lundi 8 juin 2015

Critique 637 : LUCKY LUKE, TOMES 27 & 28 - LE 20EME DE CAVALERIE & L'ESCORTE, de René Goscinny et Morris


LUCKY LUKE : LE 20EME DE CAVALERIE est le 27ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1965 par Dupuis.
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Les Cheyennes, après avoir signé un traité de paix avec le Président des Etats-Unis afin que les colons puissent traverser ou s'établir au Wyoming, rompent brusquement leur engagement. Ils accusent les blancs de chasser leurs bisons (et donc de les affamer).
De son côté, le 20ème de Cavalerie de Fort Cheyenne estime l'attitude des indiens intolérables depuis qu'en guise de représailles ils attaquent les colons avec des fusils.
Le gouvernement décide donc d'envoyer en qualité d'éclaireur et négociateur Lucky Luke dans la région afin d'y rétablir la paix. Le cowboy fait la connaissance de l'intransigeant colonel Mac Straggle, qui a sous ses ordres son fils, Grover, à qui il ne laisse rien passer pour qu'on ne le soupçonne pas de favoritisme.
Lucky Luke parlemente avec Chien-Jaune, chef des Cheyennes, et découvre que les indiens sont fournis en armes et influencés par un déserteur, Derek Flood, qui veut s'emparer de leurs terres et se venger du régiment.
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LUCKY LUKE : L'ESCORTE est le 28ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1966 par Dupuis.
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Condamné à 1247 ans de travaux forcés dans un pénitencier du Texas, Billy The Kid doit être présenté devant le tribunal de Bronco Pueblo au Nouveau-Mexique pour y répondre d'autres crimes.
Lucky Luke est désigné pour escorter Billy qui, à chaque étape, terrorise la population.
A Gun Gulch, Billy fait la connaissance en prison de Bert Malloy, un gredin à qui il promet une part d'un butin caché s'il l'aide à échapper à Lucky Luke. Malloy compte bien supprimer Billy une fois l'argent en poche, mais le Kid veut aussi se débarrasser de lui dès qu'il sera libre.
Le voyage est rythmé par les tentatives infructueuses de Billy et Bert de semer Lucky Luke. Quand ils arrivent enfin à Bronco Pueblo, plusieurs surprises les attendent : personne ici n'a peur du Kid, le chef d'accusation dont il doit répondre est dérisoire et Malloy paiera aussi pour ses méfaits.

Alors que Goscinny et Morris ne produiront plus que trois autres albums chez Dupuis, ils réussissent avec ces deux nouveaux épisodes deux chefs d'oeuvre, qui, cinquante ans après leur parution, n'ont pas vieilli et figurent parmi les aventures les plus drôles de Lucky Luke.

Le 20ème de Cavalerie est une nouvelle démonstration de la qualité de ce partenariat et un hommage à un grand classique du western dans le cinéma américain puisque le scénario est inspiré du Massacre de Fort Apache de John Ford, réalisé en 1948 (soit un an après la naissance de Lucky Luke), avec John Wayne, Henry Fonda et Shirley Temple.

La vie dans le Fort Cheyenne est décrite avec moult détails et fournit quantité de gags impayables : Goscinny est en très grande forme, on sent que l'auteur est arrivé à maturité et fait feu de tout bois. Le personnage du colonel Mac Straggle (dont le physique est inspiré de l'acteur Randolph Scott) est évidemment l'élément-clé de cette réussite : rigide au possible, il met un point d'honneur à ce que ses hommes soient toujours impeccables, à ce que les règles militaires soient respectées - quel que soit le contexte, même quand la situation devient critique. 
Son zèle maniaque trouve son paroxysme dans l'attitude qu'il adopte en présence de son fils, Grover, qui fait partie de son contingent et à qui il ne passe rien, lui infligeant des punitions absurdes à la moindre occasion pour ne pas être taxé de favoritisme. Lorsque dans la dernière partie du récit, Grover ose enfin se rebeller, l'effet est à la fois garanti et surprenant : loin d'être réprimandé, il voit son père ému de le voir se comporter en brave tout en craignant pour sa vie.

L'album fait aussi, pour la première fois dans la série (au moins depuis que Goscinny l'écrit), référence à une histoire antérieure puisque la colonisation du Wyoming a été traitée dans Les collines noires (tome 21). Mais cela ne nuit pas à la compréhension de l'intrigue.

