vendredi 31 décembre 2010

Critiques 196 : SPIROU ET FANTASIO, TOMES 15 & 16 - Z COMME ZORGLUB-L'OMBRE DU Z, de Franquin, Greg et Jidéhem

Double dose de rigueur puisqu'il s'agit du célébrissime dyptique du "Z" :


Les Aventures de Spirou et Fantasio : Z comme Zorglug est le 15ème album de la série, écrit par Greg et Franquin et dessiné par Franquin et Jidéhem (pour les décors) sorti en 1961. Il s'agit de la première partie d'un récit dont la suite est le tome 16, L'Ombre du Z.
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Tout commence par le cadeau inattendu d'une admiratrice que Fantasio reçoit dans un colis : un sèche-cheveux ! Spirou arrive au moment où il l'essaie et est apparemment victime d'une électrocution. Pourtant, peu après, Fantasio revient à lui et sort de chez lui, tel un zombie, pour monter dans une voiture sans chauffeur - mais télécommandée depuis un autre véhicule.
La balade se termine dans la vitrine d'une boutique et Fantasio est hospitalisé. Spirou en raccompagnant son ami chez lui est à son tour victime du même sort et conduit dans une maison abandonnée où il écoute un message sous hypnose.
Lorsqu'il réapparaît chez Fantasio, ses souvenirs sont confus, il ne se rappelle que d'avoir écouté le mystérieux "Z" s'adressant à travers lui au comte de Champignac - lequel est mis au courant par téléphone et a deviné qui se cachait derrière tout ça.
En effet, le savant reçoit dans la soirée la visite de Zorglub, un ancien camarade de promotion, mégalomane grotesque qui lui propose d'être son partenaire dans son projet de conquête du monde. Mais le comte le congédie vigoureusement. Zorglub repart, non sans avoir assujetti et embarqué le gendarme Jérôme, qui lui a manqué de respect.
Spirou et Fantasio rejoignent le comte à Champignac et, après avoir appris la disparition du policier, voient revenir Zorglub, à bord d'un vaisseau futuriste, le Zorgléoptère. Il renouvelle son offre au comte qui la refuse encore et menace alors de prouver sa puissance le lendemain.
Via les ondes radios, il pousse la population de Champignac à s'attaquer au château du comte, mais Spirou les neutralise avec l'aide du Marsupilami et de quelques mixtures de son ami savant. Fantasio se moque alors de Zorglub qui le kidnappe en en faisant un de ses zorglhommes décérébré (à moins qu'un gadget mis au point dans la nuit par le comte ne l'ait immunisé contre la zorglonde...).
Grâce à la zorglumobile de Jérôme, Spirou, Spip, le Marsupilami et le comte remontent la piste du repaire de Zorglub. Drogué par son rival après avoir été malmené par Fantasio (qui jouait donc la comédie du pantin), le pathétique "Z" s'avoue vaincu et promet de détruire ses bases dans le monde (construites en extorquant de l'argent) mais obtient de réaliser son rêve : inscrire sur la Lune une publicité visible depuis la Terre. Mais l'expérience échoue, le slogan étant écrit en zorglangue, donc à l'envers !
Humilié, Zorglub s'éclipse, la tête basse, tandis que nos héros libèrent ses anciens sujets...


Les Aventures de Spirou et Fantasio : L'ombre du Z est le 16ème album de la série, écrit par Greg et Franquin, et dessiné par Franquin et Jidéhem (pour les décors), sorti en 1962. Il s'agit de la suite directe du tome 15, Z comme Zorglub.
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Zorglub vaincu mais laissé libre car accablé par son échec, Spirou, Fantasio, le comte de Champignac, Spip et le Marsupilami rentrent au château, mais, en survolant le village, découvrent que ses habitants ont été zorglhommisés par Jérôme, le gendarme laissé k.o. mais pas guéri sur place.
Nos héros s'emploient donc à "ranimer" les malheureux d'un côté tout en essayant d'arrêter Jérôme de l'autre, ce qui les occupe pour la journée.
Mais, quelque temps après, Zorglub resurgit, sans être reconnu grâce à un nouveau procédé - sauf par le Marsupilami. Cependant, à Champignac, de nouveaux zorglhommes sont présents et confirment que le malfrat n'a pas tenu sa promesse de se tenir tranquille. Démasqué, il prend la fuite avec ses troupes, mais Fantasio, qui a averti l'armée, sait où ils se réfugient : en Palombie !
C'est donc l'occasion de retourner dans le pays du Marsupilami, toujours agité par de nouveaux désordres : cette fois, les habitants sont pris de fièvres consuméristes subites, derrière lesquels le comte devine vite la main de Zorglub pour financer ses recherches.
Lorsque des zorglhommes commettent directement un hold-up, Spirou et ses amis les suivent dans la jungle et localisent le nouveau repaire de Zorglub... Avant de découvrir qu'il est en affaires avec le sinistre Zantafio !
Zorglub reconnaît avoir influencé la population dans ses achats mais le maître d'oeuvre des braquages est Zantafio, remis à la police avant que le comte, grâce à un champignon particulièrement puissant, ne détruise la base.

