mardi 3 mars 2015

Critique 581 : THEODORE POUSSIN, TOMES 4 ; 5 & 6 - SECRETS ; LE TRESOR DU RAJAH BLANC & UN PASSAGER PORTE DISPARU, de Frank Le Gall


THEODORE POUSSIN : SECRETS est le 4ème tome de la série écrite et dessinée par Frank Le Gall, publié en 1990 par Dupuis.
Cette histoire est le premier volet d'un diptyque qui s'achève au tome 5 (Le Trésor du Rajah Blanc).
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THEODORE POUSSIN : LE TRESOR DU RAJAH BLANC est le 5ème tome de la série écrite et dessinée par Frank Le Gall, publié en 1991 par Dupuis.
Cette histoire termine celle du diptyque entamé avec le tome 4 (Secrets).
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Parti de sa ville natale de Dunkerque en 1928 pour retrouver la trace de son oncle, un fameux aventurier présumé mort, le capitaine Steene, Théodore Poussin traverse les mers dangereuses d'Indochine. 
Il a cherché dans le Nord de Bornéo Marie Vérité, la fille du rajah blanc, Sir Laurence Brooke, mais ses investigations n'ont rien donné. Néanmoins il compte être quand même payé pour rentrer en France. Ses espoirs semblent ruinés quand le rajah blanc est arrêté et incarcéré par les hollandais qui veulent mettre la main sur le mythique trésor de Sir Brooke.
Poussin accepte de rendre service à un ami, Martin, en prenant à son bord un couple. Dans la nuit suivant leur départ, après avoir déjoué la surveillance des hollandais, le navire du héros est attaqué par les autorités qui l'ont pris en chasse.
En compagnie de M. Novembre, son étrange protecteur, Poussin et le couple réussissent à leur échapper à bord d'une chaloupe. Ils dérivent, sans vivres ni eau jusqu'à ce qu'ils soient sauvés par le capitaine Georges Town, un pirate anglais qui convoite aussi le trésor du rajah blanc.
Après s'être débarrassés du couple et avoir affronté la mutinerie de son équipage, Town et Poussin échouent sur près des côtes de Macassar. Ils scellent une alliance avec des pillards indigènes pour se partager le pactole. La mission s'annonce à haut risque...

Après trois premiers tomes où Frank Le Gall a défini plutôt laborieusement sa série aussi bien narrativement (en étant aidé par Yann) que graphiquement, ces deux épisodes marquent une nette progression en développant une intrigue palpitante, pleine de personnages hauts en couleurs et de rebondissements. On assiste vraiment à l'établissement du titre qui a trouvé son identité dans ses histoires et son esthétique.

S'il fallait un symbole de cette maturité atteinte, on la situerait avec la première page du tome 5 où M. Novembre, ce charismatique second rôle récurrent du premier cycle des aventures de Théodore Poussin, résume tout le parcours du héros en animant des découpages en ombres chinoises dans quelque taverne fréquentée par des marins. Cette scène est superbement mise en scène, c'est une vraie trouvaille qui rend attractive l'exercice toujours un peu pénible consistant à rappeler les faits déjà produits. Le Gall règle ça rapidement, avec ingéniosité, et avec une adresse visuelle remarquable.

Ce récit en deux parties propose son lot de moments forts : le tome 4 se déroule quasi-entièrement sur l'eau, d'abord à bord du bateau de Poussin, puis dans la chaloupe, enfin sur le "Mouse-traps, Moon & Memory" du capitaine Georges Town. Ce dernier sert de cadre à la fois au curieux échange entre Théodore et son hôte, redoutable pirate qui veut faire rédiger sa biographie afin que le roi d'Angleterre le réhabilite - un projet absurde - puis à la mutinerie de l'équipage, entraînée par M. Novembre - 16 pages intenses qui se terminent par une tempête.

Puis le tome 5 voit l'intrigue se déployer d'une manière encore plus ample, c'est d'ailleurs l'album le plus volumineux de toute la série avec ses 54 planches mais quel sens de l'aventure y déploie Le Gall ! De la rencontre avec les pillards jusqu'à l'arrivée à la forteresse où est détenu le rajah blanc en passant par la traversée de la jungle puis l'assaut de la prison, tout est admirablement construit, maîtrisé, avec des séquences haletantes, aux ambiances soignées, des surprises... On pardonnera au scénariste d'avoir été moins inspiré au moment du dénouement, avec le procès, expédié dans des circonstances trop théâtrales, de Théodore Poussin.

