vendredi 3 avril 2015

Critique 597 : LES TOURS DE BOIS-MAURY, TOMES 9 & 10 - KHALED & OLIVIER, de Hermann


LES TOURS DE BOIS-MAURY : KHALED est le 9ème tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1993 par les éditions Glénat.
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Le chevalier Aymar de Bois-Maury continue son voyage en Terre Sainte en compagnie de son écuyer Olivier et de ses pairs, William et Hendrick, lorsqu'il est averti que le château de messire Bernard de Mance est assiégé par les troupes arabes de Yazid Al-Salah. Ce dernier a pour allié et informateur le traître occidental Fayrnal, qui convoite une partie de son trésor.
En allant aider de Mance, Aymar retrouve Reinhardt Von Kirstein, rencontré cinq ans auparavant dans les Pyrénées (voir tome 4) quand il lui avait sauvé la vie. Avec Messire Gilles, qui cherche à regagner l'estime du seigneur, les trois hommes élaborent un plan contre les arabes mais aussi contre Fayrnal.
Ils recevront, sans le savoir, l'aide de Bashir, amant de Fayrnal, qui a tué son meilleur ami, Khaled.
Aymar mettra aussi opportunément la main sur un beau pactole avec lequel il espère à nouveau rentrer chez lui et reconquérir son domaine de Bois-Maury. 
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LES TOURS DE BOIS-MAURY : OLIVIER est le 10ème et dernier tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1994 par les éditions Glénat.
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De retour dans sa région natale, Aymar est hébergé par un voisin et il a pris pour épouse Guenièvre, la fille de Hendrik, et va devenir père. Olivier, négligé par son maître et jaloux de son épouse, se perd dans la boisson et recroise par hasard Germain, l'ancien maçon devenu voleur et fugitif, à qui il donnera son cheval pour qu'il fuit le pays - en vain car il sera vite arrêté et pendu.
Aymar accepte de défier messire Guibert pour reprendre son château désormais occupé par le père et la cour de ce dernier. En représailles, Guenièvre est enlevée, mais Olivier a assisté au méfait.
William rejoint Aymar avec des renforts provenant d'Angleterre mais le chevalier hésite à lancer les hostilités de peur que sa femme ne soit exécutée. Lorsque l'écuyer la libère, l'assaut est donné.
Une mort et une naissance concluront l'épopée des tours de Bois-Maury.

Ainsi donc, avec ces deux épisodes s'achève la série de Hermann. L'auteur y reviendra pour des one-shots, situés plus tardivement et ayant pour protagonistes des descendants d'Aymar de Bois-Maury, réalisés en couleurs directes (une technique que privilégie l'artiste depuis plusieurs albums de Jérémiah et des récits complets, mais où il ne m'a jamais convaincu).

En dix ans, Hermann aura été d'une régularité métronomique, livrant dix tomes, tout en produisant donc d'autres albums en parallèle, mais en maintenant une qualité narrative et graphique épatante. On ne peut que remarquer la place à part qu'occupe ce titre dans son abondante bibliographie, de par le choix de son sujet, l'époque de son action, la force de ses personnages, l'originalité de ses intrigues et de leur traitement : c'est un bloc parfait, sans défaut, qui se dévore, n'a pas pris une ride - une oeuvre dans l'Oeuvre d'un auteur complet.

Le tome 9 annonce déjà la fin de l'aventure puisque le périple au Moyen-Orient arrive (déjà, a-t-on envie de dire) à son terme. Le propos de Hermann n'aura pas été de réaliser vraiment un cycle sur les croisades, comme on pourrait dire que le Moyen-Âge n'était qu'un prétexte pour toute la série : ce qui semble avoir d'abord, avant tout, passionné l'auteur, ce sont les décors, les ambiances, le potentiel visuel d'une époque. Cela aurait pu être un western, un récit de cape et d'épées, un polar, de la science-fiction. Ce qui traverse, anime Les Tours de Bois-Maury, c'est d'abord le souffle de l'aventure et la description à la fois réaliste et sensible des épreuves sur les hommes qui peuplent cette épopée.

Pourtant, avec Khaled, Hermann rompt un peu avec ses habitudes et construit une véritable intrigue, plus élaborée encore que ce qu'il avait tenté avec le tome 7 (William). Il y a un vrai argument sur lequel est bâtie une vraie structure dramaturgique, avec le siège du château de Bernard de Mance et comment une bande de chevaliers va y mettre fin. Le suspense est dense, tendu, et l'auteur convoque pour la peine un casting étoffé, où resurgit une figure du passé, Reinhardt Von Kirstein (voir tome 4) - grâce à lui, on apprend ainsi qu'il s'est passé cinq ans depuis l'aventure dans les Pyrénées et leur première rencontre -, mais aussi des acteurs plus récents comme Hendrik (qui acceptera de devenir le beau-père de Aymar, plus par cupidité que par conviction d'ailleurs) et William, sans oublier le fidèle Olivier.

