lundi 18 août 2014

Critique 495 : TEXAS COWBOYS, TOME 2, de Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme


TEXAS COWBOYS, TOME 2 rassemble les épisodes 10 à 18 de la série, écrits par Lewis Trondheim et dessinés par Matthieu Bonhomme, publié en 2014 par Dupuis.
Il est préférable d'avoir lu le tome 1, rassemblant les 9 premiers épisodes, auparavant.
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 (Extrait de Texas Cowboys  #10.
Texte de Lewis Trondheim, dessins de Matthieu Bonhomme.)

Le journaliste Harvey Drinkwater quitte à nouveau Boston pour regagner le Texas où son ami Ivy Forest le demande. Devinant que des ennuis l'attendent, le jeune homme se prépare à un retour agité, et il a raison puisque Frank Jackson et d'autres anciens acolytes du bandit Sam Bass tiennent en otages le frère et les deux soeurs de Forest afin de piéger et faire payer Drinkwater, tenu pour responsable de la mort du chef de gang.
Mais à Fort Worth, d'autres personnages assurent le spectacle et alimentent des intrigues, comme Butch La Framboise (un bagarreur aussi provocateur qu'invincible), Ricky Philips (le nouveau shériff qui en veut aussi à Drinkwater depuis l'assassinat de son beau-père), Jim Courtright (le marshall qui tient en respect toute la région), Mrs Cooper (la propriétaire d'un troupeau qui doit négocier avec un nouvel acheteur de bétail), Jossam et Sophia Carpenter (le contremaître de Mrs Cooper qui refuse que sa fille épouse un cowboy), et même Wyatt Earp et ses frères (qui viennent de pacifier OK Corral).
Tout ce beau monde va se croiser sur fond de règlements de comptes, de chasse au trésor, de romance, de match de boxe anglaise : de quoi fournir de nombreuses idées d'articles pour Harvey Drinkwater, s'il survit au voyage...
 
2 ans après avoir produit les neuf premiers épisodes de leur western, le duo formé par le prolifique Lewis Trondheim et le talentueux Matthieu Bonhomme remet ça. Ce nouveau volume de Texas Cowboys a été prépublié dans le supplément pour les abonnés de Spirou depuis l'automne 2013, et il est préférable d'avoir lu les précédents chapitres pour apprécier cette suite.

Ceux qui, comme moi, avaient aimé le premier tome ne seront pas déçus par celui-ci. On y retrouve les ingrédients principaux qui firent le nectar de l'album original avec une lecture à la fois respectueuse et subtilement décalée des codes du western.
La première singularité du projet tient dans le fait que le héros est non pas un cowboy traditionnel, un aventurier, un pistolero, un soldat ou un outlaw, mais un journaliste qui cherche d'abord au Texas de la matière pour ses articles. Après un premier voyage au cours duquel il a dû s'adapter à ces contrées hostiles, il y retourne aguerri et sachant qu'il devra en découdre avec des individus qui ont de sérieux contentieux avec lui (d'un côté, un ancien lieutenant de Sam Bass, bandit de grand chemin dont il avait infiltré le gang ; et de l'autre, Ricky Philips, le nouveau shériff de Fort Worth qui a juré de lui faire payer la mort de son prédécesseur et beau-père). Le personnage a donc évolué, ce n'est plus un pied-tendre mais cela ne lui enlève en rien son charme.
Toujours flanqué d'Ivy Forest, Harvey Drinkwater va rencontrer d'autres figures locales, qui, chacune, vivent leur propre histoire. Trondheim démontre son talent pour créer et animer des seconds rôles immédiatement mémorables et contrastés, favorisant des personnalités truculentes ou étranges mais toujours charismatiques. Le scénariste sait donner à cette galerie un relief jubilatoire, n'hésitant pas à faire bifurquer le récit dans des aventures annexes pleines d'imagination. L'exemple le plus notable est celui de Thomas Woodham, un ancien soldat sudiste qui est manchot et qui, contre un verre, raconte comment il a perdu son bras, mais en changeant à chaque fois de version (sur un champ de bataille, lors d'une fusillade en ville, en poursuivant l'amant de sa femme, en étant piégé dans une mine par des indiens...).
Mais Trondheim invente aussi dans ces nouveaux épisodes un personnage ahurissant qui vole la vedette au duo Drinkwater-Forest : il s'agit de Butch La Framboise, dont le nom suffit déjà à indiquer le caractère exceptionnel. Cherchant en permanence la bagarre, c'est un colosse redoutable, absolument imprévisible et invincible, qui menace d'abord Drinkwater avant de devenir son complice. La fin du 18ème chapitre annonce que si Texas Cowboys connaît un troisième volume, il faudra compter avec lui (ce qui annonce de nouveaux grands moments humoristiques).
Auparavant, la série souffrait toutefois de son peu de personnages féminins, même si Betsy Marone était remarquable. Cette fois, Trondheim a rectifié le tir en donnant deux beaux rôles au beau sexe. D'un côté, il y a  Sophia Carpenter, une jeune femme dont le père contremaître s'oppose à ce qu'elle soit courtisée par des cowboys. De l'autre, il y a la charismatique Mrs Cooper, une femme à poigne, qu'on jurerait inspirée par Joan Crawford (Johnny Guitar), belle et affranchie. 
Enfin, en arrière-plan, le scénariste s'amuse à caser Wyatt Earp et ses frères, ce qui inscrit son récit dans la véritable histoire du western (comme ce fut le cas dans les ultimes tomes de Blueberry, écrits et dessinés par Jean Giraud, avec la trilogie Mr Blueberry-Ombres sur Tombstones-Dust). Trondheim n'en abuse pas, estimant sans doute (mais avec raison) que jouer avec la légende du far-west nécessite qu'on la tienne à distance pour lui conserver sa saveur.
La narration est à la fois fluide et complexe, jouant sur des retours en arrière, la relation d'une même scène selon différents points de vue, jonglant avec un casting abondant, mais comme pour le premier tome, celui-ci reste toujours limpide et cette structure sophistiquée ajoute en fait au plaisir de la lecture.