Les dessins sont eux aussi d'un niveau exceptionnel, qu'il s'agisse de la fuite en pleine nuit de la "Marie Vérité", de la tempête qui malmène le "M, M & M", du périple en pleine jungle avec les pillards, de l'attaque de la forteresse. Autant de décors que Le Gall a particulièrement soignés : son trait s'est affirmé, son art des contrastes, ses passages nocturnes sont magnifiques.

Le découpage de plusieurs scènes révèle aussi un artiste désormais en pleine possession de ses moyens, qui se fait visiblement plaisir en représentant des images dignes des meilleurs récits d'aventures.

Les personnages ne manquent pas non plus de caractère et de variété, Le Gall réussissant à incarner des seconds rôles immédiatement mémorables, en particulier M. Novembre et Georges Town, dont le charisme est aussi grandement déterminé par rapport au physique de Poussin, avec sa bouille et ses lunettes rondes, son allure trapue et son look vestimentaire subtilement décalé (il ne départit d'une certaine classe même au fond de la jungle ou après un naufrage).

Un pur régal, qui se prolonge dans le 6ème tome où on assiste à la fin du premier cycle de la série, avec encore quelques coups inattendus mais dans un registre différent.
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THEODORE POUSSIN : UN PASSAGER PORTE DISPARU est le 6ème tome de la série écrite et dessinée par Frank Le Gall, publié en 1992 par Dupuis.
Cette histoire conclut le premier cycle de la série.
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Après avoir sillonné les mers d'Asie, Théodore Poussin est sur la route du retour chez lui, à Dunkerque.
Mais avant de retrouver les siens, il fait une escale à Colombo où se trouve l'énigmatique M. Novembre : entre les deux hommes, aux relations ambiguës, c'est l'heure des explications. Mais chacun a son calendrier.
Théodore pose des questions sur son oncle, Charles Steene, ce marin qu'il était parti chercher en Indochine deux ans auparavant, sans succès, mais sa curiosité gêne tous ses proches. Que lui cachent-ils ?
Novembre resurgit, opportunément, et Poussin va découvrir la vérité sur ses origines, qui remettront tout sa vie en cause...

Avec ce 6ème tome, Frank Le Gall clôt le premier cycle des aventures de son héros. Le ton change radicalement des précédents épisodes avec une atmosphère très intimiste et pesante : si on peut encore parler de voyage, celui-ci est intérieur, Théodore Poussin devinant confusément qu'on lui cache des pans entiers de son passé et voulant découvrir qu'il est réellement.

Même s'il faut souvent se garder de sur-interpréter les intentions d'un auteur en lui prêtant des objectifs qu'on imagine tout seul, de son point de vue de lecteur, il demeure troublant de constater que Le Gall a bouclé le premier cycle de sa série en faisant explorer non plus l'espace (au sens géographique du terme) mais le temps à son héros. Pas n'importe quel temps puisqu'il s'agit de celui de la mémoire, des origines, de la naissance, de la famille. 

Et, partant de ça, le projet devient passionnant quand on sait que Théodore Poussin a été inspiré à Frank Le Gall par un de ses propres aïeux, Théodore-Charles Coq, figurant au dos de chaque album sur une photo d'époque en médaillon. L'auteur et son héros se confondent presque, mais presque seulement car Théodore Poussin est intégré dans le cadre de la fiction, une interprétation romancée.

Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le scénario traduit parfaitement le malaise croissant qui s'empare du héros à mesure qu'il cherche à en savoir plus sur qui il est, d'où il vient, ce que lui cache sa famille et pourquoi. Le suspense est excellemment géré et aboutit à une scène très forte, poignante, tout en restant d'une sobriété impeccable.

Graphiquement, cet épisode tranche évidemment avec les précédents puisqu'on n'évolue plus dans des décors exotiques. Cela ne signifie pas que Le Gall a ménagé ses efforts et ses vues de Dunkerque, ses rues, mais aussi sa plage, ses maisons en bord de mer, sous un ciel gris et lourd, dégage une ambiance envoûtante.

Les personnages demeurent aussi bien campés, et leur air de famille est dépeint avec beaucoup de subtilité, de ce trait à la fois naïf, simple et précis. Le découpage, tout aussi sage mais bien étudié, donne un relief raffiné à cette introspection délicate.

Théodore Poussin trouve ici sa confirmation : celle d'une série qui sait marier le romanesque dans ce qu'il a de plus dépaysant et d'intimiste.   

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