samedi 14 avril 2012

Critique 320 : SECRET AVENGERS - RUN THE MISSION. DON'T GET SEEN. SAVE THE WORLD, de Warren Ellis et Jamie McKelvie, Kev Walker, David Aja, Michael Lark, Alex Maleev et Stuart Immonen

Secret Avengers : Run the mission. Don't get seen. Save the world. rassemble les épisodes 16 à 21 de la série, écrits par Warren Ellis et dessinés par Jamie McKelvie (#16), Kev Walker (#17), David Aja (#18), Michael Lark (#19), Alex Maleev (#20) et Stuart Immonen (#21), publiés en 2011-2012 par Marvel Comics.
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Lors de la refonte de la franchise "Avengers" avec l' "Heroic Age" à l'issue de Siege, Secret Avengers s'annonçait comme un des titres les plus excitants, avec son concept de Vengeurs agissant partout dans le monde en clandestins et une équipe créative de premier plan (Ed Brubaker au scénario, Mike Deodato au dessin). Après 12 épisodes pourtant, le pilote de Captain America jette l'éponge, au terme de trois arcs inégaux.
Marvel parie alors sur Nick Spencer, dont la série chez Image, Morning Glories, en a fait une des sensations de 2010, pour lui succèder. Les fans pensent qu'il va s'installer durablement sur le titre, mais en vérité, avec le dessnateur Scot Eaton, il ne restera que quatre épisodes (dont un ".1"), annexés à la saga Fear Itself, et sans faire d'étincelles.
Warren Ellis, qui a l'habitude d'accepter des piges occasionnels pour mener des projets personnels à côté, s'engage alors pour 6 numéros, à présent rassemblés dans un album. Sa réputation lui permet d'avoir carte blanche et il ne s'en prive pas : il recentre la série sur l'action, l'espionnage et un zeste de fantastique techno, redéfinit le casting en le resserrant sur une formation tournante de 3-4 membres (sauf pour le dernier numéro où tout le monde est réuni), chaque "issue" est un "one-shot" illustré par un artiste différent au style marqué mais n'ayant jamais officié sur le titre auparavant.
L'anglais, qui n'aime guère les super-héros, cède sa place au terme de son bail à Rick Remender associé à Gabriel Hardman et Renato Guedes. Depuis, les ventes sont en chute libre et les Secret Avengers devraient passer à la trappe une fois le crossover Avengers vs X-Men terminé...
Mais revenons sur le court run d'Ellis et ses acolytes.
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- #16 : Subland Empire. Dessiné par Jamie McKelvie. Steve Rogers localise une base de l'Empire Secret, en fait une ville entière bâtie dans les années 70 située sous une ville  ! Le Fauve a repéré ce site grâce à des raditations telles que celles que manipule le Dr Fatalis pour fabriquer une machine temporelle que veut récupérer le Conseil de l'Ombre...

Ce premier chapitre laisse une impression curieuse : Ellis dispose des éléments excitants (la ville souterraine, la machine temporelle) mais en inscrivant dès le départ son run dans une suite de "one-shot" (même s'il refera appel au Shadow Council), il refuse de les développer. D'où le sentiment d'un récit trop expéditif pour un argument au potentiel si riche. Le découpage est d'ailleurs bancal, avec un début très explicatif qui plombe l'épisode.
Néanmoins, la patte de l'anglais est déjà évidente : l'équipe trop fourni de l'ère Brubaker est réduite à un quatuor (Rogers, la Veuve Noire, le Fauve et Moon Knight), chacun étant choisi en fonction de ses compétences (le chef, l'exécutrice, le savant, l'éclaireur), avec à la clé quelques répliques aiguisées. La référence à la fois à Mission : impossible et à Global Frequency (d'Ellis lui-même) est limpide, sans être aussi efficace.

Graphiquement, Jamie McKelvie (Phonogram) s'avère un choix des plus curieux : son style, proche d'une ligne claire réaliste, s'accommode assez mal du registre sinon super-héroïque, du moins du récit d'action spectaculaire. Le design du Fauve est à cet égard particulièrement calamiteux, lui donnant l'aspect d'un ours en peluche ridicule.

