mardi 17 juin 2014

Critique 467 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 19 - PANADE A CHAMPIGNAC & BRAVO LES BROTHERS, de Franquin (avec Peyo, Gos et Jidéhem)


SPIROU ET FANTASIO : PANADE A CHAMPIGNAC & BRAVO LES BROTHERS est le 19ème tome de la série, écrit par Franquin avec Gos et Peyo (pour la première histoire) et dessiné par Franquin avec l'aide Jidéhem pour les décors (pour la première histoire), publié par Dupuis en 1969.
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 (Extrait de Panade à Champignac.
Textes de Franquin, Gos et Peyo, dessins de Franquin et Jidéhem.)

- Panade à Champignac (36 pages). Pour changer les idées à Fantasio, en pleine crise de surmenage à la rédaction du "Journal de Spirou", Spirou l'emmène rendre visite au Comte de Champignac, qu'ils n'ont pas vu depuis longtemps. A leur arrivée au château du savant, il le trouve épuisé, et pour cause : il doit s'occuper de Zorglub qui, victime de sa zorglonde, a régressé au point de se conduire comme un nourrisson !
Pour soulager le Comte et lui permettre d'accélérer ses recherches pour guérir Zorglub, Spirou et Fantasio acceptent de jouer les baby-sitters. Mais, dans l'ombre, un ancien soldat de leur adversaire, Otto Paparapap, se prépare à récupérer son chef qu'il croit retenu contre son gré...

(Extrait de Bravo les Brothers.
Textes et dessins de Franquin.)

- Bravo les Brothers (21 pages). Gaston Lagaffe offre à Fantasio pour son anniversaire trois singes savants qu'il a achetés à un cirque dont le dresseur a été renvoyé par le directeur. Les animaux sèment une pagaille folle dans les bureaux du "Journal de Spirou", bien aidés par Gaston, et malmènent durement les nerfs de Fantasio. Spirou part alors à la recherche du dresseur...
 
Trois ans après la publication chaotique de QRN sur Bretzelburg, André Franquin entame la réalisation de son 19ème tome des Aventures de Spirou et Fantasio en s'estimant à nouveau prêt. Il déchante vite en affrontant une nouvelle crise d'inspiration que sa déprime persistante aggrave. Se confiant à son ami et collègue Peyo (alias Pierre Culliford, le papa de Johan et Pirlouit et des Schtroumpfs, qu'il a commencé à côtoyer lors de son apprentissage au studio Gillain à la fin des années 40), ils conviennent d'un marché : Peyo, avec son assistant Gos (alias Roland Goosens, qui a travaillé sur les Schtroumpfs et dessiné quelques Gil Jourdan), aide Franquin à développer son histoire et réciproquement.

Je vais être direct : je n'ai pas une grande affection pour cet album, le dernier du run de Franquin sur la série. Pourtant, l'auteur en était très content, malgré sa conception difficile, il le considère même (dans ses Entretiens avec Numa Sadoul : Et Franquin créa Lagaffe) comme un de ses préférés, surtout graphiquement, un des rares qu'il a plaisir à refeuilleter.
Pour moi, les soucis commencent dès le début de l'histoire avec la présence de Gaston, qui n'en est pas à sa première apparition dans Spirou mais qui symbolise ici la préférence affichée de Franquin - cette préférence ne se discute pas : Gaston est sa création, sa série représente d'une certaine manière le sommet de la carrière de Franquin, et après 23 années consacrées à Spirou, il est légitime que l'auteur se soit lassé du groom. 
Or, tout comme il estimait que ce fut une ânerie de réunir Gaston et le Marsupilami dans le recueil Tembo Tabou (un album assemblé de récits épars par Dupuis, compté comme le 24ème tome de la série et sorti après les 4 premiers épisodes de Fournier), je considère comme une erreur d'avoir voulu intégrer Gaston aux aventures de Spirou, car cela entraîne la série vers la comédie burlesque au détriment de l'aventure humoristique, en dénaturant donc le caractère même.

Dans Panade à Champignac, l'effet n'est pas trop flagrant car Gaston n'apparaît que brièvement au début, mais la suite ne rattrape pas vraiment l'affaire. Déjà dans QRN..., le personnage du tortionnaire Dr Kilikil semblait traduire l'agacement et la volonté de maltraiter les héros (Fantasio en particulier qui était écrit de manière schizophrène en apparaissant à la fois dans les pages de Spirou, en tant que partenaire sympathique du héros, et celles de Gaston, où il était le supérieur hiérarchique de ce dernier mais nettement plus irritable et désagréable). Franquin a décidé ici de pousser le bouchon encore plus loin en montrant d'abord Fantasio au bord du burn-out (comme celui que subit l'auteur) puis le Comte de Champignac comme un vieillard usé par la garde d'un Zorglub ayant régressé intellectuellement comme un bébé. Il y a comme une volonté de casser la série, ses codes, qui est, je trouve malvenu, bêtement méchante, comme si Franquin avait décidé de se passer les nerfs sur des personnages dont il ne voulait plus.

