jeudi 13 décembre 2012

Critique 365 : ROBIN YEAR ONE, de Chuck Dixon, Scott Beatty, Javier Pulido et Marcos Martin


Robin : Year One est une mini-série en quatre épisodes, co-écrite par Chuck Dixon et Scott Beatty et dessinée par Javier Pulido, avec Marcos Martin (pour le #4), publiée en 2001 par DC Comics. 
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Le jeune Dick Grayson, dont les parents acrobates dans un cirque sont prématurèment morts assassinés, est recueilli par Batman qui en fait son partenaire sous le masque et la cape de Robin. Narrée par le majordome de Bruce Wayne, alias le Dark Knight de Gotham, Alfred Pennyworth, sa première année comme justicier le voit affronter plusieurs super-vilains.
Tout d'abord, il empêche un trafic organisé par le Châpelier Fou d'aboutir, où plusieurs jeunes filles, appartenant à l'école où il étudie, sont kidnappées pour le compte d'un dirigeant étranger.
Puis les évènements prennent une tournure dramatique quand la route de Robin croise celle d'Harvey Dent aka Two-Face, ex-procureur de Gotham devenu fou après avoir été défiguré, et qui, tenant Batman pour responsable de son état, s'en prend à son disciple pour se venger. Dick Grayson frôle la mort.
Tancé par le Capitaine James Gordon du GCPD, Batman s'engage à ne plus impliquer Robin dans sa croisade contre le crime. Mais le jeune homme, une fois rétabli, fugue et affronte Mr Freeze avant de rencontrer Shrike et son Académie de la Vengeance, où d'autres jeunes garçons commettent crimes et délits.
Two-Face, qui s'est échappé du commissariat, veut supprimer Robin. Batman s'active alors pour retrouver son partenaire, le sauver et neutraliser leurs adversaires...
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Conçu deux ans avant Batgirl : Year One, Robin : Year One est l'oeuvre de la même équipe de scénaristes, Chuck Dixon et Scott Beatty. Néanmoins, les deux mini-séries diffèrent en plusieurs points même si elles partagent un concept similaire - la narration de la première année de carrière des jeunes justiciers émules de Batman.
Cette fois, tout d'abord, les faits sont rapportés non pas par le personnage principal mais par Alfred, le fidèle serviteur-aide de camp de Batman, ce qui introduit une distance importante. Il considère à la fois Dick Grayson comme un apprenti au même titre que Bruce Wayne à ses débuts, mais le jeune âge de Robin l'interroge sur la pertinence à l'entraîner dans la croisade (terme abondamment cité pour décrire la mission de Batman) du Dark Knight. On retrouvera cette réserve avec Jim Gordon, après que Two-Face ait failli tuer le "rouge-gorge".
Il est question, donc, de la filiation, même symbolique, de la responsabilité à impliquer un jeune garçon dans la guerre d'un adulte, guerre obsessionnelle, menée contre des ennemis qui sont tous des fous dangereux, dont l'aspect physique reflète les troubles mentaux. Dixon et Beatty abordent de manière plus ou moins directe des thèmes lourds comme la prostitution infantine, la pédophilie, la schizophrénie... Même si le récit semble léger, on se rend compte que l'ambiance est sombre par le contraste induit par la jeunesse du héros et les dangers qu'il rencontre.
Ensuite, la structure et le rythme du récit ne sont pas les mêmes que pour Batgirl : Year One. Divisée en quatre actes de 50 pages chacun, l'histoire est dominée par des sentiments de densité, de rapidité, d'intensité. Chaque chapitre apparait comme une étape initiatique. L'introduction elle-même est zappée : on ne voit pas les circonstances dans lesquels Dick Grayson est recruté par Batman, la mort de ses parents, son passé d'enfant de la balle (qui explique en partie ses capacités physiques exceptionnelles, renforcées par l'entraînement acquis auprès de Bruce Wayne), ne sont qu'évoqués. Quand tout commence, Dick est déjà devenu Robin, et chaque épisode nous apprend ce qu'il traverse durant une période censée durer un an (mais qui semble en réalité plus courte et dément le titre) : ses débuts sont prometteurs (il déjoue le plan du Mad Hatter), puis désobéissant à l'ordre de son mentor il l'aide contre Two-Face et là, le récit bascule.
Après le chapitre 2, en effet, l'insouciance de l'histoire et du personnage ne sont plus de mise : passé à tabac par Harvey Dent, mis sur la touche par Batman, se rétablissant miraculeusement, Dick quitte le manoir Wayne et erre dans Gotham avant d'être repéré et engagé par Shrike et son Académie de la Vengeance. Juste avant cela, il a défait Mr Freeze et Two-Face a échappé aux forces de l'ordre. Le personnage avec son habit un peu ridicule (qui sera râillé par Barbara Gordon dans Batgirl : Year One, le surnommant "Pixie Boots") acquiert une sorte de dûreté, de maturité nouvelles. Cette évolution express peut dérouter et redirige le récit plutôt enjoué dans un registre plus grave, mais a pour bénéfice de ne plus réduire Robin au "Boy Wonder", faire-valoir juvénile de Batman. Il fait aussi de Two-Face un monstre vraiment glaçant, sinistre, qui est à Robin ce que le Joker (qui a droit à un caméo) est à Batman.


