mercredi 8 avril 2015

Critique 601 : ASTERIX, TOMES 21 & 22 - LE CADEAU DE CESAR & LA GRANDE TRAVERSEE, de René Goscinny et Albert Uderzo


ASTERIX : LE CADEAU DE CESAR est le 21ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Albert Uderzo, publié en 1974 par Dargaud.
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Le légionnaire Roméomontaigus a terminé son service dans l'armée romaine mais il est arrêté en état d'ivresse la veille de son départ en congé. Apprenant cela, César, contre toute attente, ne le sanctionne pas. Quoique... Il lui fait cadeau d'une terre prétendument conquise en Gaule : le village des irréductibles gaulois !
Contre un peu de vin en plus, l'ex-légionnaire donne son titre de propriété à un aubergiste, Orthopédix, qui convainc sa femme, Angine, et sa fille, Coriza, de le suivre en Armorique.
Evidemment, une fois sur place, Abraracourcix n'accepte pas de céder la place ni le contrôle du village. Sauf que Angine se dispute avec Bonemine. La guerre est déclarée et Orthopédix se présente pour devenir le nouveau leader de l'endroit pendant que son épouse sème la discorde entre les habitants. Sans compter sur le retour imprévu de Roméomontaigus qui vient reprendre son bien...
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ASTERIX : LA GRANDE TRAVERSEE est le 22ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Albert Uderzo, publié en 1975 par Dargaud.
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Une énième bagarre a lieu dans le village à cause du poisson pas frais d'Ordralfabétix, qui décide alors de fermer provisoirement boutique, refusant d'aller pêcher alors que l'océan est pourtant tout proche.
Pourtant Panoramix a besoin de poisson pour préparer sa potion magique. Astérix et Obélix se dévouent pour aller à la pêche. 
Pris dans une tempête la nuit, ils dérivent considérablement et échouent sur le Nouveau Monde, sans connaître les indigènes. Ni se douter que des vikings sont dans les parages, en quête de nouveaux territoires à explorer et conquérir...

Réunis dans un album double édité par France Loisirs, ces deux histoires, qui ont déjà une quarantaine d'années, proposent, en somme, le pire (ou en tout cas le moins bon) et le meilleur de la série. Encore deux tomes et Goscinny ne sera d'ailleurs plus là (il mourra dans des circonstances ahurissantes, victime d'une crise cardiaque alors même qu'il passait un test d'effort chez un médecin !) : après, plus rien ne sera jamais pareil - Uderzo hésitera plusieurs années avant de continuer l'aventure seul, et ses albums seront souvent fraîchement reçus par la critique, malgré un accueil public toujours aussi favorable. Mais la magie ne sera plus au rendez-vous (c'est aussi ce qui frappera Lucky Luke, même si Morris aura la sagesse de poursuivre avec des auteurs, parfois inspirés)...

Le cadeau de César est un bon exemple de ce que Astérix pouvait donner quand son scénariste était en verve : la situation initiale est à la fois simple et efficace, développée avec beaucoup d'adresse et utilisant des ingrédients familiers - une manigance de César, un élément perturbateur introduit dans le village des gaulois, l'incapacité des légionnaires romains voisins à en tirer profit, une résolution rapide et habile, le tout avec un dosage parfait d'humour et d'action.

Les dialogues sont particulièrement drôles et les scènes s'enchaînent en réservant des moments percutants : la crise qui touche les gaulois est originale puisqu'elle est provoquée par un autre gaulois, et le confort de personnages importants est bousculé - qu'il s'agisse de l'amitié entre Astérix et Obélix, de celle entre Obélix et Idéfix, de l'autorité d'Abraracourcix, de l'infléxibilité de Panoramix. Le vieillard Agecanonix est employé comme un second rôle particulièrement valorisé, à l'origine là aussi de rebondissements savoureux.

A bien des égards, c'est un des récits qui met le plus et le mieux en scène la dynamique du village, agitant des acteurs qui faisaient partie du décor sans qu'on imagine les voir sortir de leurs rôles de figurants (comme les porteurs d'Abraracourix), de faire-valoir (comme Bonemine) ou d'instruments comiques (comme Assurantourix). En insistant ainsi sur les rapports humains au moins autant, si ce n'est davantage, que l'action, au moyen d'une intrigue diabolique, on apprécie mieux ce qui lie ou peut distendre le duo Astérix et Obélix (d'ailleurs je n'ai jamais compris pourquoi la série ne s'était jamais appelé "Astérix et Obélix" : c'est dans sa logique. Imaginerait-on parler d'une série "Spirou" sans adjoindre dans le titre "et Fantasio" ?) lorsque "Zaza", la fille d'Orthopédix se met à courtiser l'un puis l'autre pour suivre les plans de sa mère.