Bref, c'est un début en demi-teinte.
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- #17 : Beast Box. Dessiné par Kev Walker. Dans l'ex-Yougoslavie, un camion fou tue tous ceux qu'il croise : l'affaire attire l'attention de Rogers qui se rend sur place avec Sharon Carter, War Machine et Valkyrie. 

C'est l'épisode le plus raté de toute la collection, autant le dire tout de suite : le pitch est d'un minimalisme paresseux, que ne vient pas sauver le parti-pris d'une action à tout-va. Une équipe de Vengeurs contre un camion fou : il suffit de lire cette phrase pour comprendre l'indigence du projet.
Bien entendu, Ellis a recours à quelques-unes de ses marottes, comme lorsqu'il montre le chauffeur du monstre transformé en une espèce de cyborg, débitant des anathèmes contre ces espions américains et leurs gadgets. Mais cette auto-parodie est franchement affligeante de la part d'un scénariste pareil.
Le dénouement est expédié en une page, sans être très clair. Bref, c'est navrant.

Comme si ça ne suffisait pas, il faut supporter avec les dessins de Kev Walker (Thunderbolts), qui, comme à son habitude, se complaît à représenter des personnages méconnaissables et grimaçants dans des pages cadrées à la hussarde et sans décors.

Un échec total.
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- #18 : No Zone. Dessiné par David Aja (avec Raùl Allen). Une base du Conseil de l'Ombre qu'une réplique d'Arnim Zola (le savant nazi, souvent complice de Crâne Rouge) dirige sert de portail expérimental avec la zone négative. Avec Sharon Carter et Shang-Chi, Steve Rogers va tenter d'arrêter ces manoeuvres...

Après deux épisodes très moyens, Warren Ellis se retrousse les manches et livre un chapitre bien meilleur : l'équipe est cette fois carrèment réduite à un trio, mais la véritable attraction de l'histoire est le maître du kung-fu, Shang-Chi (ramené par Brubaker dans son 2ème story-arc, Eyes of the dragon). Le scénariste le meet en scène comme une véritable machine à tuer, mutique et implacable, dans un décor renversant évoquant les jeux vidéos à paliers.
Le récit est basique et très rapide, mais d'une redoutable efficacité, avec quelques répliques bien senties.

L'autre atout de l'épisode est la présence de David Aja (assisté à l'encrage par Raùl Allen) au dessin : l'espagnol fait feu de tout bois sur ce script minimal mais qui lui permet de jouer de manière virtuose sur le découpage, les angles de vue, le flux de lecture. Le résultat est prodigieux, inventif, intelligent, remarquablement dosé, avec un trait épuré à l'extrème et aux effets judicieusement disposés.

Un spectaculaire redressement.
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- #19 : Aniana. Dessiné par Michael Lark (avec Stefano Gaudiano et Brian Thies). Dans la ville d'Aniana en Symkarie (entre la Latvérie et la Roumanie), les Vengeurs Secrets sont sur la piste d'un curieux trafic transformant des mercenaires en surhommes. Steve Rogers, Sharon Carter, la Veuve Noire interviennent pour coincer leur chef, Voydanoi, après que Moon Knight ait infiltré son repaire incognito...


Avec ce nouveau chapitre, Warren Ellis signe sans doute son meilleur travail sur la série. Tous les éléments l'attestent : le danger est rapidement exposé, l'intervention des Secret Avengers rondement menée avec un des leurs attaquant de l'intérieur, le face-face final résolu de manière musclé après une révèlation sur l'origine du sérum des surhommes slaves.
Ellis mixe à la perfection les ingrédients du récit d'espionnage, l'action, tout en glissant in fine une explication fantastique comme il les affectionne et qui donne une perspective insoupçonnée à l'opération. La caractérisation, quoique sommaire comme auparavant et après, est efficace, chacun ayant un rôle à jouer bien défini - Moon Knight étant la vedette du jour.

Au dessin, Michael Lark est parfaitement dans son élément, son style est plus "rushé" qu'à l'accoutumée, s'étant concentré sur le découpage et les personnages et laissant les finitions à son complice Stefano Gaudiano (épaulé par Brian Thies). La colorisation de José Villarubia contribue aussi à l'ambiance étrange de ce segment en choisissant des teintes pastel et contrastées.

