mercredi 30 mars 2011

Critiques 218 : Y THE LAST MAN 5 & 6, de Brian K. Vaughan, Pia Guerra et Goran Sudzuka

5 : RING OF TRUTH (#24-31 ; 2004-2005)

- Tongues of Flame (#24–25) : Yorick atteint la Californie et, seul, trouve une église à Cooksfield, pendant que le Dr Mann et l'agent 355 dorment. Là, il fait la connaissance de la locataire de l'endroit, une ancienne hôtesse de l'air qui se prénomme... Beth (comme sa fiancée). On apprend, lors de leur discussion, que le jeune homme a en fait mis près de deux ans à traverser les Etats-Unis, d'Est en Ouest, depuis son départ de Washington avec l'agent 355. Yorick se confie à Beth qui, en retour, lui raconte comment elle a survécu au crash de l'avion de ligne dans lequel elle volait au moment où l'épidèmie s'est déclenchée. Après lui avoir montré les tombes des passagers derrière l'église, elle accepte l'étreinte de Yorick, moment de réconfort plus que d'amour entre ces deux survivants. Mais ils doivent ensuite faire face à trois des Filles des Amazones, projetant de brûler l'église, endroit symbolisant l'oppression des hommes sur les femmes selon elles. Elles battent cependant en retraite après une intervention théâtrale de Yorick, qui doit alors quitter, avec appréhension, Beth pour rejoindre l'agent 355 et le Dr Mann avec lesquelles il doit gagner San Francisco.

- Hero's Journey (#26) : Avant de retrouver le trio, retour sur quelques moments forts de l'existence de Hero, la soeur aînée de Yorick : petite fille, elle emmène Yorick devant une statue dans un champ (la statue de la reine Victoria, selon elle - Victoria comme la fondatrice des Filles des Amazones) ; adolescente, elle vit sa première relation sexuelle avec un garçon plus âgé qu'elle alors qu'elle est malade ; plus tard elle se dispute avec ses parents lors d'un dîner car elle a décidé de quitter ses études pour devenir infirmière et de suivre son nouvel amant ; après l'épidémie elle perd Joe et rencontre Victoria qui l'embrigade dans les Filles des Amazones ; emprisonnée à Marrisville dans l'Ohio elle est reprise en main par les femmes de la bourgade puis rejoint sa mère à Washington ; elle suit la trace d'Ampersand jusqu'à Oldenbrook dans le Kansas où elle rencontre Natalya, les jumelles Heather et Heidi et découvre le petit Vladimir, fils de Ciba Weber. Mais Hero a-t-elle été vraiment libérée de l'emprise mentale de Victoria, dont elle continue à entendre la voix ?

