lundi 23 février 2015

Critique 576 : SAGA - VOLUME 4, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples


SAGA : VOLUME 4 rassemble les épisodes 19 à 24 de la série co-créée par Brian K. Vaughan, qui signe le scénario, et Fiona Staples, qui réalise les dessins, publiés en 2013-2014 par Image Comics.
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(Extrait de SAGA #20.
Textes de Brian K. Vaughan, dessins de Fiona Staples.)

Quelque temps a passé depuis que Alana, Marko, Klara (la mère de ce dernier), leur fille Hazel et leur baby-sitter Izabel (sans oublier Friendo, un énorme morse-hippopotame) on quitté la planète Quietus, où ils ont vécu leur précédente aventure. 
Ils semblent avoir retrouvé un peu de tranquillité en s'établissant sur la planète Gardenia, même s'ils résident toujours dans leur arbre-fusée, à l'écart de la ville. Marko s'occupe de sa fille, avec l'aide de sa mère et de la baby-sitter, cachant son visage derrière des bandages lorsqu'il l'emmène au parc pour enfants le plus proche. C'est là qu'il va rencontrer Ginny, une jeune femme dont le mari est souvent absent et qui lui propose de donner des cours de danse à Hazel pour canaliser son énergie.
De son côté, Alana a obtenu un rôle régulier dans un feuilleton télé diffusé dans toute la galaxie via le circuit ouvert, un studio de production où tous les acteurs se droguent grâce à Yuma, une décoratrice-dealeuse. Elle passe cependant inaperçu car elle joue avec un costume dissimulant ses ailes et un masque cachant son visage.
Mais la situation devient orageuse entre Alana et Marko lorsqu'il découvre la toxicomanie de sa compagne et elle sa relation (pourtant platonique) avec Ginny.
Pendant ce temps, le Prince Robot IV a trouvé refuge sur Sextillion, ignorant que son épouse a donné naissance à leur fils avant d'être tuée par un homme de ménage, Dengo, qui a pris la fuite avec le bébé en otage et qui veut que les abus de ses dirigeants soient publiquement dénoncés...

Avec ce quatrième tome, Brian K. Vaughan lance donc la deuxième "saison" de la série qu'il a co-créée : comme on avait pu le remarquer à la fin du précédent volume, en voyant que Hazel, la fille de son couple de héros en fuite, faisait ses premiers pas, un peu de temps s'est écoulé depuis les événements sur Quietus, où eurent lieu diverses confrontations décisives entre les personnages - explication tendue entre Gwendolyn et Marko, mise sur la touche (provisoire) du Prince Robot IV, mort du romancier Oswald Heist... De manière symbolique, ce deuxième acte s'ouvre par une naissance (comme pour le #1), montrée très crûment (d'ailleurs, ce nouveau tome accumule des représentations un chouia racoleuses, peut-être la réponse du scénariste et de sa dessinatrice à la censure dont ils ont fait l'objet sur le site comixology, plateforme de comics en ligne).

Dans ces six nouveaux épisodes, l'action se pose sur la planète Gardenia et se concentre sur l'évolution du couple formé par Marko et Alana : lui assume son rôle de père au foyer tandis qu'elle est recrutée comme actrice dans une série télé minable. Chacun se préserve de la traque dont ils font l'objet en se masquant, lui derrière des bandages sur le visage et des cheveux décolorés, elle grâce à son costume de scène (l'idée est brillante de faire d'Alana une actrice, donc forcément exposée, mais finalement méconnaissable grâce à son accoutrement).

Ces masques ne vont pas dissimuler bien longtemps la crise qui va toucher les amants quand Marko rencontre Ginny, une belle jeune femme dont le mari est souvent absent et qui loue ses services de professeur de danse. Même si le jeune homme ne commettra pas d'infidélité, il trouve ici un reflet cruel de sa situation personnelle lorsque Alana lui fait remarquer que c'est elle qui nourrit leur famille. Alana est en vérité bien plus responsable du mal qui va toucher son couple quand elle accepte de consommer la drogue que deale la décoratrice Yuma, d'abord pour supporter la médiocrité de ses conditions de travail et du rôle qu'elle interprète dans la série, puis, comme elle l'avoue à sa nurse Izabel, pour tenter d'oublier les cauchemars qu'elle fait depuis son séjour dans l'armée (un traumatisme qu'elle n'avait jamais évoqué jusqu'alors) et la tension permanente suscitée par le fait d'être toujours en cavale et sur le point d'être à nouveau traquée.

En posant ainsi ses héros, et en utilisant les seconds rôles dans leur entourage proche (Klara, la mère de Marko, qui essaie de faire son deuil d'Oswald Heist en lisant ses livres alors qu'elle ne supporte pas leur contenu mièvre et pacifiste ; Izabel, la baby-sitter, qui va pour la première fois se livrer sur sa mort et la relation amoureuse qu'elle vivait avant de sauter sur une mine), Vaughan en profite pour mettre à jour leurs failles, leurs doutes, leur épuisement moral et physique. Jusqu'à présent ils étaient en fuite, n'ayant jamais eu le temps de se reposer, se réfléchir : en s'établissant sur Gardenia, ils en ont l'occasion et le bilan qu'ils dressent est douloureux. Un geste impulsif, quoique inoffensif, suffira à faire voler en éclats la famille - et à relancer l'intrigue.

En parallèle, Vaughan n'oublie pas les autres acteurs de sa fresque romantico-fantastique : une large part est consacrée aux errances du Prince Robot IV, qu'on avait quitté bien amoché et qu'on retrouve en pleine débauche sur Sextillion. La révolte sanglante et désespéré de Dengo, un de ses concitoyens, issu d'un milieu pauvre, et touché par un drame personnel poignant, va provoquer un basculement étonnant à cette partie de la série, avec une succession de morts violentes, un enlèvement, et une fuite en avant délirante - là encore promise à des développements futurs prometteurs.
Gwendolyn, le Lying Cat et Sophie, mais aussi The Brand (la soeur de The Will) reviennent aussi dans le champ narratif, de manière percutante.

Fiona Staples est, depuis le lancement de la série, un de ses indéniables atouts et sa prestation sur ces épisodes ne dépareille pas avec ce qu'elle a déjà produit. Comme ne manque jamais de le rappeler son scénariste, sa contribution pour apporter cette merveilleuse étrangeté à Saga est essentielle.

Encore une fois, son imagination débordante pour créer des personnages au physique insensé mais parfois aussi au charme surprenant (à l'image de Ginny) et son travail sur les couleurs, avec des camaïeux superbes, des textures très étudiées (notamment dans le traitement des décors toujours floutées, ce qui brouille la frontière entre bizarrerie, rêve et réalité), sont remarquables.

L'intensité et la singularité de sa démarche esthétique est d'autant plus frappante qu'elles s'effectuent dans le cadre d'un découpage toujours aussi simple (une moyenne de cinq plans par page, ponctuée par trois plash-pages par épisodes, et au moins une double page par "story-arc") : le contraste est saisissant mais surtout le rythme de lecture est toujours très soutenu, ce qui fait de la série un redoutable "page-turner". 

Ce 4ème volume de Saga ne déçoit pas : on est désormais si attaché à ses héros, si happé par les péripéties qu'ils traversent, si séduit par la subtilité avec laquelle l'histoire est écrite et ébloui par le graphisme atypique de la mise en images, qu'on voit mal comment on pourrait décrocher.

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