jeudi 26 mars 2015

Critique 592 : LES TOURS DE BOIS-MAURY, TOMES 3 & 4 - GERMAIN & REINHARDT, de Hermann


LES TOURS DE BOIS-MAURY : GERMAIN est le troisième tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1986 par les éditions Glénat.
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Aymar de Bois-Maury et son écuyer Olivier sont devenus les escortes d'un marchand et de son épouse, qui semble avoir perdu la raison suite à un viol, et qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle en pèlerinage.
De son côté, l'ancien apprenti orfèvre Germain continue de tailler la route en compagnie de la petite troupe de forains voleurs, formée de la Pie, Marcus, la belle Alda et un autre larron, qui l'a recueilli. Installée près d'un monastère où se sont arrêtés d'autres pèlerins sous la garde du chevalier Favard, la bande décide de le piller et Germain infiltre le bâtiment. Mais un autre mendiant, Ludovic, a le même projet et tous ces vilains s'enfuient ensemble tandis que Alda distrait Favard.
Le lendemain matin, comprenant qu'il a été joué, le chevalier se lance à la poursuite des brigands qui se séparent pour ne pas être pris et se donnent rendez-vous plus tard. Germain tente de sauver la peau de ses amis mais la traque est sans pitié : Alda est capturée, la Pie gravement blessé, Ludovic double Marcus... La jeune femme se vengera terriblement de Favard pourtant.
De leur côté, Aymar et Olivier continuent leur voyage, sans savoir tout cela. L'écuyer trouvant un nourrisson abandonné sur le bord d'une route le remet à la femme du marchand et favorise sa guérison. 
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LES TOURS DE BOIS-MAURY : REINHARDT est le quatrième tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1987 par les éditions Glénat.
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Des pluies torrentielles obligent durant trois jours le marchand, son épouse, leur bébé à stationner dans un hameau, sur le conseil d'Aymar et Olivier. La peste décime les paysans de la région que traverse, une fois le temps calmé, Reinhardt Von Kirstein, un chevalier templier et ses deux compagnons. Ce revenant des croisades retourne dans son fief familial dans le Nord où son père, le Baron, se meurt.
Peu après, pourtant, Reinhardt est attaqué par des mercenaires, dont il ignore qu'ils sont envoyés par Hugo, le serviteur de son frère cadet, Manfred, qui veut le supprimer pour hériter seul du domaine de leur père. Aymar et Olivier lui portent secours.
L'expédition prend la direction du port de Bordeaux, mais Reinhardt les quitte en route, préférant emprunter un passage en montagne que le sentier. Une fois en ville, le lendemain, Aymar apprend que le croisé et son cheval ne sont plus ensemble et, avec Olivier, il part à la recherche de l'homme.
Une fois Reinhardt délivré de son frère et d'Hugo, Aymar compte les semer en allant encore plus haut dans les Pyrénées. Mais de terribles conditions hivernales les y attendent... Ainsi qu'une fillette mystérieuse, déjà entrevue auparavant, qui prétend être guidée par une dame aux fleurs de lis et pouvoir les sauver d'une mort certaine dans les neiges.

Pour commencer cette critique, il convient de préciser une chose : si vous n'avez pas lu les deux premiers tomes de la série, c'est le moment de rattraper votre retard sinon vous allez être perdus pour continuer car Hermann fait plusieurs fois référence aux épisodes précédents en dévoilant le sort de personnages secondaires.

Ainsi, en intitulant le tome 3 Germain, l'auteur indique clairement que l'histoire renoue avec l'infortuné apprenti orfèvre dont on a fait la connaissance dès le tome 1 (Babette). Cela deviendra une caractéristique de la série de muter en feuilleton, de s'apprécier comme une saga complète, en s'intéressant alternativement au chevalier de Bois-Maury et son écuyer puis à des personnages apparus en marge de leurs aventures.

La liberté que s'octroie ainsi Hermann lui permet consacrer un épisode entier avec Aymar et Olivier en retrait au profit de Germain. Ce dernier, mutilé et donc incapable de travailler à nouveau sur les chantiers de construction des cathédrales, avait rejoint une petite troupe d'artistes voleurs et nous apprenons à en détailler les membres : leur chef est la Pie, un stratège attiré comme l'oiseau dont il a pris le nom par tout ce qui brille ; puis il y a Marcus, un jongleur ; la belle Alda, qui n'hésite pas à jouer de ses charmes pour faciliter les rapines de ses acolytes ; et un dernier larron, sans nom.

