vendredi 9 janvier 2015

Critique 552 : THE MULTIVERSITY - THUNDERWORLD ADVENTURES #1 : CAPTAIN MARVEL AND THE DAY THAT NEVER WAS !, de Grant Morrison et Cameron Stewart


THE MULTIVERSITY - THUNDERWORLD ADVENTURES #1 : CAPTAIN MARVEL AND THE DAY THAT NEVER WAS est un récit complet, écrit par Grant Morrison et dessiné par Cameron Stewart, publié en Décembre 2014 par DC Comics.
Cet épisode fait partie d'une mini-série en huit numéros, THE MULTIVERSITY, mais peut se lire sans avoir connaissance des chapitres précédents (tout en développant une intrigue globale).
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(Extraits de THE MULTIVERSITY :
THUNDERWORLD ADVENTURES #1.
Textes de Grant Morrison, dessins de Cameron Stewart.)

Méditant dans le rocher de l'éternité, le sorcier Shazam s'aperçoit d'une anomalie temporelle avec l'apparition incongrue d'un huitième jour, le Sivanaday. C'est alors que le sanctuaire est harponné par une structure de même forme que le sien mais beaucoup plus grand et entièrement composée de technologie : le rocher de la science construit par le docteur Thaddeus Bodog Sivana.
Cette attaque, le savant fou a pu la mener en remontant jusqu'à la source du pouvoir de son ennemi juré, Captain Marvel, dont il teste le duplication de ses capacités extraordinaires sur ses trois enfants (ses deux fils et sa fille).
Mais les actes de Sivana ont aussi des conséquences sur la vie à Fawcett City où une faille temporelle a fait surgir des créatures de toutes les époques partout. Le jeune Billy Batson couvre les événements en direct pour Whiz TV lorsqu'une projection de lui-même en provenance du futur le met en garde contre le péril mortel que lui et son alter ego, Captain Marvel, courent en ce jour. 
Le super-protecteur de la ville affronte, d'abord seul puis avec l'aide de ses amis Captain Marvel Jr, Mary Marvel et les lieutenants Marvel, les enfants transformés de Sivana, la Société des Monstres, puis le savant fou lui-même, également métamorphosé après avoir retiré au sorcier Shazam son bâton magique.
Reste à comprendre comment Sivana a pu concevoir un plan pareil et son inspiration provient d'un support surprenant...

The Multiversity est un projet qui avait jusqu'en 2014 tout d'une Arlésienne des comics. Annoncé dès 2009 par son scénariste Grant Morrison, l'entreprise affichait une ambition séduisante, comparable à ce que l'auteur avait déjà conçu avec Seven Soldiers of Victory, et la liste de ses partenaires (parmi laquelle on trouvait déjà ses fidèles Frank Quitely et Cameron Stewart) pour la dessiner faisait rêver.

Entretemps, en 2011, la refonte complète de la gamme des comics DC faisait craindre le pire sur le sort de The Multiversity, mais contre toute attente, et malgré des reports encore fréquents sur ses dates de parution, l'affaire était toujours en cours, quelques planches apparaissant de temps en temps comme pour ne le rappeler.

L'idée de Morrison était à la fois de revisiter quelques-unes des terres parallèles de l'univers DC en utilisant ses personnages iconiques dans leur version d'origine (c'est-à-dire avec leurs origines et apparences d'avant le reboot), de les insérer dans une intrigue globale tout en proposant chacun des huit épisodes comme des one-shots, et d'explorer son thème favori (pour chaque monde visité, les autres sont des fictions lisibles dans des comics).

Pour ce cinquième chapitre, c'est donc sur la Terre-5 (sur les 52 que comptent que le DC-verse), autrefois aussi connue comme la Terre-S, que se déroule l'action : il s'agit du monde du super-héros Captain Marvel (rebaptisé Shazam depuis les années 70 car le nom de Captain Marvel est devenu la propriété de Marvel Comics, qui a ainsi appelé plusieurs personnages successifs).

Dans le n° 82 du magazine "Comic Box" (Mai/Juin 2013), j'ai pu en apprendre davantage sur ce personnage à la silhouette familière pour beaucoup de lecteurs de comics mais à l'histoire incroyablement riche et complexe.
On l'a oublié aujourd'hui mais ce personnage, dont les aventures débutèrent en 1940 dans "Whiz Comics #2", fut aussi populaire, voire plus, que Superman à l'époque. L'année d'avant, Bill Parker, un scénariste travaillant pour Wilford Fawcett, qui est rapidement devenu un éditeur richissime en vendant des magazines récréatifs, reçoit pour mission de créer un super-héros pour surfer sur la popularité de Superman, apparu en 1938. Il imagine d'abord une équipe de surhommes (ce qui aurait été la première du genre, la Justice Society of America de DC n'ayant pas encore été créée) mais doit revoir sa copie, jugée trop audacieuse. 
Qu'à cela ne tienne ! Parker opère une synthèse de son groupe de héros pour en attribuer tous les pouvoirs à un seul homme qu'il nomme d'abord Captain Thunder pour un mensuel titré "Flash Comics". Mais une revue identiquement baptisée avec le héros super-rapide Flash est déjà commercialisée par DC. 

L'idée de génie de Parker ne sera pas cependant d'avoir inventé un nouveau champion ni de lui avoir donné un nouveau pseudonyme en devenant Captain Marvel, mais bien de lui avoir créé un alter ego tout à fait inédit en la personne de l'adolescent orphelin Billy Batson. Non seulement, ainsi, il offre aux jeunes lecteurs un prolongement d'eux-même mais surtout il en fait une parabole de ce qu'il aimerait être, un homme - mieux : un homme avec les attributs d'un surhomme mais avec l'âme d'un enfant. Une prodigieuse synthèse.