D'autres guest-stars ont droit à des apparitions savoureuses comme Killer Moth (qui reviendra dans Batgirl : Year One - Dixon et Beatty ont de la suite dans les idées), Blockbuster. On pourra regretter tout juste que Shrike et sa jeune Ligue d'Assassins-Voleurs soient un peu sacrifiées à la fin (notamment avec le personnage de Boone, qu'on voit rejoindre Talia Al-Ghul à la fin), leurs rôles croisant sans vraiment l'impacter suffisamment l'intrigue concernant Two-Face.
Mais cette mini-série se lit sur un rythme enlevé, avec des dialogues qui font mouche, une voix-off bien employée (même si parfois un peu difficile à lire à cause d'un lettrage de style manuscrit).
"I'm thinking of having you sit this one out. - No !" :
Batman écarte Robin, qui aurait dû lui obéir...



... Car Two-Face est non seulement fou, mais
vraiment très méchant.
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Visuellement, on trouve déjà dans Robin : Year One le parti-pris graphique qui prévaudra pour Batgirl : Year One avec le choix de Javier Pulido comme dessinateur (ici encré par Robert Campenella et colorisé, déjà, par Lee Loughridge).
A cette époque, l'espagnol était plus connu que Marcos Martin, qui vient le seconder dans le dernier chapitre en imitant son style. Quel style ? Pulido se situe dans la lignée de ce qu'on pourrait appeler "l'école Bruce Timm" mixée à "la ligne claire": c'est un dessin au trait épuré, d'influence cartoonesque, semi-réaliste. Et c'est une réussite totale car, pour animer un personnage aussi jeune, il faut non seulement éviter de surcharger l'image mais aussi privilégier l'évocation à la représentation fidèle.
Pulido est aussi convaincant quand il s'agit de soigner les ambiances et de croquer des trognes mémorables avec le minimum d'effets (même si, sur la fin, les planches sont à l'évidence moins peaufinées). Tout dans ce dessin tend vers le dépouillement, il s'agit de traduire le plus avec le moins. C'est élégant, simple, efficace, subtil.
Quoique déjà très réussi, Robin : Year One, pas plus que Batgirl : Year One, n'atteint l'excellence de Batman : Year One de Frank Miller et David Mazzucchelli. Mais si l'on considère la difficulté que représentait la réalisation d'une mini-série sur un gamin portant un slip en écailles vertes, une tunique rouge, une cape, des gants et des souliers jaunes, alors Dixon, Beatty et Pulido sont parvenus à une sorte d'exploit : faire en 200 pages d'un personnage visuellement ridicule et narrativement improbable un héros plaisant à suivre et gosse attachant, dans une histoire à la fois tendue et émouvante.

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