jeudi 14 août 2014

Critique 492 : JOHAN ET PIRLOUIT, TOME 13 - LE SORTILEGE DE MALTROCHU, de Peyo


JOHAN ET PIRLOUIT : LE SORTILEGE DE MALTROCHU est le 13ème tome (et la 20ème histoire) de la série, écrit et dessiné par Peyo, publié en 1970 par Dupuis.
C'est également le dernier album de la série entièrement réalisé par Peyo.
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Geneviève de Boisjoly, la fille du Sire du domaine du même nom, aime le chevalier Thierry qui l'aime aussi et avec lequel elle a projeté de se marier, avec le consentement de son père. Mais le baron de Maltrochu convoite aussi la belle demoiselle et, à travers elle, sa dot, le territoire tout entier. Avec l'aide d'un alchimiste, il acquiert une potion magique qu'il réussit à faire boire à Thierry lors d'un festin et qui le transforme en chien.
Le chevalier ainsi transformé est trouvé par Pirlouit et Johan lors d'une chasse menée par le Roi. Le lutin a juré que l'animal était doué de parole et, dans l'intimité du château du souverain, son ami écuyer en a la preuve. Ainsi mis au courant de l'infortune de Thierry, Johan et Pirlouit décident de l'aider à recouvrer apparence humaine et d'empêcher les noces de Maltrochu avec Geneviève.
Mais pour cela, il faut trouver un antidote et déjouer la méfiance du vilain noble tout en arrivant avant que le mariage soit célébré : beaucoup d'obstacles à surmonter pour les héros pour qui l'aide de l'enchanteur Homnibus et du Grand Schtroumpf ne sera pas de trop !

Pour ses adieux à la série qu'il avait créée (et qui continuera avec d'autres auteurs, mais sans qu'il en soit toujours satisfait), Peyo réussit magistralement sa sortie avec cette histoire de 60 planches riche en rebondissements et graphiquement superbe.

Dès la première page, on est plongé dans un univers de conte avec la présentation des protagonistes, de leur situation (l'amour contrarié de Geneviève et Thierry à cause des manigances de Maltrochu), et Peyo ne perd pas de temps pour relier les évènements de ce prologue aux héros de la série. Le surnaturel est convoqué avec l'usage de l'alchimie grâce à laquelle le méchant écarte son rival mais aussi dont Pirlouit apprend les rudiments (de manière maladroite et donc humoristique, en changeant la couronne en or du Roi en plomb). Plus tard, l'enchanteur Homnibus puis le Grand Schtroumpf interviennent aussi de manière décisive dans la résolution de l'intrigue.
 
On peut ainsi constater que Peyo manie un casting abondant entre le duo de héros (Johan et Pirlouit), le Roi, le Sire de Boisjoly et sa fille Geneviève, le chevalier Thierry, le baron de Maltrochu, l'alchimiste, l'enchanteur Homnibus, les Schtroumpfs, et Bertrand (avec une petite armée amie du chevalier). Tous ces personnages sont utilisés de façon importante, en faisant toujours avancer le récit, en étant solidement caractérisé, en ayant des interactions très dynamiques, ce qui démontre une écriture très maîtrisée et dense, avec un rythme de narration soutenu. C'est de la grande aventure, au sein de laquelle se glissent des séquences humoristiques, de belles batailles, des cavalcades, et où défilent donc beaucoup de décors (châteaux, tavernes, baraques de sorciers, forêts...).
 
On ne le mentionne que rarement, et pourtant c'est un élément important, mais le lettrage de l'histoire est magnifique : comme je l'avais mentionné dans ma critique (n°490) du tome 7 (La Flèche noire), Peyo se chargeait de cette tâche et employait une police de caractère en minuscule pour faciliter la lecture des plus jeunes lecteurs. Il soigne aussi son oeuvre en typographiant le prologue à la manière gothique (voir planche ci-dessus), et voyez comme il souligne ses effets sonores en exagérant la taille des lettres à certains moments, ou en s'amusant avec le langage des Schtroumpfs pour créer des gags savoureux (page 52, quand Pirlouit cherche à instruire des chevaliers et qu'il se fait corriger par une des créatures bleues : "Mais alors si je schtroumpfe au schtroumpf ou je schtroumpfe au schtroumpf, ce n'est pas la même chose ? - Absolument pas !").
 
Visuellement, l'album est merveilleux. Le découpage est d'une fluidité imparable, avec des plans splendides (le château de Maltrochu fournit des scènes aux ambiances puissantes, et cadré en plongée page 53, donne une image saisissante). Le plus épatant, quand on se replonge dans ces "vieilles bédés", c'est de voir comment en quatre bandes et une dizaine de plans en moyenne par page, les artistes de l'époque réussissaient à non seulement animer leurs planches comme des séquences propres mais aussi à les enchaîner avec une intensité rare, et cela sans abuser de décadrages, de valeur de plans, d'angles de vue. Tout était toujours montré à la bonne distance, très simplement - même si cette simplicité et cette justesse étaient bien entendu l'aboutissement d'un long travail sur la bonne manière de raconter en images un récit.
Franquin avait raison en affirmant que Peyo composait ses pages admirablement, en sachant à la fois ménager et stimuler le regard du lecteur. Son dessin est d'une grande beauté, avec ses rondeurs élégantes, la disposition de ses vignettes, le tout toujours au service de l'histoire.
Il est bien dommage que, suite à des problèmes de santé, un manque de motivation et la charge de travail que lui réclamait les Schtroumpfs (dont le succès allait de toute façon décider d'abandonner Johan et Pirlouit), il se soit arrêté là, quand il était au sommet de son art, en pleine possession de ses moyens, animant à la perfection son tandem de héros.
 
Ce sortilège opère encore pleinement sur le lecteur et cet album est un épilogue épatant de son créateur à ses créatures.  

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