mercredi 30 mai 2012

Critique 328 : WHO IS JAKE ELLIS ? de Nathan Edmondson et Tonci Zonjic

Who Is Jake Ellis ? est une mini-série en 5 épisodes, écrite par Nathan Edmondson et dessinée par Tonci Zonjic, publiée en 2011 par Image Comics.
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Jon Moore était analyste pour la CIA avant de servir de cobaye (involontaire) à un mystérieux laboratoire dont il s'est échappé il y a quatre ans. Depuis, il est en cavale et vit d'escroqueries diverses. Lorsqu'il est dans de sales draps, il peut compter sur Jake Ellis. Mais qui est Jake Ellis ? Un fantôme ? Un ange gardien ? Une voix dans la tête de Jon Moore ? Jon Moore est-il donc fou ? Ou Jake Ellis est-il un être à part entière que seul lui peut voir et entendre ?
Lorsque de curieux poursuivants le traquent pour le ramener à ce laboratoire, Jon Moore est convaincu par Jake Ellis de cesser de fuir et de chercher à connaître enfin la vérité sur ceux qui ont pratiqué des expériences sur lui et leurs objectifs.
Ce périple va le mener d'Europe en Afrique du Nord, jusqu'à une vérité dérangeante et totalement inattendue...
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Le titre ne ment pas et constitue effectivement le programme de cette intrigue : qui est vraiment Jake Ellis et pourquoi n'apparaît-il qu'à Jon Moore ? La réponse qu'apporte le scénario est si surprenante et efficacement amenée que ce serait un crime de la dévoiler ici, mais c'est incontestablement une des meilleures histoires conspirationnistes que la bande dessinée américaine a offerte récemment.
Tous les ingrédients sont là pour accrocher le lecteur et ne plus le lâcher, autant de clichés subtilement employés et aboutissant à un dénouement renversant : comment Jon Moore, fonctionnaire ordinaire de la CIA, est devenu un mercenaire de haut vol et quelle est la nature de sa relation avec Jake Ellis, qui semble tout connaître des méthodes de ceux qui sont à leurs trousses, quelle sombre organisation para-gouvernementale se cache derrière cette traque, quelle issue aura cette course-poursuite, tout cela est redoutablement prenant.
La sensation oppressante du fugitif qu'est devenu Jon Moore est parfaitement retranscrite : il doit à la fois résoudre l'énigme à l'origine de son "partenariat" avec Jake Ellis et survivre à plusieurs porte-flingues en traversant la France, l'Espagne, le Maroc, sans savoir si on veut l'abattre ou l'attraper vivant.
Le lecteur n'a pas plus le temps de souffler que le héros : Who is Jake Ellis? se déroule comme un film d'action non-stop sur un tempo infernal que Nathan Edmondson (retenez bien son nom, cet auteur est désormais à suivre de très près, une future vedette ou alors je n'y comprends plus rien) imprime à ces cinq épisodes construits sans aucune faille. Ses dialogues sont concis, sans fioritures, il soigne ses ambiances, ses personnages possèdent une force d'attraction peu commune.
Si vous êtes attentifs, vous remarquerez même qu'Edmondson adresse quelques clins d'oeil à plusieurs scénaristes à la fin du chapitre 4 (et même avant puisqu'en appelant ses héros Moore et Ellis, ça rappelle forcèment quelques illustres auteurs...).
Un sans-faute remarquable.
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Mais si j'ai adoré Who is Jake Ellis? pour sa manière de me manipuler si intelligemment et l'expertise avec laquelle il mêle le récit d'espionnage et le fantastique, l'autre élément qui m'a conquis réside dans sa partie graphique assurée par le croate Tonci Zonjic.
Et là, je dis : "Respect." Je dis : "Chapeau l'artiste".
La preuve par l'image avec ce qui est une des meilleures séquences d'ouverture que j'ai lue : les six premières pages du premier épisode.





Non seulement, c'est brillamment découpé (l'enchaînement des plans, l'angle des prises de vue, la composition des images, le jeu sur les lumières : tout y est), mais surtout c'est réalisé avec intelligence, avec justesse. Jon Moore est en fâcheuse posture suite à un deal foireux et réussit à échapper à ses clients mécontents. Mais on a deviné que ses réflexes dissimulaient quelque chose d'extraordinaire. Alors Edmondson a cette idée ingénieuse mais terriblement casse-gueule pour l'artiste d'effectuer un "rewind", un retour en arrière de quelques secondes où il nous révèle l'atout secret de son héros, la présence spectrale et les conseils avisés de Jake Ellis. Zonjic arrive à "rejouer" la scène en en gardant les motifs essentiels mais surtout en modifiant légèrement quelques plans de manière à ne pas grossièrement user d'un effet "copier-coller" sur lequel il aurait ajouté Jake Ellis et des phylactères supplémentaires. Résultat : la séquence entière parvient à donner l'impression d'être similaire sans être identique et à fournir au lecteur juste les pièces qui manquaient à sa compréhension tout en posant rapidement le statut spécial du héros.
Formidable !
Pour fréquenter régulièrement le site de Tonci Zonjic, j'ai pu apprécier l'étendue de son art, et reconnaître ses influences, dont la plus évidente est celle d'Alex Toth (le lien vers http://www.tothfans.com/ est d'ailleurs visible sur sa page). Et il a incontestablement bien étudié le maître avec qui il partage un trait à la fois précis et économe. Son sens du storytelling et de l'animation des personnages est épatant. Auparavant, Zonjic s'était fait remarquer comme fill-in artist sur Immortal Iron Fist ou grâce à des mini-séries comme Marvel Divas ou Heralds, des histoires avec des super-héros mis en scène dans des activités banales. Mais avec Who is Jake Ellis ?, il a trouvé un matériau où ses qualités sont bien mieux exploités.
Un autre exemple ? Voyez cette page au cadrage simple mais étonnamment percutant : 

Zonjic est vraiment à son meilleur lorsqu'il dessine des gens réels (il est par ailleurs un portraitiste talentueux, au style beaucoup plus réaliste pour des journaux de presse quotidienne) dans des situations où ils sont confrontés à des dangers réels.
Son autre particularité tient à sa polyvalence puisqu'il s'occupe réellement de toute la partie visuelle de la série, du dessin à l'encrage jusqu'au lettrage et à la colorisation. Sur ce dernier point, il soigne avec une palette réduite des atmosphères fortes, n'hésitant pas à aligner quelques planches avec des à-plats vifs pour une séquence tout aussi saisissante :
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La fin du livre laisse un double sentiment : elle offre une conclusion qui suggère que l'histoire est vraiment terminée, mais en même temps tout reste ouvert et l'indication qu'il s'agit d'un "volume 1" peut signifier qu'une suite est envisageable (même si le scénariste n'a rien précisé à ce sujet).
Quoiqu'il en soit, Who is Jake Ellis ? est une oeuvre parfaitement aboutie, excellemment écrite et superbement illustrée, à la fois divertissante et troublante : un vrai coup de coeur.

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