dimanche 25 mai 2014

Critique 454 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 44 - LE RAYON NOIR, de Tome et Janry


SPIROU ET FANTASIO : LE RAYON NOIR est le 44ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1993 par Dupuis.
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Le Comte de Champignac reçoit avec excitation un mystérieux paquet d'un de ses collègues, le docteur Gustav Tablod-Borg. Il montre à Spirou et Fantasio (et Spip !) qu'il s'agit d'un élément d'une machine capable de faire muter les cellules, mais après avoir assemblé l'appareil, la démonstration échoue à cause d'un court-circuit (provoqué par l'ivrogne Célestin Dupilon, mais ça, ils l'ignorent).
Déçu mais impatient de tester cette invention, le Comte décide de partir en ville chez un ami disposant des installations nécessaires. Spirou doit veiller sur le laboratoire du savant et retrouver sa souris qui lui sert de cobaye. C'est ainsi que, à nouveau à cause de Dupilon, le héros va être victime de la machine et entraîné dans une série de quiproquos qui vont semer une belle pagaille...

L'équipe artistique l'ignore mais quand paraît Le Rayon Noir, il ne lui reste plus que deux autres albums à réaliser avant d'être remplacée. Pourtant, avec le recul, il est troublant de constater à quel point ces ultimes aventures par Tome et Janry annoncent ce qui va arriver. En effet, ce 44ème tome et les deux suivants constituent des histoires très (trop ?) audacieuses, même si elles s'inscrivent dans une sorte de cycle dont La Jeunesse de Spirou (tome 38) serait le prologue et qui ont toutes en commun de réfléchir à la question de l'identité.

Dans La Jeunesse de Spirou, Tome imaginait (surtout dans le récit qui donnait son titre au livre) les origines du héros (un orphelin abandonné devant les portes de l'hôtel "Moustic" devenant un écolier turbulent). Ici, le scénariste imagine ce que serait Spirou s'il était noir : la bande dessinée franco-belge a toujours été mal à l'aise avec la question des races et des couleurs de peau, représentant les étrangers comme des individus moins évolués que les européens blancs (on retrouve une gaucherie semblable quand il s'agit de figurer la sexualité des héros inventés pour un public jeune, avec des auteurs coincés entre la censure et leur propre maladresse). Cela a même abouti à des polémiques qui durent encore et divisent aussi bien les fans que le grand public et les intellectuels (l'exemple extrême étant Tintin au Congo d'Hergé et ses terribles lourdeurs).
L'intrigue, ici, compte en vérité moins que ce qui paraît avoir motivé Tome pour développer son récit, en montrant que Spirou, devenu méconnaissable en ayant changé de couleur de peau, est victime d'un délit au faciès, mis en prison (avec Vito "la Déveine" Cortizone, mafieux italien et raciste), puis Fantasio pareillement accablé, jusqu'à cette scène démontrant l'absurdité des griefs que les autorités et la population font aux "colorés" quand le rayon noir touche plusieurs habitants de Champignac-en-Cambrousse lors d'un pugilat.
Le scénariste souligne que l'héroïsme de Spirou (et la bonté des individus) ne se limite pas à leur apparence, mais que le racisme ou, à tout le moins, la suspicion se révèlent rapidement dès que l'autre est différent. C'est un propos tenu avec subtilité et humour, dans une histoire efficace, à la chute malicieuse (qui suggère que tout cela a été un test provoqué sciemment par le Comte, lui-même souvent ciblé comme un sorcier, donc un être causant le désordre, mal vu par ses voisins). Même si la morale de tout ça n'égratigne pas trop le village, Tome ose quand même pointer du doigt que ses habitants, modestes ou notables, ne sont pas d'une tolérance exemplaire...

Janry est mis face à un défi visuel intéressant dans ce projet puisqu'il doit représenter les héros, et quelques autres personnages, avec un look correspondant aux effets du rayon noir. Il s'en sort superbement et sa version black de Spirou puis Fantasio est finement imaginée, sans sombrer dans une caricature facile (tout comme d'ailleurs les dialogues de Tome, qui évite de faire parler son casting en "petit nègre", ce qui n'a jamais été marrant).
Par ailleurs, le dessinateur effectue toujours un effort pour imprimer à ses planches un rythme très vif via un découpage très dense (plus de dix cases par pages, souvent douze). Cela prouve que la force de la série tient aussi dans la rigueur de sa narration, le volume d'images soutenant celui du texte.

Une expérience bien menée, culottée mais maîtrisée : une preuve supplémentaire que Tome et Janry n'avaient pas peur de faire bouger les lignes sans sacrifier le divertissement. De l'entertainment intelligent en somme.

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