L'histoire proprement dite avait pourtant du potentiel et Franquin révéla son projet initial à Numa Sadoul, une intrigue ambitieuse qui devait courir sur deux tomes mais qu'il a abandonné parce que cela réclamait une documentation importante (en montrant Zorglub retourner à l'école, traverser à nouveau l'adolescence jusqu'à redevenir mentalement adulte et peut-être libéré de ses frustrations qui en faisaient un apprenti dictateur). Je ne sais pas si cela aurait été meilleur, moins ouvertement farceur - j'en doute, mais c'est sans doute parce que Zorglub ne m'a jamais beaucoup plu, tout son folklore (la zorglonde, la zorglangue, sa rivalité avec Champignac) ne m'a jamais passionné, et il avait quand même déjà eu droit à deux albums.
Quoi qu'il en soit, ça n'a abouti qu'à un récit lourdingue, que je ne trouve pas drôle. Franquin a, à mes yeux, loupé son coup - et sa sortie. Il subsiste un morceau de bravoure (la course folle de Zorglub dans son landau, poursuivi par Spirou, Fantasio, Spip, le Marsupilami et Otto Paparapap) qui ferait passer la séquence mythique du Cuirassé Potemkine pour une broutille, mais c'est tout.

Le dessin est lui aussi inégal. Si le sens du mouvement de Franquin est et reste fabuleux, avec un découpage prodigieux, et que la contribution du précieux Jidéhem permet aux décors (la campagne, le château, Champignac-en-Cambrousse, etc) d'être très bien campés, le trait du dessinateur n'a plus rien à voir avec celui de mes épisodes préférés de la série - on est ici en plein mode Gaston, avec cette nervosité, cette tension, ce "lancé" (pour reprendre un terme de l'artiste) typique de la deuxième partie de sa carrière, et qui rompt trop avec la ligne plus élégante et pourtant aussi dynamique des albums des années 50.
Ce n'est pas ainsi que j'aime tout simplement Spirou par Franquin.

Passons ensuite, mais rapidement, au second chapitre de l'album, le cultissime Bravo les Brothers. Il s'agit d'un vrai crossover entre Spirou et Fantasio et Gaston, mais là, Lagaffe vole vraiment la vedette au duo de héros, entraînant avec lui tout l'épisode dans son univers déjanté.
Pourtant, ce qui peut se lire comme une sorte de super-épisode de Gaston Lagaffe avec Spirou et Fantasio en guest-stars ne réussit pas à être aussi drôle et abouti que les gags en une page du célèbre héros sans emploi de Franquin. C'est plutôt un objet bâtard, souvent prétexte à dessiner des animaux plus qu'à animer une histoire (dont l'argument est déjà bien mince).
Les trois singes ravageurs offerts à Fantasio et qui provoquent une série de catastrophes aussi prévisibles que spectaculaires sont moins drôles que Gaston dans ses strips ou ses inventions (comme en témoigne d'ailleurs la cire pour parquets qui brille sans glisser vue au début de Panade à Champignac, très efficace - au point de dissoudre le sol !). Qu'est-ce qui a pu faire croire à Franquin que dessiner ces chimpanzés serait si drôle et tiendrait le coup sur une vingtaine de pages ? Et tout ça pour conclure de manière si niaise... 
Pourtant, cet épisode est porté aux nues par de nombreux fans, et Dupuis l'a même réédité dans un album à part !

Le dessin, entièrement réalisé par Franquin, est bien, sans être transcendant. Je ne sais pas quoi en dire de plus. Quand j'étais plus jeune et que je préférai Gaston à Spirou, le style de Franquin à cette époque me plaisait davantage, mais en me replongeant dans l'oeuvre du maestro, je suis tombé amoureux de son trait des années 50, d'une lisibilité et d'une beauté bien plus grande. Aujourd'hui, quand je relis Panade à Champignac et Bravo les Brothers ou les albums de Gaston, je suis dérangé par l'hystérie du trait, qui reflétait en fait l'évolution personnelle de l'artiste, les conséquences de ses ennuis de santé, sa relation à la bande dessinée.

Voilà, en fait, pourquoi, j'ai tant tardé à critiquer la fin du run de Franquin sur Spirou et Fantasio (même si je suis content d'avoir écrit sur tous ses albums) : je n'aime pas rédiger d'articles comme celui-ci parce qu'il est toujours délicat de ne pas sombrer dans une prose qui confond la déception et le ressentiment. Je suis un grand fan du Spirou de Franquin (et de Franquin en général) même si j'ai plus de mal avec ses derniers tomes, et son tout dernier en particulier - mais une grande oeuvre, c'est aussi cela, une somme de livres où tout n'est pas bon et qui donne à voir une évolution sur une période conséquente. 

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