COMANCHE : RED DUST est le 1er tome de la série, écrit par Greg et dessiné par Hermann, publié en 1972 par les éditions Le Lombard.
*
Red Dust arrête la diligence de Sid Bullock non loin de Greenstone Falls car il n'a plus de cheval. Mais ce contretemps irrite le seul passager, Willy Hondo, un tueur à gages que défie le cowboy en voulant le calmer. Contre toute attente, c'est Dust qui réussit à abattre ce professionnel sur lequel Bullock trouve un contrat concernant sa cible : Comanche, propriétaire du ranch du "Triple-6".
Une fois en ville, Dust se fait passer pour Hondo auprès de Lawrence Cathrell, l'homme de loi qui a fait appel à ses services, avant d'être démasqué par son autre homme de main, une connaissance du cowboy, Jack "Kentucky Kid" Jeffords.
Dust prend la direction du ranch de Comanche et s'y fait engager après avoir dompté un cheval, Palomino. La propriété de la jeune femme ne paie pas de mine : elle est seulement aidée par le vieux Ten-Gallons et doit son infortune à Cathrell qui a interdit quiconque de commercer avec elle pour la déloger.
Mais Red Dust convainc la jeune femme de tenir bon : ensemble, ils vont obtenir 50 têtes de bétail, l'assistance de deux employés - Toby-face-sombre et Clem-cheveux-fous - , écarter le vétérinaire véreux Doc Wetchin, et finir par connaître qui en veut au ranch et pourquoi.
*
COMANCHE : LES GUERRIERS DU DESESPOIR est le 2ème tome de la série, écrit par Greg et dessiné par Hermann, publié en 1973 par les éditions Le Lombard.
*
Le personnel du "6-6-6" reçoit la visite des Cheyennes et de Cheval-Debout, fils aîné de leur chef Trois-Bâtons, qui vient réclamer la restitution des terres et du bétail car leur tribu est affamée.
Comanche et Red Dust négocient une trêve avec le Sachem : la jeune femme reste avec les Cheyennes durant les trois jours obtenus par le cowboy pour aller régler ce litige avec le bureau des affaires indiennes à Arrow Creek.
Mais les ouvriers de la West Coast Railroad attendent eux aussi la viande promise par le ranch du "Triple-6" et décident d'attaquer la tribu.
Tout cela ne nous rajeunit pas mais ces deux premiers épisodes nous renvoient à il y a 43 et 42 ans ! Pourtant ils demeurent toujours efficaces et ont démarré cette superbe série, digne des classiques de la bande dessinée western comme Jerry Spring ou Blueberry.
Greg met en place dans le premier tome l'essentiel de son casting pour les tomes à venir : il ne s'agit pas simplement de présenter des personnages, un décor, mais de les inscrire dans un récit qui possède une intrigue solide et aura assez de potentiel pour être développé.
La figure du cowboy solitaire, tireur exceptionnel, sorti de nulle part, et qui sauve une petite communauté, n'est ps très originale en soi, et il est vrai que Red Dust apparaît d'abord comme un homme providentiel extraordinaire, capable d'abattre deux pistoleros redoutables, de remotiver Comanche (sans pour autant vouloir la séduire) et le vieux Ten-Gallons, de convaincre deux étrangers comme Toby et Clem de grossir les rangs de leur équipe, et de démasquer le méchant qui voulait précipiter le départ de la propriétaire du "6-6-6", tout ça en 46 pages !
On mesure à quel point Greg, à partir de ce héros incroyable, part de loin et parviendra à le transformer en un personnage extrêmement plus nuancé, que son séjour dans le Wyoming changera définitivement. Néanmoins, au-delà de Red Dust, le scénariste installe déjà des protagonistes inhabituels dans une bande dessinée, avec une femme aux commandes d'un ranch, ou un employé noir affranchi (qui n'apparaît, en outre, jamais comme le quota de la série, et ça, même aujourd'hui, cela reste rare). En fin de compte, la bande de "Triple-6" est une famille recomposée avec la chef (Comanche), le bras droit (Red Dust), le vétéran (Ten-Gallons), et les deux "cousins" (Toby et Clem) : un ensemble attachant, contrasté, aux relations très vives, bref une base très riche.
Des seconds rôles récurrents sont aussi rapidement mis en place comme le conducteur de diligence Sid Bullock, le véto véreux Doc Wetchin. Et d'autres rôles évolueront (comme le shériff de Greenstone Falls) de manière significative.
Avec le tome 2, une autre composante est établie : même si l'époque précise à laquelle se déroule la série n'est jamais mentionnée, on devine que c'est après la guerre de sécession (après 1865) et les guerres indiennes (1868), car dans le Wyoming se trouvent déjà parqués dans des réserves les Cheyennes présents dans Les guerriers du désespoir.
Greg aborde ce sujet avec tact et vigueur à la fois, en évitant de représenter les indiens comme des sauvages sanguinaires. Au contraire, ils sont dépeints comme des gens dépossédés de leurs terres, négligés par l'administration, réduits à la famine : il est impossible de ne pas comprendre le mobile de leur révolte au début de l'histoire ni la raison des tensions entre eux et les blancs. La situation est rendue encore plus complexe par la présence voisine des ouvriers du chemin de fer, qui réclament eux aussi au ranch de Comanche la nourriture promise, quitte à se débarrasser des Cheyennes s'ils leur prennent leur part.
L'histoire est intense, et même si la construction trahit un chapitrage évident, taillé pour la pré-publication hebdomadaire dans le Journal de Tintin, Greg alimente un suspense très efficace, reposant majoritairement sur Red Dust. On y découvrira aussi dans quelles circonstances Cheval-Debout deviendra le nouveau chef de sa tribu, comment son frère Feu-Solitaire ourdira sa vengeance (dans le tome 6, Furie rebelle) et surtout comment Tâche-de-Lune, à la suite d'un drame familial dans le feu de l'action, rejoint la troupe du ranch.
Visuellement, Hermann est encore dans sa période "moite" : son trait, plus rond, et son encrage, plus fluide, n'ont pas encore la tenue qui feront sa renommée et donneront cette identité graphique si particulière à ses propres séries (Jérémiah, Les Tours de Bois-Maury) ou à la fin de ses runs sur Comanche et Bernard Prince.
Ce rendu que je qualifie de "moite" est remarquable par cette impression que tous les personnages semblent évoluer dans un climat chaud (renforcé par des couleurs souvent vives), avec leurs vêtements qui leur collent à la peau. On ne voit pas encore l'usage de croisillons, de hachures, de points, comme Hermann le fera plus tard, à l'instar de Giraud/Moebius et Franz.
Mais le résultat est tout de même fabuleux car lorsqu'il s'agit de situer l'action dans les grands espaces, l'artiste ne connaît pas beaucoup de concurrents. Il sait aussi camper des ambiances, notamment nocturnes, tout à fait intenses. Les décors sont traités avec un soin incroyable (mentions au village indien et au ranch), et les personnages ont déjà une vraie caractérisation (dans leurs expressions, leurs attitudes, leur diversité).
Cela aura été un régal de relire ces épisodes (même si hélas ! le tome 8 n'était plus disponible à la bibliothèque municipale) : western atypique aux héros attachants, abordant des sujets et développant des intrigues avec talent, et supporté par des dessins de première classe, Comanche reste une série incontournable, produite par un tandem d'auteurs à la complémentarité exceptionnelle.
A noter que le scénario de Red Dust est un décalque pour ne pas dire un plagiat de Il était une fois dans l'ouest . Greg était coutumier du fait , pour la série Bernard Prince il plagiera quatre films hollywoodiens .
RépondreSupprimer