- Ring of Truth (#27–31) : A San Francisco, les mystérieuses agents du Cercle de Setauket, qui ont tué l'agent 711, sont sur les traces de l'agent 355 pour lui prendre l'Amulette d'Hélène. En s'en prenant à Yorick à qui elles dérobent la bague qu'il destinait à sa fiancée Beth, elles précipitent leurs ennemis dans un enchaînement d'ennuis. Yorick tombe subitement malade et tandis qu'il est examiné par le Dr Mann, elle-même surveillée à son insu par la ninja Toyota (qui travaille pour le non moins mystérieux Dr M), l'agent 355 accepte d'échanger l'Amulette d'Hélène contre la bague de Yorick avec Anna Strong, la chef des agents du Cercle de Setauket. C'est alors que Hero fait irruption et qu'un réglement de comptes éclate, dont sort indemne 355. Pendant ce temps, Alison Mann croit découvrir la raison pour laquelle Yorick et Ampersand ont survécu à l'épidèmie - le petit singe aurait en quelque sorte immunisé le jeune homme via ses excréments agissant comme un antibiotique. L'agent 355 ramène Hero, légèrement blessée dans la fusillade les ayant opposé aux agents du Cercle de Setauket. Les retrouvailles avec Yorick ne sont pas amicales. Mais plus grave : profitant de la situation, Toyota, qui a entendu ce qu'a découvert le Dr Mann, enlève Ampersand. Hero, rétablie, rentre rassurer leur mère au sujet de Yorick, après s'être réconciliée avec lui, tandis que l'agent 355 apprend que Toyota est partie avec Ampersand à bord d'un cargo pour Yokogata, au Japon : c'est là que vit la mère du Dr Mann - vraisemblablement l'employeur de la ninja.
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Ce 5ème tome est important, par son volume (8 épisodes), les révèlations qu'il apporte (la raison - supposée - pour laquelle Yorick et Ampersand ont survécu à l'épidémie), et les rebondissements qui ponctuent le récit. Tout d'abord, Yorick trompe pour la première fois Beth, avec l'hôtesse de l'air, qui s'appelle également Beth, et dont le physique ressemble à celui de sa fiancée (une belle blonde) : il avait failli succomber au charme de Sonia à Marrisville, mais ici, c'est la similarité de leurs parcours (tous deux survivants) qui scelle l'étreinte charnelle de Beth et Yorick. Il propose même qu'elle l'accompagne mais elle refuse, sans doute consciente que leur histoire ne peut être qu'éphémère.
Ensuite, Brian K. Vaughan revient sur le personnage de Hero, dont il résume en quelques scènes bien choisies et très fortes dramatiquement, le trajet depuis l'enfance jusqu'à aujourd'hui. C'est à la fois une femme forte, qui brave l'autorité parentale, mais aussi terriblement fragile, en quête d'affection (elle se donne à un garçon sans amour, s'abandonne dans les mains de Victoria qui lui fera subir un vrai lavage de cerveau, part délivrer Yorick de l'agent 355 dont sa mère est persuadée qu'elle l'a enlevé pour le compte du Cercle de Culper). Puis le scénariste laisse planer le doute sur la santé mentale de Hero, qui, malgré le traitement des femmes de Marrisville, paraît encore sous l'influence de Victoria - et représente donc encore une menace potentielle pour son frère, et avant cela le petit Vladimir.
Enfin, Vaughan consacre une longue séquence au séjour du trio à San Francisco où les dangers - des agents du Cercle de Setauket, de Toyota - menacent les héros. Le suspense est constant, l'issue incertaine, et les protagonistes vont devoir faire des choix qui vont certainement peser lourd pour la suite (le sacrifice de l'Amulette d'Hélène par 355, la décision de sauver 355 plutôt que de récupérer Ampersand, l'affrontement contre Anna Strong et ses sbires, les retrouvailles et la nouvelle séparation de Yorick et sa soeur, le départ pour le Japon - et la rencontre probable avec la mère d'Alison Mann).
Ces cinq épisodes, qui aboutissent à la fin du premier acte de la saga (le récit quitte les Etats-Unis, le 31ème épisode sur 60 est franchi, la raison - supposée - pour laquelle Yorick a survécu à l'épidémie est connue...), sont menés à un train d'enfer et relancent la série avec virtuosité.
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Pia Guerra assure seule les dessins des 8 épisodes de ce tome 5, après l'intérim Goran Parlov, et livre des planches de haute tenue. Son trait s'est affirmé, s'est trouvé, les quelques hésitations du début son oubliées. Et sa complémentarité avec l'encreur José Marzan Jr est désormais parfaite. Mais ce qui trouble le plus, c'est le storytelling de l'artiste, qui, bien qu'employant des gimmicks américains (abondances de cases horizontales façon cinéma - procédé très répandu dans n'importe quel comic-book), est également influencé par les manières plus européennes de la bande dessinée, avec une mise en page sage, qui privilégie la clarté, la simplicité, aux effets spctaculaires. Le mélange de ces deux méthodes de mise en images aboutit à une lecture très efficace, qui va toujours à l'essentiel, qui privilégie la justesse et l'émotion.
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Toujours aussi irréprochable, cette série confirme sa flatteuse réputation : elle est à la fois implacable, élégante et exigeante sans cesser d'être accessible. Une superbe production.
6 : GIRL ON GIRL (# 32-36; 2005)

- Girl on Girl (#32–35) : Yorick, l'agent 355 et le Dr Mann ont embarqué à bord du Whale, destination : Yokogata au Japon, où la ninja Toyota a emmené Ampersand. Mais le bâteau dirigée par Kilina transporte en vérité de l'opium et est pris en chasse par un sous-marin australien car une de leurs espionnes, Rose Colpen, fait partie de l'équipage du Whale. Le voyage se corse encore davantage quand Yorick surprend 355 et Alison en plein ébat amoureux et que le navire est torpillé, coulant à pic au beau milieu de l'océan Pacifique. Cependant, en Israël, Alter Tse'elon est jugée par son ex-subordonnée, Sadie, devenue magistrate. Mais la militaire a rallié ses gardes à sa cause et abat son ancienne camarade...