On assiste aussi à la première apparition d'un second rôle qui reviendra avec le blanchisseur cantonais Ming Li Foo, dont le flegme est tordant et qui lui vaut des répliques très drôles (après avoir voulu quitter le Fort sur le point d'être attaqué par les Cheyennes, il rebrousse chemin et, philosophe, déclare : "Ming Li Foo est voué à la propreté. Il vient d'essuyer des coups de feu.").

Le niveau reste excellent avec le tome suivant, L'Escorte, où, divine surprise, Goscinny ramène Billy the kid au centre de son récit (ça change des Dalton) : loin d'être un signe de manque d'inspiration, le scénariste utilise ce retour pour une aventure supérieure en qualité à celle où le personnage apparut pour la première fois (tome 20).

L'histoire est construite comme un road-movie (un road-comic-book), un procédé qu'affectionnait Goscinny comme en attestent plusieurs épisodes de Lucky Luke mais aussi Astérix. Le voyage effectué par Lucky Luke et Billy the kid permet ainsi non seulement de traverser plusieurs décors, cadres à de nombreux gags (sur la pleutrerie des pionniers, sur l'absurdité de la situation géographiques de patelins - parfois réduits à un saloon, un bureau de shérif et l'office du croque-mort), mais aussi d'animer la relation entre l'escorte et le bandit : Lucky Luke se comporte sinon comme un père, du moins comme un grand frère avec Billy. 
Comme ils n'ont peur ni de l'un ni de l'autre, c'est un vrai jeu du chat et de la souris où Billy s'amuse à effrayer les civils, à vouloir s'évader, à commettre diverses infractions, et où Luke le sermonne, le ramène, le corrige, sans jamais se départir de sa bonhomie. Au fond, on peut raisonnablement estimer que Luke a une certaine affection pour Billy et le considère moins comme un criminel que comme un gosse qui a mal tourné parce qu'il manque d'éducation : il se comporte avec lui avec infiniment de patience, de bienveillance - s'amuserait-il en sa compagnie que ce ne serait pas étonnant (d'ailleurs quand on fait appel à lui au début de l'histoire, il croit, énervé, que c'est parce que les Dalton se sont encore fait la belle, mais recouvre son calme quand il voit qu'il s'agit de Billy).    

L'addition de Bert Malloy à cette ballade fournit quelques gags supplémentaires sur le thème favori de Goscinny - la bêtise - et la morale finale du récit est particulièrement savoureuse, même si elle signifie surtout que la justice doit s'appliquer quel que soit les accusés, leur actes et les circonstances.

Graphiquement, Morris est lui aussi très en verve : comme à chaque fois qu'il a du "biscuit", il produit des planches au dynamisme imparable. Il est évident qu'il y a chez lui et donc dans la série un côté "père tranquille" que les planches à quatre bandes, avec une moyenne de dix vignettes, soulignent. C'est une mécanique désormais bien huilée et Morris est parvenu à un résultat qui fonctionne si bien, si simplement, qui coule tellement de source, qu'il n'en change(ra) plus.

On peut le déplorer car c'était un dessinateur exceptionnel, dont le trait possédait une souplesse, une vigueur, dont la technique était infaillible, et qui disposait de scripts exceptionnels : qui sait ce que Lucky Luke serait devenu, à quoi sa série aurait ressemblé si Morris avait expérimenté davantage, fait évoluer son style ? Peut-être serait-il allé dans une direction plus poussée vers la caricature ? Goscinny aurait-il suivi narrativement des audaces formelles (pas sûr quand on se rappelle comment il avait été dépassé par l'émergence des talents qui désertèrent Pilote) ?

Mais peut-être aussi que le génie de Morris, c'est d'abord cette constance, cette stabilité, cette solidité : l'artiste n'a jamais paru rongé par le doute comme un Franquin ou tenté par des métamorphoses comme son mentor Jijé. Lucky Luke est vraiment à son image : imperturbable mais d'une telle efficacité. La correspondance entre le caractère du héros et l'expression de celui qui le dessinait est troublante et participe aussi au plaisir intact de le lire.  

Deux opus majeurs pour témoigner de la complicité exceptionnelle entre Goscinny et Morris : deux vrais incontournables.

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