Le récit s'attarde sur le vol qu'ils commettent dans un monastère, abritant des pièces d'orfèvre telles qu'en confectionnait Germain, puis sur leur fuite et leur traque par l'implacable chevalier Favard. Celui-ci est un curieux individu, obsédé par Alda au premier regard, mais aussi hanté par des cauchemars récurrents impliquant un oiseau qui veut l'aveugler avec ses serres. Il n'a de toute évidence pas la conscience tranquille, même s'il escorte des pèlerins.

Cette course-poursuite menée sous un soleil de plomb dans un paysage rocailleux, aride, escarpé, fournit à Hermann le cadre pour un suspense bien tendu, où la vengeance tient une place importante (celle de Favard comme celle de Alda). Comme l'action se déroule dans un laps de temps réduit, on n'a pas le temps de souffler et, même si les actes de la troupe sont condamnables, le comportement acharné et sadique de Favard fait qu'on prend les voleurs en sympathie, souhaitant qu'ils s'en sortent malgré tout.

Pendant ce temps-là, l'espace dévolu à Aymar, Olivier, le marchand et son épouse, est réduit mais réserve quelques beaux moments, comme la découverte du nourrisson que l'écuyer "offre" à la femme et qui lui permet de sortir de sa léthargie.

Le tome 4 propose un contenu recentré sur le chevalier de Bois-Maury et les gens qu'il escorte jusqu'à leur rencontre avec un personnage immédiatement mémorable, Reinhardt Von Kirstein. Ce colosse blond, véritable force de la nature, au caractère arrogant, électrise le récit. Son charisme naturel éclipse celui d'Aymar et infléchit le cours des événements. 

Hermann s'en sert pour imposer une déviation importante à son histoire qui s'engage dans une très longue séquence épique, spectaculaire, captivante, flirtant même avec le fantastique (grâce à l'apparition récurrente de cette petite mendiante en relation avec une mystérieuse dame aux fleurs de lis). Entre l'évasion de Reinhardt organisée par Aymar et Olivier, leur fuite dans les Pyrénées, et le retour du chevalier et son écuyer auprès du marchand à Bordeaux, c'est une vingtaine de pages qui défilent, soit près de la moitié de l'album : un pari narratif audacieux mais parfaitement maîtrisé.

Visuellement, ses deux tomes sont encore plus beaux, si c'est possible, que les deux précédents : on devine que Hermann a passé de longues heures à se documenter pour représenter les décors, les vêtements d'époque, tant ceux-ci sont criants de vérité. La qualité de la reconstitution n'est cependant jamais sacrifiée au détriment de la puissance narrative, tout cela palpite, bouillonne, au rythme des saisons, des climats des régions traversées (la chaleur accablante du Sud-Ouest puis la froideur hivernale des Pyrénées).

La série abonde toujours d'images splendides, comme l'intérieur du monastère en pleine nuit (lorsque Germain le traverse pour aller voler les pièces d'orfèvrerie), la garrigue jaunie par le soleil et ses périlleux sentiers creusés de gorges assassines, de falaises abruptes, de ronces, puis, surtout, dans Reinhardt, le périple en haute montagne, avec une tempête de neige illustrée avec une minutie époustouflante, telle qu'on sent presque la texture de la neige, la rigueur du froid, en tournant les pages. Encore une fois, Hermann étale son génie pour reproduire de grands espaces, indomptables même par des hommes à la volonté de fer, à l'orgueil démesuré.

Les personnages fournissent à l'artiste son lot d'occasion pour croquer des trognes masculines inoubliables, créatures parfois difformes, visages trahissant les sentiments les plus vils, traits exprimant la rudesse ou la noblesse. Les femmes sont plus rares, mais Alda s'impose comme une figure alliant la beauté et la détermination sans que le dessinateur ne tombe dans la facilité : chez Hermann, la crédibilité physique est plus importante que la séduction esthétique.

En trois ans et quatre albums, Les Tours de Bois-Maury s'imposait déjà comme un classique de la bd d'aventures, aux images fortes et aux scénarios atypiques.     

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