dimanche 11 mai 2014

Critique 442 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 3 - LES CHAPEAUX NOIRS ET 3 AUTRES AVENTURES, de Franquin et Jijé


SPIROU ET FANTASIO : LES CHAPEAUX NOIRS ET TROIS AUTRES AVENTURES est le troisième tome de la série, publié par Dupuis en 1952. Cet album comporte deux histoires écrites et dessinées par Franquin (Les Chapeaux Noirs, 15 pages ; et Mystère à la Frontière, 15 pages), et deux autres par Jijé (Comme une Mouche au Plafond, 11 pages ; et Spirou et les Hommes-Grenouilles, 12 pages).
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(Extrait de Spirou et Fantasio : Les Chapeaux Noirs.
Textes et dessins de Franquin.)

- Les Chapeaux Noirs (écrit et dessiné par Franquin). Spirou et Fantasio sont envoyés expressément aux Etats-Unis pour un reportage sur la vie dans les grands espaces. Une fois sur place, au Texas, ils découvrent avec désappointement que la ville de Longhorn est une métropole comme une autre, avec ses gratte-ciel et ses embouteillages. Heureusement, un homme les redirige sur Tombstone dont il leur garantit l'authenticité, digne de la grande époque des westerns. Là-bas, ils sont enrôlés comme adjoints du shérif et obligés d'affronter divers desperados. Mais Spirou et Fantasio n'auraient-ils pas été abusés ?

André Franquin ouvre le bal avec cet épisode d'une quinzaine de pages très tonique. Le prétexte est sybillin : transporter Spirou, Fantasio et Spip dans un western sans toutefois sacrifier la continuité de la série, ce sera donc l'occasion d'un reportage. L'astuce fonctionne parfaitement et joue sur la complicité du lecteur qui sait avant les héros que ceux-ci sont dupés par l'homme qui leur conseille d'aller à Tombstone.
La succession de péripéties qui s'ensuit témoigne déjà de la fabuleuse énergie dont Franquin saura toujours faire preuve pour animer la série ensuite, avec des séquences incroyablement bien chorégraphiées. Le découpage de la bagarre entre Spirou et Jack le géant est par exemple un modèle de mise en scène.
La brièveté du récit impose évidemment une chute rapide, mais là encore Franquin réussit à l'amener sans qu'on n'ait l'impression qu'il l'ait expédiée.

Visuellement, le style de l'artiste n'est pas encore mûr : l'influence de Jijé est présente, même si Franquin sait, par quelques détails bien placés, s'en démarquer (par exemple, la houpette de Spirou n'est pas dessinée de la même manière que celle de son prédécesseur). La composition des plans, l'agencement des cases sont d'autres aspects où l'on remarque bien que Franquin soigne ses effets en jouant sur la dimension des vignettes et en imprimant un rythme très soutenu à l'action, malgré le faible nombre de pages et le nombre de rebondissements imaginés.

On est certes encore loin du chef d'oeuvre, mais c'est bigrement efficace.
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- Comme une mouche au plafond (scénario et dessins de Jijé). Qu'arrive-t-il à Spirou ? A peine est-il, ce jour-là, entré dans son appartement qu'il est attiré au plafond sans pouvoir s'en décoller ! Il téléphone à Fantasio pour qu'il vienne l'aider à résoudre ce mystère et le sortir de là, mais son ami est dans de mauvaises dispositions lui aussi, souffrant d'un torticolis, croyant à peine à son histoire et rechignant à venir à son secours. Néanmoins, les deux complices unissent leurs efforts et soupçonnent rapidement le voisin du dessus, un magicien peu aimable...

Joseph Gillain alias Jijé a été un des maîtres méconnus du 9ème Art, le pionnier de "l'école de Marcinelle", qui a influencé une flopée d'artistes dont la renommée a ensuite dépassé la sienne (Morris, le papa de Lucky Luke ; Franquin ; Peyo ; Will ; Roba, Maurice Tillieux, puis plus tard Yves Chaland, Al Séverin, Olivier Schwartz, etc). D'une productivité incroyable, capable de dessiner aussi bien dans un style réaliste que cartoony, c'est aussi lui qui a repris les aventures de Spirou après la défection de son créateur Rob-Vel et qui a inventé le personnage de Fantasio puis désigné Franquin comme son successeur.
Pourtant, il faut bien avouer que ces dernières contributions à Spirou ne sont pas à la hauteur de sa légende, comme en témoigne ce premier récit : le scénario, fantaisiste à souhait, peine à passionner ou susciter le rire, il manque de rythme, la caractérisation n'est pas subtile, le dénouement traîne en longueur. La magie ne fonctionne pas, si ce n'est pour son côté rétro.