- Boy Loses Girl (#36) : Depuis le début de l'épidémie, on était sans nouvelles de Beth Deville, la fiancée de Yorick. Dans le bush australien, elle est capturée par des femmes aborigènes qui la droguent. Elle revit alors des épisodes marquants de son passé, de la mort de son père à celui du père de Yorick, sa rencontre avec ce dernier, leur romance, leur séparation. Au terme de cette épreuve, elle se réveille au bord d'une route, convaincue que son amant est toujours en vie...
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Après la longue et mouvementée aventure à San Francisco, à l'issue de laquelle Toyota a kidnappé Ampersand, Brian K. Vaughan préparait des trois héros à quitter l'Amérique du Nord pour gagner le Japon, où vit la mère d'Alison Mann, commanditaire probable de l'enlèvement du singe. Plutôt que d'exécuter une ellipse, le scénariste choisit de nous faire vivre le voyage et nous embarque dans un savoureux détournement des récits de pirates, en jouant une nouvelle fois sur les apparences puisqu'on découvre que les "méchantes" ne sont pas celles qu'on croit de prime abord.
C'est l'occasion pour faire connaissance avec l'espionne borgne Rose, personnage qui devrait s'installer dans la série car Vaughan lui fait avouer son attirance pour le Dr Mann en même temps que sa volonté de quitter les rangs de l'armée australienne, où elle ne se sent plus à l'aise après avoir survécu à sa mission.
Mais, entretemps, sur le Whale, Alison Mann et l'agent 355 ont partagé une nuit d'amour torride qui va certainement compliquer la donne : elle révèle le lesbianisme de la docteur, jette le trouble sur l'orientation sexuelle de 355 (qui, à Marrisville, alors que, blessée, elle avait déclaré en délirant aimer Yorick) et rend confus Yorick (confusion mêlée d'une étrange colère). Yorick, lui-même, est tout prêt de tromper à nouveau Beth avec la capitaine du Whale, Kilina, signe que le jeune héros est de plus en plus tenté par d'autres femmes, même si sa fiancée continue de l'obséder.
L'épisode 36, un "stand-alone" comme celui que Vaughan avait consacré à Hero, permet d'examiner la situation de Beth, justement. Sans nouvelles de Yorick depuis plus de deux ans, elle a une révèlation mystique qui la persuade que son amant est toujours en vie : c'est un chapitre étrange, envoûtant, à la narration éclatée, qui rappelle les expérimentations que le scénariste avait utilisé sur la série télé Lost - une nouvelle preuve de son étonnant talent.
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4 des 5 épisodes de cet album sont dessinés par celui qui va devenir, à partir de maintenant, le second artiste régulier de la série, Goran Sudzuka. Son style est très proche de celui de Pia Guerra, quoique plus expressif, avec plus de rondeur dans le trait. Mais son découpage est similaire et conserve le rythme très alerte du titre : celui-ci se caractérise en fait par le peu de cases par planches, ce qui permet de compenser en quelque sorte la décompression et la densité du storytelling de Vaughan - on a passé les 30 épisodes, soit la moitié de la série, sans jamais s'ennuyer : un exploit pour une histoire feuilletonnesque.
Pia Guerra signe l'épisode 36 avec Beth comme héroïne, et grâce, encore une fois, à l'encreur José Marzan Jr, la transition entre les deux artistes passe comme une lettre à la poste. C'est vraiment incomparablement appréciable de ne pas subir de variations de style dans une telle entreprise, alors que les comics américains souffrent souvent de trop grands écarts graphiques.
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Un tome sensuel, épique et envoûtant : Y The Last Man reste passionnant et magnifiquement réalisé. Cette série est une merveille.

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