dimanche 3 août 2014

Critique 488 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 22 - MATHIAS, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : MATHIAS est le 22ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2011 par Dupuis.
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L'aide de Jérôme est sollicitée par sa voisine, Mme Zelda, inquiète de ne plus avoir de nouvelles de son amie Mireille Rousseau. Le détective se rend chez la vieille dame qu'il trouve sans connaissance après une chute dans son escalier. Mais alors qu'il téléphone aux secours, le GIGN surgit et l'embarque !
Pris pour un cambrioleur, Jérôme apprend par l'officier de gendarmerie Maujean que Mireille est la mère de Mathias Rousseau, ancien ennemi public n°1 connu pour ses audacieux braquages, qui vient de s'évader avec la complicité supposée de son fils, Louis-Antoine.
Relâché, Jérôme accepte, à la demande de Mme Zelda et de son amie Mireille, d'enquêter pour retrouver Louis-Antoine. Mais le détective est bientôt kidnappé par un couple, convaincu qu'il est le fils de Mathias et qu'il saurait où ce dernier a planqué son butin...

Mieux vaut tard que jamais puisque, après 26 ans de parution, Alain Dodier était enfin récompensé à Angoulême pour ce 22ème album du prix "Fauve de la meilleure série" ! Cette distinction tardive n'est pas imméritée si l'on en juge par la qualité constante du titre, même si Mathias n'est peut-être pas son meilleur épisode.

L'intrigue imaginée par Dodier est assez curieuse dans son développement : tout commence d'une façon assez coutumière avec une mission donnée à Jérôme par Mme Zelda, mission apparemment inoffensive. Puis le récit connaît un premier rebondissement étonnant avec l'intervention du GIGN qui relie l'affaire du héros à la séquence ouvrant l'histoire, montrant la cavale de Mathias avec l'aide de son fils. Mais, somme toute, ce n'est pas la première fois que Jérôme Bloche se trouve entraîné dans quelque chose dont il n'avait pas conscience au départ et qui dépasse ses compétences.

Le déroulement de l'action connaît un deuxième saut en avant quand Jérôme est enlevé par le couple de complices de Mathias : là, Dodier fait ostensiblement référence à un ressort policier - prendre quelqu'un pour un autre. Mais ce qui étonne encore davantage, c'est l'insistance avec laquelle l'auteur va prendre un malin plaisir à malmener physiquement son héros pendant tout cet album.

Jérôme est plaqué au sol, menotté, embarqué sans ménagement par les forces de l'ordre, assommé, ligoté, tabassé par les malfrats, renversé par leur voiture, à nouveau assommé par une branche d'arbre, passe deux nuits en cellule durant deux gardes à vue, est étranglé, puis ciblé par deux pistolets, avant de se jeter du haut d'un pont dont il se tire miraculeusement avec une entorse au genou... 
Jamais le détective n'aura autant morflé que dans cet épisode et je me demande si Dodier n'a pas voulu autant éprouver le lecteur que son personnage avec cette succession de cascades, comme pour nous rappeler que Jérôme est un héros vulnérable, susceptible à tout moment d'y rester.

Malicieusement, et même si elle apparaît (hélas !) très peu dans cet album, Babette boude un peu et aspire de façon explicite à une existence plus reposante alors qu'elle est obligée d'aller récupérer son fiancé au commissariat après un retour de Guadeloupe, sans avoir pu compenser le décalage horaire. Dodier glisse un dialogue amusant à la toute fin quand la jeune femme suggère à Jérôme ce qui pourrait lui faire plus plaisir que des vacances et qui rime avec voyage (et Jérôme de réfléchir : "Ménage, repassage, nettoyage... Engrenage... Cabossage, tabassage... Heu, matraquage...". C'est pas demain la veille que la jolie Babette va se marier avec cet étourdi et fonder une famille en renonçant aux vols long courrier...).

Le petit souci de cette histoire réside moins dans l'efficacité de Dodier à la narrer (on ne s'ennuie jamais tout au long de ces 54 planches) que dans certains procédés qu'il emploie et qui nuisent un peu à la fluidité de l'ensemble, avec de gros pavés de texte inhabituels (page 40) ou des explications laborieuses (pages 52, 53 et 54). C'est comme si, cette fois-ci, l'auteur n'était pas parvenu à résumer aussi habilement que d'habitude les tenants et aboutissants de son histoire, la dernière page apportant encore d'ultimes révélations.

En revanche, les dessins sont toujours aussi excellents : l'encrage, en particulier, est un des meilleurs produits par l'artiste récemment, son trait a atteint une finesse nouvelle (peut-être dû à l'emploi d'un nouveau matériel), mais le rendu est superbe.
Avec intelligence, il a aussi su adapter ce scénario un peu inégal par un découpage très simple, recourant abondamment aux "gaufriers" de huit à dix cases, ce qui donne à la lecture une impression de facilité que l'intrigue n'atteint pas. Ce type de quadrillage dit conventionnel permet de mettre en valeur la régularité du dispositif narratif et au lecteur d'apprécier au maximum les expressions et attitudes des personnages, leur placement dans l'espace : rien ne vient alors distraire ce sur quoi le dessinateur veut mettre l'accent, et dans ce jeu, Dodier est devenu un maître, appliquant ce dispositif souvent usité dans la bande dessinée humoristique (car découlant des comic strips) à ses histoires plus réalistes.
Les décors principaux, dans lesquels les personnages font des allers-retours (comme le commissariat, l'hôpital, la ferme), sont comme d'habitude traités avec un soin particulier, là aussi sans en faire trop mais juste assez pour leur donner la force qu'ils nécessitent.

Un épisode en demi-teintes donc, mais cependant agréable. Même moyen, un album de JKJB reste un plaisir de lecture auquel il est difficile de résister, et qui ne peut donner envie au lecteur fidèle de douter de son auteur.  

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