Pourtant, graphiquement, on sent que Jijé était un storyteller aguerri : son découpage avec un gaufrier quasi-constant de 12 cases par pages tire au maximum parti des effets qu'il convoque (même si, en l'occurrence, Dupuis aurait pu composer des planches de quatre bandes en donnant plus de volume à chaque vignette, rendant ainsi la lecture un peu plaisante sans dénaturer l'oeuvre).
L'autre point fort du dessinateur est l'expressivité qu'il arrive à donner aux personnages avec un minimum de traits, même si le physique du magicien jure par sa disproportion. Mais sinon il égale parfois le génie d'un Dubout.
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- Spirou et Les Hommes-Grenouilles (scénario et dessins de Jijé). Fantasio invite Spirou (et Spip) à le rejoindre sur la côte méditerranéenne. Là-bas, il a fait l'acquisition d'une péniche à bord de laquelle il véhicule occasionnellement des touristes, ce qui lui vaut l'inimitié des autres navigateurs. En acceptant de faire la visite à une vieille anglaise, les mésaventures commencent par une panne, puis la rencontre avec des gangsters à la recherche d'un complice qui les a trahis en cachant un butin.

Jijé signe cette seconde histoire, sans briller beaucoup plus. Néanmoins, soyons justes, c'est tout de même plus abouti que la précédente car cette fois, le récit progresse beaucoup plus en proposant une collection de rebondissements à la fois mieux préparés et développés. On peut même voir dans cet épisode les germes d'aventures devenus des classiques du run de Franquin (comme Le Repaire de la Murène ou Spirou et Les Hommes-Bulles, auquel le titre fait immanquablement penser).
En replaçant les deux héros dans un décor propice aux péripéties, dépaysant, et avec une galerie de seconds rôles mieux définis, Jijé embarque le lecteur, à défaut de leur offrir une intrigue bien rythmée. Car c'est encore là que ça pêche : il faut attendre une bonne demi-douzaine de pages (soit la moitié du récit) pour que ça décolle vraiment...

Visuellement, en revanche, Jijé est plus à son avantage et employant un découpage moins serré, donne à voir des plans parfois superbes où il utilise tout le potentiel que lui offre les décors de la Méditerrannée (la mer elle-même mais aussi sous l'eau, dans les calanques). Son trait rond, un peu grossier au tout début (donnant un air de parfait idiot à Fantasio dans la dernière case de la première page), convient ensuite parfaitement pour croquer des trognes mémorables (la vieille anglaise, la bande de malfrats).
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- Mystère à la Frontière (scénario et dessins de Franquin). En lisant dans le journal le compte-rendu d'une affaire de trafic de stupéfiants, Spirou et Fantasio entreprennent de résoudre l'enquête. En parcourant la campagne alentour, ils découvrent comment les bandits font passer la drogue d'un pays à l'autre et remontent jusqu'à leur repaire. Restent à les piéger et les faire arrêter, ce qui est une autre de paire de manches.

Franquin revient pour clore l'album avec une nouvelle pépite. Pour l'auteur, tout au long de son passage sur la série, Spirou et Fantasio sont d'abord deux amis curieux qui se mêlent d'affaires ne les concernant parfois pas du tout mais qu'ils s'emploient à démêler. Ici, leur fibre d'enquêteurs-journalistes (même si, en vérité, seul Fantasio est un vrai reporter professionnel) est titillé par un trafic de drogue dans les environs d'Enragimont.
Comme une pelotte qu'on déroule, Franquin déploie son histoire qu'on suit, cette fois, au même rythme que les deux héros. Les adversaires qu'ils affrontent sont ingénieux, coriaces, et tout se décidera lors d'une haletante et spectaculaire course-poursuite, qui ressemble presque à un échauffement de la course cycliste dans La Mauvaise Tête (tome 8).

Là encore, Dupuis a reformaté la dimension des bandes, ce qui aboutit à des planches de cinq strips au lieu de 4 et donc à des vignettes plus petites, qui ne rendent pas justice aux dessins de Franquin. Pourtant, malgré cette miniaturisation absurde, on ne peut qu'admirer avec quelle dynamisme, quelle intelligence il enchaine les plans, monte les séquences. Sa fluidité est redoutable, sans doute ce qu'on peut concevoir de mieux (et ce, même si Franquin estimait qu'Hergé était la référence absolue, et que son ami Peyo était celui qui produisait les planches les plus lisibles qu'il ait pu lire).
L'influence de Jijé est encore manifeste, le style n'est pas encore totalement personnel, avec un trait naïf et rond comme son mentor, mais la maîtrise des gags (comme lors de la scène des casques) et la qualité des finitions sont magnifiques.

L'album est donc un peu bizarre, bancal, inégal, avec ce double programme d'histoires diversement inspirées, mais ces épisodes permettent de voir le passage de témoin entre Jijé et Franquin, ce dernier affichant déjà d'impressionnantes dispositions pour créer un run d'anthologie.    

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