Au dessin, Matthieu Bonhomme retrouve donc pour la troisième fois Lewis Trondheim (après leur récit complet fantastique Omni-visibilis et le premier Texas Cowboys). 
Cet artiste, qui est lui-même également un auteur complet (avec sa série Esteban) et qui a déjà exploré des genres très variés (la fable initiatique avec Messire Guillaume : L'esprit perdu, le polar médiéval avec Le Marquis d'Anaon), a expliqué s'être engagé dans cette suite en sollicitant quelques défis à son scénariste (notamment des scènes plus violentes). De fait, il a l'occasion d'imaginer visuellement certains passages gratinés (principalement lors des confessions de Thomas Woodham) et s'en acquitte avec brio mais sans complaisance.
Pour illustrer cette histoire, Bonhomme a la bonne idée d'appliquer un découpage très simple, à base de "gaufriers" de six cases, un procédé qu'il ponctue parfois avec une ou deux bandes complètes, voire exceptionnellement lors d'un chapitre par un plan large occupant l'espace de deux bandes. Cet exercice impose à celui qui s'y prête une grande rigueur dans la construction de la planche elle-même et la composition des plans à l'intérieur d'un cadre toujours égal, et le dessinateur maîtrise parfaitement son sujet sur ce point.
Un autre des nombreux talents de Bonhomme est son sens des ambiances, avec des ombres portées superbement traitées, mais aussi une colorisation volontairement sommaire (avec une palette réduite à six-sept couleurs principales). Ce dernier point souligne l'aspect propre des "dime novels" dont se réclame Texas Cowboys, ces fascicules bon marché imprimés sur du papier de mauvaise qualité, comme pourraient l'être les récits écrits par Harvey Drinkwater.
Tous les personnages sont dotés de gueules extraordinaires, des trognes inoubliables et inspirées pour les hommes, mais aussi de superbes créatures féminines avec de l'allure et du charme. C'est vraiment remarquable.

Si vous n'avez pas pu dégoter les suppléments dans Spirou, rassurez-vous, vous n'attendrez pas longtemps pour lire le recueil de ces 9 nouveaux épisodes qui sera disponible dès le 29 Août prochain. Ne passez pas à côté (et profitez-en pour vous procurer le tome 1 si ce n'est déjà fait, d'ici là).
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Et, pour la bonne bouche, ci-dessous les couvertures des 9 épisodes :     
 
 
 
 
 
 
 
 

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