscinny en voulut-il à Morris en découvrant les exemplaires du Fil qui chante prêts à être diffusés chez Dargaud ? Cela aurait-il abouti au terme à leur collaboration ?

Quoiqu'il en soit, ce 46ème épisode fut un énorme succès, pré-publié dans l'hebdomadaire Paris Match.

Le récit abonde en références précises sur les travaux du télégraphe et met en scène d'authentiques personnalités de l'époque comme Abraham Lincoln, président des Etats-Unis de 1809 à 1865, et le chef spirituel des Mormons de Salt Lake City, Brigham Young. Les ingénieurs Gamble et Creighton, le président de la Western Union, Hiram Sible, et Washakie, le chef des Indiens Shoshone, ont également réellement existé. 

Visuellement, Morris est en grande forme, et ce dès la couverture, qui synthétise admirablement une foule d'informations en une image forte (Lucky Luke au sommet d'un poteau télégraphique dont le fil a été coupé et cerné par un vautour au-dessus de lui et une flèche indienne en feu en dessous).

Les paysages variés, le casting fourni des ouvriers de l'équipe de Gamble, les péripéties nombreuses permettent à l'artiste de donner la pleine mesure de son talent : il n'est jamais aussi bon que dans ce registre où il doit composer avec différentes ambiances.

La fin du run de Goscinny est donc honorable. Je vais maintenant tâcher de vite emprunter le tout premier album qu'il a écrit pour la série, Des rails sur la prairie (tome 9), et Ma Dalton (tome 38), pour compléter ces critiques. 

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