Le traquenard est exposé en détail et la libération du château aboutit à une bataille dantesque, qui se prolonge par une traque (nocturne, autre grand motif de la série : la nuit, beaucoup de choses se joue, se déjoue, se dénoue, se relance) contre le traître Fayrnal. C'est un excellent épisode, efficace, palpitant, d'où, déjà, tous ne reviendront pas (l'ombre de la mort plane sur la fin de la série). Hermann ne glorifie pas les vainqueurs car il montre que les guerres sont déjà des boucheries, que les religions en sont les créatrices.

L'évocation de l'homosexualité de Fayrnal et le drame sur lequel elle débouche, avec Bashir et Khaled, est subtilement exploitée et audacieuse dans ce type de récit où on ne s'attend pas à en entendre parler. Hermann n'a pas toujours aussi mesuré dans son oeuvre pour le féliciter quand il écrit sur ce genre de thèmes aussi bien.

Puis le tome 10 nous ramène, héros et lecteur, en Europe, au fameux pays de Bois-Maury. Nous ne saurons pas davantage qu'avant où cela se trouve exactement, même si cette campagne baignée dans une sublime lumière d'Automne pourra faire penser aux Ardennes si chères à Hermann. Ne vous attendez pas non plus à découvrir les tours du fief d'Aymar : l'auteur a été assez intelligent pour éviter de les représenter et ainsi laisser le lecteur les imaginer (ou non) aussi magnifiques (fantasmées) que lorsque Olivier en parlait. Néanmoins, il est suggéré qu'entre le mythe et la réalité existe un sérieux écart et que le château si beau narré par l'écuyer a perdu de sa superbe.

La fin de la série possède une tonalité désenchantée et que l'ultime tome porte le prénom d'Olivier résume bien le propos : marié à une femme plus jeune que lui, qui porte son héritier mais souhaite surtout récupérer le fief de son époux avec son père, Aymar nous est dépeint comme un chevalier vieillissant et ingrat avec son plus fidèle compagnon. L'écuyer noie son désespoir dans l'alcool, errant dans les bois, ne revenant auprès de son maître que pour s'entendre reprocher son attitude. Olivier est pourtant le plus lucide dans l'affaire mais, faute d'être entendu, rabaissé au rang de serf, il a renoncé.

Ce choix ne lui ôte pas sa noblesse, plus authentique en fait que celle de Aymar : ainsi essaiera-t-il de sauver une dernière fois Germain (dont le retour, fugace, dans la série est un peu artificiel)... Malgré sa rancoeur légitime, il délivrera celle qui est responsable de sa déchéance et sera jusqu'au bout aux côtés de son maître dans la reconquête de son domaine. Discrètement, en fait, si on examine rétrospectivement toute la série, on s'aperçoit que le véritable héros de la série, c'est lui, le modeste et loyal serviteur, plus sympathique qu'Aymar (là où, dans Jérémiah, Hermann favorisera toujours cette insupportable grande gueule de Kurdy jusqu'à s'en servir pour justifier l'injustifiable).

Le dénouement de l'épisode et par là même de toute la saga n'est pas gai, mais il est juste, et même émouvant, d'une belle sobriété, qui conserve à l'entreprise sa tenue exemplaire. Pas de théâtralité, de mélodrame, mais une relation plus sobre et du coup plus poignante. Cela devait se finir ainsi, et Hermann a eu cette intelligence.

Visuellement, si le tome 9 reste d'un niveau formidable, bénéficiant notamment d'une colorisation lumineuse qui rend pleinement justice au cadre de l'action, et avec de longues séquences nocturnes toujours aussi somptueuses, le tome 10 est, lui, exceptionnel.

L'album est pourtant plus court que d'ordinaire (43 planches) mais Hermann livre des planches à couper le souffle, avec un nombre important de plans sans texte, où il semble s'être fait plaisir à représenter la campagne en Automne et où le lecteur peut contempler des images éblouissantes (à commencer par la chasse au cerf du début). Le luxe de détails avec lequel l'artiste dessine ces moments-là, puis le soin avec lequel il réalise des scènes en intérieurs, près d'un feu de cheminée, avec force croisillons, points, hachures, tout cela est d'une beauté renversante.

Le découpage, très simple et dynamique, ne laisse cependant jamais le récit se ramollir, et les personnages ont tous cette vérité picturale qui a participé depuis le début à la réussite du projet.

Enrichi par un avant-propos, écrit par Paul Herman, qui résume et contextualise tous les épisodes, et des croquis inédits (études de personnages, crayonnés de planches, ébauches de couvertures), l'album clôt de la meilleure manière une série passionnante, puissante, visuellement splendide, qui ne souffre d'aucune faiblesse, et a mérité son statut de classique.

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