Le dyptique de Zorglub est un classique de la série, tenu par beaucoup de fans comme le chef-d'oeuvre du run de Franquin. Il faut noter que l'auteur comptait produire un troisième volet consécutif, mais Charles Dupuis, craignant de lasser les lecteurs (et il était le premier d'entre eux), refusa. On peut le remercier car cela aurait effectivement été abusif et qu'en l'état le résultat est impeccable.
Ce ne sont cependant pas mes tomes favoris, et j'oserai même dire que l'âge d'or de la période Franquin vient de s'achever. A cette époque, l'auteur est surchargé de travail : il anime Spirou et Fantasio depuis plus de dix ans, a lancé Gaston, et, à cause d'une brouille passagère (pour des affaires financières) avec Dupuis, il est même passé chez le concurrent, Tintin, où il a créé Modeste et Pompon (ce qui fait que Franquin a, brièvement, produit pour le Journal de Spirou et le Journal de Tintin simultanément). Comme il le racontera à Numa Sadoul dans leur livre d'entretiens (Et Franquin créa Lagaffe), il commençait par ailleurs à lentement mais sûrement se lasser du groom.
La génèse des deux albums précédents (Le Voyageur du Mésozoïque et Le Prisonnier de Bouddha) fut déjà difficile. On a envie de dire "comme toujours" tant Franquin était peu sûr de lui, improvisait souvent ses histoires à partir d'une vague trame et de dialogues, mais, donc, le calendrier dément qui était le sien rendit les choses encore plus compliquées. Pour Modeste et Pompon, il reçut l'aide de Goscinny et Greg, et ce dernier devint son co-scénariste (et souffre-douleur) sur Spirou.
Greg a témoigné de la difficulté de travailler avec Franquin, une tâche à la fois très stimulante grâce à l'exigence du maître mais aussi ingrâte car il s'ennuyait vite, discutait tout, intervenait constamment. De fait, les albums co-écrits avec Greg sont moins fluides et légers : c'est la rencontre de deux imaginaires, l'un du verbe, de la structure (Greg), l'autre du mouvement, de l'imprévu (Franquin), et cela se sent à chaque page. Ce que les Spirou de Franquin gagneront en rigueur, ils le perdront en fantaisie.
Par exemple, il n'est plus question de pages entières décalées, déconnectées, où le Marsupilami peut aérer le récit en libérant des gorilles sur un paquebot ou en affrontant un lion dans la savane. D'ailleurs, le dyptique de Zorglub, même s'il nous ramène en Palombie au second acte, clôt une sorte de "cycle des aventures exotiques" (avant cela, seul Le Prisonnier de Bouddha refera voyager les héros, mais la Chine y est moins bien exploitée que l'Afrique ou l'Amérique Latine). Parfois, on sent Franquin à l'étroit dans cette histoire trop bien calibrée, où la bd Spirou est devenue un vrai team-book (avec le comte, Spip, le Marsupilami, Fantasio, le retour de Zantafio - il ne manque que Seccotine à l'appel).
Mais attention ! Pas de méprise, cela reste très bon et ces quelques 120 pages répartis sur deux albums constituent un projet ambitieux et abouti dans le run de Franquin. Le talent de narrateur de Greg (aussi à l'aise dans les registres comiques que réalistes) est exemplaire et la lecture est formidablement rythmée, avec un enchaînement de rebondissements merveilleux. Franquin continue de peupler le Spirouverse en inventant Zorglub qui, tout en étant un adversaire d'envergure, épaississant le passé du comte (même si on peut pinailler en constatant l'évidente différence d'âge entre ces deux camarades de promotion...), est un pathétique et drôlatique loser. Contrairement à Zantafio, avec lequel Greg l'associe tardivement (et de manière maladroite car on voit qu'il s'agit d'un prétexte pour permettre aux héros de localiser la nouvelle base de Zorglub), il n'est pas méchant, mais inconséquent, donc juste assez dangereux pour ne pas être négligé. Il deviendra en tout cas un personnage récurrent de la série après le départ de Franquin et la source d'inspiration de nombreux auteurs, y compris dans les hors-série Une histoire de Spirou par...(cf. Les Marais du Temps, de Le Gall).
Le dyptique de Zorglub témoigne de l'esprit gentiment anarchiste de Franquin, qui se radicalisera dans Gaston : les critiques du conditionnement des individus, de l'hyper-consommation, des dérives totalitaires (déjà abordées dans Le Dictateur et le champignon) et scientifiques, de la publicité (le message inscrit sur la lune est d'ailleurs inspiré d'un projet du savant allemand Werner Von Braun, leader du programme spatial de la Nasa), tout cela démonté par l'absurde et l'énergie d'aventuriers justiciers, c'est du pur Franquin, et du meilleur, ordonné par Greg.

Les deux opus bénéficient d'illustrations au style de plus en plus nerveux, moins élégant mais plus tonique, où l'apport de Jidéhem pour les décors est décisive : grâce à son lieutenant, Franquin a pu donner à cette aventure au long cours une tenue irréprochable, jamais bâclée.

Sans être donc mes préférés, ces deux tomes sont indispensables : la série par Franquin entame sa dernière ligne droite et, sous le signe du "Z", brille d'un feu qu'elle ne retrouvera pas avant longtemps.

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