En revanche, relire La grande traversée fait mesurer sa faiblesse. C'est pourtant un épisode pour lequel j'ai une certaine tendresse, sans grand rapport avec sa qualité narrative : en effet, deux pages m'ont toujours spécialement plu - la première, page 26, montre Astérix et Obélix tentant d'expliquer par le mime aux indiens qui ils sont ("Nous sommes courageux... Nous n'avons peur que d'une chose : que le ciel nous tombe sur la tête... Nous aimons rigoler ! Nous aimons bien manger et bien boire... Nous sommes râleurs... Nous sommes indisciplinés et bagarreurs... Mais nous aimons les copains ! Bref, nous sommes des gaulois !" et le chef indien les prend pour des fous) ; la seconde est la dernière vignette de la page 33 montrant un superbe drakkar la nuit et cette image, je l'avais dessinée quand j'étais en CM2 sur un panneau en bois puis pyrogravée (je l'ai hélas ! ensuite perdue).

Mais, au-delà de ces souvenirs sentimentaux, il faut bien admettre que c'est un album très faible, avec un argument qui tient sur un timbre poste, juste un argument justement. Un prétexte pour entraîner les deux héros dans un voyage (un procédé maintes fois pratiqué dans la série) en terre inconnue. Sauf que Goscinny n'y va pas avec le dos de la cuillère cette fois puisqu'il les expédie en Amérique du Nord à la suite d'une tempête (sacré grain pour que les deux gaulois aient traversé tout l'océan Atlantique !) !

A partir de là, le récit traîne et ne décolle jamais : la rencontre avec les indiens, puis les vikings, n'aboutissent qu'à des scènes peu drôles, sans rythme, avec des clins d'oeil peu inspirés (encore une fois le célibat d'Obélix est en jeu, et comme toujours, hors de question d'explorer la question, l'ami d'Astérix sur-réagit comme si on le privait de sanglier et alors l'enjeu se déplace vers la fuite des deux égarés gaulois). Quant aux vikings, leur potentiel est très mal exploité et n'aboutit qu'à une bagarre, par ailleurs vite expédiée. A la fin, tout le monde rentre chez soi (un autre naufragé vient même s'ajouter aux habitants du village) et voilà !

Heureusement, visuellement, Uderzo est plus inspiré et produit des planches de très belle facture, de ce trait rond et énergique, encré au pinceau, admirable. Il n'a pas à se forcer pour illustrer les séquences mais tire son épingle du jeu grâce au découpage.

Si l'artiste n'a jamais été adepte d'expériences pour mettre en scène les aventures d'Astérix, ne s'autorisant qu'exceptionnellement quelques fantaisies (comme des pleines pages, des doubles pages, ou des vignettes aux dimensions inhabituelles), cette retenue sert ici intelligemment le propos en en soulignant le ressort séquentiel : par exemple, dans Le cadeau de César, page 39, la bande 2 est composée de trois cases verticales sans changement d'angle de vue, ce qui donne une fluidité brillante à la scène (Astérix est en haut d'une tour d'un camp romain, sommé d'en descendre par le chef des légionnaires il s'exécute, les romains s'effraient en le reconnaissant car ils craignent qu'il ait bu de la potion magique et ne flanque une dérouillée, et quand le gaulois est enfin en bas de la tour la voie est libre pour qu'il s'échappe - car il n'a pas bu de potion).

De même dans La grande traversée, pages 26 et 38, Uderzo répète la même séquence de cases sur trois des quatre bandes en utilisant un gaufrier, lorsque Astérix, Obélix et Idéfix miment qui ils sont aux indiens puis aux vikings. Le dessinateur, qui n'a donné aucun décor à ces plans, produit encore un bel enchaînement, où il se sert d'effets qu'il maîtrise parfaitement (les mouvements décomposés, l'expressivité des personnages, les attitudes bien campées).

Son génie pour les tronches reste éclatant, et dans La grande traversée, il s'amuse (et nous amuse) avec les indiens et les vikings. C'est aussi dans ces cas-là qu'on regrette qu'Uderzo n'ait pas tenté autre chose quand il pensait arrêter Astérix après le décès de Goscinny : en préférant demeurer dans le confort de cet univers, avec ces héros, il s'est privé (et nous avec) de dessiner d'autres genres de récits où son talent aurait fait merveille.

Ces deux tomes sont donc inégaux : faciles à lire, mais un peu trop facilement écrits, ils valent surtout pour la qualité graphique, et annoncent, sans le savoir, la fin de l'âge d'or créatif de la série.

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