Excellent. 
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- #20 : Encircle. Dessiné par Alex Maleev. Une intervention de l'équipe, formée par Steve Rogers, Sharon Carter, War Machine et la Veuve Noire, tourne mal à Evge, en Norvège. La Veuve utilise un appareil lui permettant d'effectuer des sauts dans le passé afin de corriger le tir en neutralisant l'ennemi avant l'assaut fatal. 44 ans, 30 ans, 6 ans, 5 ans, 3 ans, un mois, une semaine ou 30 secondes avant, l'espionne doit à la fois rencontrer divers savants et assembler une machine capable de la sortir, elle et ses compères, de ce mauvais pas... 
 

C'est l'épisode le plus déroutant de la collection : cette fois, Warren Ellis concentre toute notre attention sur la Veuve Noire qui, pour éviter une mort certaine à l'équipe, opère plusieurs courts voyages dans le temps, parfois très loin dans le passé. La narration est totalement éclatée et exige d'être vigilant, tout en étant malgré tout très fluide et menée sur un rythme effrenée, comme une vraie course contre la montre (procédé que le scénariste va reprendre dans l'épisode suivant, mais de manière plus linéaire).
L'aspect purement fantastique du récit est admirablement géré par un auteur qui sait manier comme personne ce genre. On est tenu en haleine jusqu'au bout, avec une héroïne superbement mise en valeur.

Alex Maleev a trouvé le temps, entre deux épisodes de Moon Knight, de produire ce chapitre et il ne l'a pas fait négligeamment, déployant des trésors d'invention pour coller au plus prés des époques traversées et des ambiances évoquées.
Le sommet se situe lorsque durant deux planches et demie, l'artiste découpe l'action en trois strips de trois vignettes chacun, en noir et blanc sur papier sépia, et en imitant le style de Jim Holdaway sur Modesty Blaise (référence de toujours pour la Veuve Noire) : c'est aussi jubilatoire qu'éblouissant.

Une expérience épatante.
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- #21 : Final Level. Dessiné par Stuart Immonen. L'office of National Emergency se situe dans un building en proie à un incendie. Mais les Vengeurs Secrets ne sont pas là pour jouer les pompiers de service : en effet, parmi les cadres de cette agence se cache un traître, ayant connaissance d'un produit inconnu mais dangereux et surtout non localisé...

Warren Ellis clôt son run en reprenant le dispositif du précédent épisode : toute l'histoire est construite sur un compte à rebours, et ce procédé va motiver l'équipe dont la préoccupation n'est plus simplement de remplir la mission ("run the mission") ou de ne pas être vue ("don't get seeen") mais de sauver le monde ("save the world"). Quand ils découvrent la menace dans le sous-sol du building de l'O.N.E., on comprend en effet que ça ne va pas être simple.
Volontiers provocateur, même s'il a été assez mesuré jusque-là, Ellis oblige Steve Rogers à appliquer des méthodes inattendues, comme le recours à la torture (même si, en fait, il laisse cette sale besogne à Moon Knight et la Veuve Noire). Cela peut sembler "out of character" mais présente aussi l'intérêt de montrer que de tels Vengeurs ne sont pas de simples et valeureux héros, plutôt des soldats, des commandos.

Pour l'occasion, Ellis collabore à nouveau avec Stuart Immonen, son partenaire sur Nextwave et Ultimate Fantastic Four, qui venait juste de terminer Fear Itself. Si le canadien semble parfois moins appliqué, ses planches possèdent toujours cette formidable énergie, ses personnages sont expressifs, son découpage ultra-dynamique (même quand il sacrifie à la double-planche rituelle depuis le début du run d'Ellis).

On tourne les pages si vite que le dénouement vous cueille littéralement !
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C'est un peu dommage qu'Ellis n'ait pas prolongé son séjour car plus il progressait, meilleur il était, mais en l'état, et avec le concours de graphistes inspirés (pour les 2/3 au moins), ce run est d'une efficacité exemplaire. 

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