Mais la carrière de Captain Marvel sera chaotique, malgré son énorme succès jusqu'au début des années 50. DC gagne alors une procédure judiciaire de longue date visant à établir que le personnage plagie Superman. Fawcett Comics rend les armes de guerre lasse, au moment où les ventes des publications autour de son héros emblématique (qui a généré à lui seul tout un petit univers, avec les additions de Captain Marvel Jr, Mary Marvel, les lieutenants Marvel, des méchants Dr Sivana, Black Adam, la Société des Monstres) se sont tassées.

DC exploitera mal Captain Marvel, au point que Marvel s'en appropriera le nom, et la cantonnant souvent dans un rôle de concurrent à Superman. Différents scénaristes, pourtant prestigieux, tenteront, en vain, de l'écrire soit en respectant sa formule d'origine (en s'associant à C.C. Beck, le dessinateur historique du personnage), soit en la modernisant. Jerry Ordway, seul, s'en emparera avec bonheur, d'abord pour un graphic novel puis une série régulière, tous deux intitulés Power of Shazam. Mais par la suite, l'éditeur fera tout et n'importe quoi avec Captain Marvel/Shazam (Billy Batson & the Power of Shazam, Kingdom Come, pour le meilleur ; mais aussi en faisant de Mary Marvel une gourde puis une perverse, de Captain Marvel le nouveau sorcier résidant dans le rocher de l'éternité, Captain Marvel Jr le nouveau champion du monde de la magie, pour le pire). Récemment, Geoff Johns a établi sa version de Shazam dans le cadre du "New 52", suggérant qu'il voulait en faire un membre éminent de la Justice League.

Grant Morrison, lui, a voulu revenir aux sources du personnage, en lui rendant son nom d'origine, et en le mettant en scène dans son propre monde de la Terre-5. Il a voulu renouer aussi avec l'esprit des débuts du héros, celui de Bill Parker et CC Beck, une tonalité plus légère, naïve même, dans une aventure débridée, qui correspondrait avec ses thèmes fétiches, comme l'influence des comics sur la réalité.

L'histoire de Thunderworld Adventures #1 : Captain Marvel and the day that never was est délirante à souhait et mixe avec virtuosité le divertissement le plus simple et le plus efficace, avec son lot de combats spectaculaires, de rebondissements sensationnels, de méchants hauts en couleurs, avec une densité narrative étonnante. Certes, ce fascicule compte 40 pages de bande dessinée, ce qui le rapproche davantage d'un Annual, mais la relation se déroule sur un rythme tellement soutenu qu'on tourne les pages sans jamais s'ennuyer. 

Morrison convoque aussi un casting abondant, avec dans les seconds rôles Mary Marvel, Freddie Freeman/Captain Marvel Jr, les trois enfants du Dr Sivana, les lieutenants Marvel, la Société des Monstres - ne manque à l'appel que Black Adam (mais le récit n'offre aucune entrée possible pour que sa présence soit justifiable). Tout cela s'intègre dans le cadre élargi de la saga The Multiversity et des évocations des mondes parallèles (via les comics), des versions multiples de Sivana issues de ces univers alternatifs, sans que jamais le lecteur ne soit submergé par cette masse d'éléments. Au contraire, la fluidité de la narration est admirable et on termine la lecture de l'épisode avec le même sourire affiché par les héros : Thunderworld Adventures, à l'image de Captain Marvel, effectue une synthèse miraculeuse à sa façon en donnant le meilleur d'un comic-book old school et d'une production moderne, avec une méta-textualisation qui indique qu'on a bien là un ouvrage qui réfléchit sur le genre auquel il appartient, à l'histoire de son héros.

Les dessins sont, eux, l'oeuvre de Cameron Stewart, un acolyte habitué aux scripts si spéciaux de Morrison (ils ont collaboré sur les séries Batman & Robin, 7 Soldiers of Victory, Seaguy). Cet artiste a une carrière atypique qui l'a vu alterner des prestations sur des productions indépendantes (comme son propre roman graphique Sin Titulo) et d'autres "mainstream" (comme ses épisodes de Catwoman, écrits par Ed Brubaker).

Stewart possède un style en constante évolution, qui lui permet de s'adapter à tous les projets, et il a voulu à la fois rendre hommage au style de CC Beck tout en insufflant à ses pages une énergie contemporaine, un trait moins rond, plus nerveux. Cette option est payante puisqu'elle traduit visuellement à la perfection un monde et des personnages qui dégagent à la fois une fraîcheur et une étrangeté décalée tout à fait uniques.

Qu'il s'agisse d'animer le savant fou monologuant avec emphase qu'est Sivana, ses trois enfants en proie à divers complexes, Billy Batson dont la ressource principale est l'ingéniosité, Captain Marvel et la figure d'héroïsme immaculée qu'il représente, Stewart sait toujours faire preuve d'intelligence pour les représenter, leur donner des attitudes, des expressions, bonifiant le script. 

Le découpage alterne des pages très fournies avec des cases de dimensions variables et d'autres où la mise en scène s'adapte au spectacle pur, merveilleux, grandiose (le harponnage du rocher de l'éternité, l'apparition de la Société des Monstres, le retour de Captain Marvel dans la rame de métro qui mène directement au repaire de Shazam : autant de morceaux de bravoure mais cadrés avec justesse).

Il faut aussi mentionner la superbe colorisation, très nuancée, de Nathan Fairbairn, dont l'apport est déterminant dans la compréhension même de la clé du plan de Sivana.

La lecture de Thunderworld Adventures a une vertu revigorante : c'est un "feel-good comic", fabuleusement réalisée, un divertissement haut de gamme - 40 pages jubilatoires !

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